Et le peu d'espoir qui me restait, je l'ai consacré au combat. Pour Klaus, pour toi, pour qu'un jour votre monde soit différent du nôtre. Le Mur n'a pas toujours existé Nina, tu le sais, mais je te le redis encore.
J'éprouve une haine profonde envers tous ceux qui l'on conduit dans ce fauteuil, une couverture sur les genoux, maigre à faire peur. Si Klaus n'était pas mort, si les hommes n'étaient pas assez fous pour abattre un des leurs de sang-froid, sans autre raison que la contrainte d'une idéologie commune, peut-être que mon père n'aurait pas sombré comme il l'a fait dans l'alcool, peut-être que sa désespérance n'aurait pas été aussi grande, et que le cancer ne serait pas en train de ronger son foie à petit feu.
La nonchalance de Jörg, la gaieté de Magda, notre insouciance, malgré tout ! Insoutenable légèreté d'une jeunesse qui se croit immortelle. Une sourde nostalgie me prend à l'évocation de tous ces moments que je sais résolument derrière nous. On ne peut plus faire semblant de croire que tout est encore possible, parce qu'on y est, on se frotte vraiment à la réalité maintenant et on ignore si finalement on parviendra à faire mieux que nous parents.
Alice écoute de toutes ses oreilles. Ce petit garçon blond et sa fleur unique au monde la fascinent. Et le renard, alors, n'en parlons pas. Elle n'est pas bien sûre d'avoir compris la signification de ce mot compliqué, "apprivoiser". Comme le petit prince, elle cherche à lui donner un sens.
Elle retient toutefois que si un lien spécial se créée entre deux êtres, on se sent moins seul, mais en contrepartie on a besoin de l'autre pour se sentir bien. Sa maman qui lui manque tant, est-ce qu'on peut dire qu'elle l'a apprivoisée, alors, quand elle était petite ? Et Julia ? Si elle devient son renard, est-ce qu'elle deviendra unique, pour elle ? (...)
Finalement, grandir c'est comme raboter ses ailes, pour voler moins haut, mais plus en sécurité
Mathieu étouffe, littéralement, dans sa belle cage dorée. Enfermé à l’intérieur de lui-même, incapable de profiter de l’instant présent. Il n’y a aucune douceur dans son quotidien, aucun lâcher-prise, et ce matin il en crève.
De désespoir, de colère, ou pour soulager cette tension qui monte comme une eau noire et puante, il pousse un juron, fort, et balaie d’un geste violent la tasse vide de café devant lui, qui explose avec fracas sur le carrelage.
Toutes les couches de la société semblent se réveiller d’un long hiver de désespoir et de famine intellectuelle, culturelle, sociale. C’est perceptible, ça vibre dans l’air, et nous on hume le vent, comme de jeunes animaux impatients.
Julia appréhende l’arrivée du printemps. La montée de sève qui l’accompagne, toutes les promesses de vie contenues dans chaque feuille, chaque bourgeon, et tous ces ventres rebondis qu’elle va voir réapparaître sous les robes légères
Il s’assied à côté de moi, je n’ai toujours pas dit un mot, j’en suis bien incapable. J’avale ma salive péniblement, tourmentée par ce flot d’émotions qui afflue enfin en moi. Mon état de sidération s’estompe un peu, je pensais tellement ne jamais le revoir ! Je l’avais enfoui si loin !
Je tourne enfin la tête vers lui, et nous nous regardons fixement, en silence, perdus dans l’échange de nos âmes et de nos souvenirs.
Je voudrais prendre cette tendresse comme une promesse