À l'occasion de leur venue à la librairie Dialogues pour une rencontre autour de leur livre, "Escale en Polynésie" publié aux éditions Au vent des îles, Titouan et Zoé Lamazou nous ont confié plusieurs conseils de lecture !
La femme de Parihaka de Witi Ihimaera : hhttps://www.librairiedialogues.fr/livre/6737338-la-femme-de-parihaka-witi-ihimaera-au-vent-des-iles
le baiser de la mangue d'Albert Wendt : https://www.librairiedialogues.fr/livre/702160-le-baiser-de-la-mangue-albert-wendt-au-vent-des-iles
Diadorim de Doão Guimarães Rosa : https://www.librairiedialogues.fr/livre/999016-diadorim-joao-guimaraes-rosa-editions-10-18
Pina de Titaua Peu : https://www.librairiedialogues.fr/livre/20130193-pina-titaua-peu-au-vent-des-iles
Au temps des requins et des sauveurs de Kawai Strong Washburn : https://www.librairiedialogues.fr/livre/18956184-au-temps-des-requins-et-des-sauveurs-roman-kawai-strong-washburn-gallimard
Manières d'être vivant de Baptiste Morizot : https://www.librairiedialogues.fr/livre/16090590-mondes-sauvages-actes-sud-manieres-d-etre-vi--baptiste-morizot-actes-sud
Calanques, Les entrevues de l'Aiglet de Karin Huet : https://www.librairiedialogues.fr/livre/16651719-calanques-les-entrevues-de-l-aigle-karin-huet-parc-national-des-calanques-glenat-livres
Belles découvertes !
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Se pouvait-il que ce peuple, naguère si fier, ne ressemble aujourd'hui qu'à un troupeau apeuré par la liberté même ?
Ce matin-là, avant de mourir, il a eu des yeux très étranges, un sourire moqueur, diabolique, il lui a sorti qu’un jour elle comprendrait que cette religion importée ne les élèverait pas. Ni eux, ni leurs descendants. Cette religion était la religion de l’exclusion. Ne croire qu’en un seul Dieu, c’était annuler toute possibilité aux hommes de s’élever au rang de divinité, et donc d’approcher la perfection. Ainsi, avec la religion chrétienne, l’homme sera condamné à n’être qu’un homme. Une créature toujours imparfaite, toujours demandeuse, toujours peureuse.
Ils ont raison. Et je souris, je ris. Tahiti, lieu de toutes les incompréhensions. Île des différences qui séparent.
Faut croire que le soleil oblige certains à perdre tout sens de la correction.Quand on voit ce qu’on voit, on ne peut s’empêcher de penser à une chose. Une chose qui sonne comme une réclame, un slogan bien trouvé : « Tahiti, laboratoire de cons en quête d’exotisme. »
Cela faisait un petit bout de temps que maman n’avait pas eu de relations suivies avec un homme. Elle n’avait eu que des flirts que nous ne tenions d’ailleurs pas à connaître. Aussi, quand plus tard elle nous présenta l’homme qui allait partager sa vie, ça a été un choc, du moins pour moi.
Second décalage, seconde blessure : l’intrusion d’une
nouvelle personne, d’un homme dans notre intimité.
Il n’y aurait désormais plus de « maman, mes sœurs, mon
frère et moi ». Il fallait à présent compter avec cet homme,
qu’apparemment elle aimait. Quand il s’est installé à la maison, je n’ai plus eu le droit de dormir près d’elle.
Je n’ai plus eu droit à la chaleur de ses seins, à son odeur.
J’ai dû partager le lit de ma sœur, qui avait la poitrine
trop plate à mon goût.
De cette époque, je garde des images très nettes, je
n’avais pas plus de cinq ans, mais j’avais des peurs, des
tourments de grandes personnes.
Toutes les histoires commencent par des histoires de famille. Dans chaque famille, il y a des personnes qui ont le même sang. C'est sûr. Mais il arrive que dans les familles, il y ait des destins qui se séparent, des gens qui ne se ressemblent pas du tout. Et ça amène des tas de rendez-vous manqués, des incompréhensions aussi. Ça arrive. C'est la vie.
J'ai le sentiment que nous, les enfants, on s'était fait une vie bien à part, je veux dire sans maman. Je veux pas jouer les petites Cosette, m'apitoyer sur notre sort, du genre "maman absente = délinquance", etc., mais il faut avouer qu'une mère, ça manque quand elle est trop occupée ou trop fatiguée.
Notre maître est un Chinois. On dit à l'école qu'il est sévère et impartial. Il n'a aucune préférence. Mais enfin, c'est quand même bizarre. Le tout premier jour des classes, il nous a lui-même installés. Alors, la salle de classe, elle ressemble à ça : devant il y a les élèves qui ont les cheveux blonds. Au milieu, on trouve des cheveux noirs, mais ce sont ceux des petits Chinois. Puis, au fond, d'ailleurs ça m'arrange, il y a nous, les "petits" d'ici. On est tous du même quartier. On n'est ni Chinois, ni un peu clairs. Au contraire, on est tous très marron foncé. La classe, elle fait un peu métissé pour être gentil, bariolée, stratifiée, pour dire les choses un peu méchamment.
Je sais pas si j’ai déjà dit que tante Poe avait des tonnes de gosses. Sûrement, parce que c’est la première chose à laquelle on pense, quand on la voit. Large, obèse, mais agile, des seins aussi vertigineux que les montagnes de chez moi, qu’on n’escaladait jamais. Tout ça, c’était le corps de tatie. Un corps fait, taillé pour porter le plus d’enfants possible, pour consoler les chiards, leurs petites et leurs grosses douleurs. Un corps qu’apparemment son mari aimait, aimera toujours, jusqu’au moment où le soleil et la terre seront vidés de leurs souvenirs.
Chez nous, les proxénètes, ça n’existe pas (pas encore), les vraies putes non plus, enfin les vraies femmes qui font le trottoir… Celles-là, elles devaient être uniquement dans les bars, interdiction pour elles de s’afficher. Elles aguichaient les marins de passage — Dieu sait qu’ils sont nombreux ici — et après, c’était leur cul, ça ne nous regarde en rien. Moi, je préférais les travestis d’avant, ils avaient une réelle sagesse, insoupçonnée, un sens de la solidarité aussi et surtout un formidable appétit de vivre. Les catins chez nous, on dit que ce sont plus des salopes que des putes. Je veux dire : elles faisaient pas vraiment ça pour l’argent, ô misère. La plupart, elles aimaient faire ça, mais pas avec n’importe qui. Pas avec leurs concitoyens, juste avec des Français (militaires la plupart du temps), qu’on appelle Farāni ; sans doute dans l’espoir de pouvoir partir un jour, de quitter ce trou pour revenir de temps en temps et, si possible, riches. Je cherche pas à les critiquer purement et salement, à les juger. Mais, c’était triste.
Elle a quelque chose dans le regard, on dirait ce vide qu’ont dans les yeux les gens qui n’attendent plus grand-chose. Leurs enfants se tiennent droit devant eux.
L’aîné sourit, il lui manque une dent, il doit avoir زneuf ans.
La cadette fait une moue bien visible, elle est à la droite de sa petite sœur qui a une espèce de rictus et qui plisse les yeux. Enfin, il y a moi, le bébé, que tient la femme au regard un peu triste.
Un bébé normal, potelé…
rien d’autre à dire.
Autour d’eux posent des amis qu’ils ne reverront sans doute jamais plus.
La photo est encore là aujourd’hui, elle dégage toujours autant de lumière.
Une lumière presque crue, aveuglante.
C’est un portrait de famille, mais on ne peut pas dire qu’elle soit très chaleureuse.
Elle a en quelque sorte figé la tristesse du départ.
Ils avaient beau tous sourire, ça sonnait un peu faux.
La douleur est encore visible… Je crois que tout départ est en soi
une blessure.