Citations de Élisabeth Vonarburg (103)
Chacun est masqué ? La belle affaire. Ils le sont tous depuis longtemps. Des masques derrière des masques derrière des masques. Une apothéose du mensonge.
Et l’Harmonie se venge, lorsqu’on veut la forcer,si bien intentionné soit-on. Les violences s’additionnent, elles ne s’annulent pas. (p.33)
La falaise est un visage lisse dans la lumière atténuée du soleil , une femme aux lèvres à demi ouvertes sur un soleil mystérieux .
Quand on écrit, ce n’est pas comme lorsqu’on parle. On ne les lâche pas vraiment, les mots qu’on écrit, on ne les jette pas dans l’espace où ils vont se perdre ou buter contre des murs qui les font rebondir sur vous comme des flèches. (p. 77)
— … Et puis l’Humanité avec un grand H, ça n’existe pas, il n’y a que… des gens, des êtres humains, tous singuliers ! […]
— Et pourtant tous reliés, en résonance. »
(p. 586)
Elle ne savait pas qu’il pouvait mourir.
Il avait une peau brune toute ridée, une masse de cheveux blancs toujours en désordre, des yeux bruns qui souriaient au fond de leur réseau de rides ; ou bien c’étaient les rides qui souriaient. De toute façon, on ne pouvait pas dire s’il souriait en regardant sa bouche : il avait trop de moustache. Grand-Père. Elle l’appelait Grand-Père.
Elle ne savait pas que c’était un homme-machine.
Elle n’avait presque jamais besoin d’utiliser son bracelet de communication. Elle avait perdu sa poupée, elle était tombée, Gil ou Marianne lui avaient fait mal en jouant, ou elle s’était disputée avec eux, et il surgissait avant même qu’elle ait vraiment eu le temps de se mettre à pleurer. Il parlait, ou il ne disait pas grand-chose, mais il était toujours là quand il le fallait vraiment. Elle ne savait pas bien pourquoi, mais quand il sentait le tabac, ou l’herbe coupée, et que sa moustache était jaunie, il était davantage… là. Elle sentait très bien, alors, s’il était gai, ou sérieux, ou préoccupé – mais toujours comme il l’aimait. C’était Grand-Père.
« – Ce n’est pas tout de poser des questions, encore faut-il que ce soient les bonnes. »
Gilles se retient de hausser les épaules « Et comment sait-on que ce sont les bonnes? »
[...] « Parce que leur chercher des réponses change notre vie. »
(Éditions À Lire, p.633)
Les mots dans les livres ne sont pas pareils. Ils possèdent toujours quelque chose de magique, même lorsqu’il ne s’agit pas d’histoires de magie. (Éditions À Lire, p.248)
Et puis, Nikai, le temps de la musique, des la poésie, des histoires… Il ne passe pas de la même façon. Il ne « passe » pas.
(p.297)
Elle les observe avec amusement : après tout, le caractère n'a rien à voir avec le sexe : ils sont aussi insupportables en filles qu'en garçons. Mais non, pas insupportables. Jeunes, malicieux, débordants de vie.
Jambes toutes molles. Vaudrait mieux s’asseoir. Coude sur les genoux, tête dans les mains. Respire. Tout un boulot, respirer, quand on y pense. Pas y penser. Difficile. Je pense donc je suis. Tout un boulot, être, quand on y pense. (p.186)
Ce qui l’irrite le plus, c’est d’avoir pu aimer à ce point un être qui en fût si peu digne. Il était jeune, certes, mais pourquoi la jeunesse serait-elle une excuse à la stupidité? (p.137)
: la grammaire est complexe ( en fait , il y a plusieurs langues là-dedans , il s'en rend compte peu à peu en voyant comment les racines se distribuent , les préfixes , les suffixes ; ça ne le dérange pas ; sa propre langue , le virginien , fonctionne de là même façon ) . Mais c'est un jouet comme il n'en à jamais eu , un jouet infiniment transformable , toujours obéissant et pourtant toujours surprenant .
C'était peut-être une histoire d'amours, après tout.
Et… Oui, une très longue bataille, se libérer de soi, s’accepter. Et en même temps, toutes les autres batailles à recommencer sans cesse.
(Alire, p. 313)
Ou bien le sujet porteur se développe normalement, mais la faculté auto-régénératrice est presque entièrement inhibée, ou bien tu développes l’autorégénération mais c’est l’individu qui ne se développe pas. Philosophiquement, c’est un bel argument pour justifier l’entropie – un vieil argument d’ailleurs : grandir, c’est mourir un peu, mais sans mort pas de vie.
En montagne, les méditations prennent un caractère plus sublime, comme proportionné aux objets qui nous frappent. Il semble qu’en s’élevant au-dessus du séjour des humains, on y abandonne les sentiments ordinaires du monde et qu’à s’approcher des régions éthérées, on y contracte quelque chose de leur pureté… (p.171)
Il y a des moments où, de la présence simultanée d'éléments disparates, jaillit soudain une étincelle qui se propage aussitôt. Tous ces éléments portent à notre insu une parcelle identique de sens inflammable. Et elles se combinent en nous, une chimie invisible se cristallise tout à coup en une illumination, comme on dit, "fulgurante". Une intuition irrésistible. Après, on reconstruit, on se dit que "c'était évident" mais on se trompe : c'est devenu évident. Les conséquences de cet éclair sont allées modifier notre conscience en amont, comme en aval la réalité que nous percevons : notre futur, mais aussi notre passé. Et il faut tout un travail pour reconstituer cette intuition dans ses détails, retrouver dans la linéarité des mots cette certitude globale qui a en quelque sorte court-circuité le langage et la durée : il faut essayer, péniblement, de revenir, de se souvenir de ce qu'on a su.
Le bruit de l'air déchiré arrive ensuite , un bref sifflement assourdissant . Mais quand il est apaisé , le ciel est calme , et silencieux .
" Les femmes font des enfantes parce que sans cela la race humaine disparaîtrait. Et apparemment la race humaine n'a pas envie de disparaître, il y a quelque chose en chaque humaine qui la pousse à vouloir se reproduire ", dit Antoné, avec tout à coup une curieuse amertume.