Une belle journée d'avril 2011, un homme se réveille dans un champ : c'est Hitler en personne. Il ne sait pas ce qui lui arrive, il ignore où il est et ne comprend pas que les gens ne le reconnaissent pas dans la rue. Complètement perdu bien que ne voulant l'admettre en tant que Führer, il atterrit dans un kiosque à journaux dont le propriétaire croit qu'il est un comique singeur de l'ancien dictateur. Il lui présente alors des gens de la télé, prêts à lui offrir une place dans un programme. Car il faut le reconnaître, ce type passerait vraiment pour Hitler !
Hitler toujours là. En 2011. Plus jamais ! scande-t-on depuis des décennies. Devoir de mémoire ! assène-t-on aux jeunes générations. Pas de doute, la population sait, la population ne laissera jamais un nouveau tyran dictateur briser des millions de vies.
Vous en êtes sûrs ?
Timur Vermes reprend le principe de La Vague de Todd Strasser, surfant sur la montée de l'extrême droite en Occident et le rejet et la peur ambiants bien que tabous (quoi que plus trop souvent) de l'étranger, du "différent".
Bien que basé sur un évènement absurde (le retour inexpliqué d'Hitler en plein milieu d'un terrain vague), la suite ne l'est pas tant que ça puisqu'elle admet l'accueil complet d'un personnage atypique et synonyme de massacre, sans une once d'effroi. Au contraire : tout le monde salue l'extraordinaire ressemblance, rit de concert avec lui des Turcs, achète les produits dérivés. C'est bien simple : tout le monde est charmé.
Cela ne vous rappelle rien ?
Sous couvert d'une émission télé boostée aux audimats, Hitler martèle ses idées. L'on croit qu'il critique le système actuel, qu'il blague pour mieux éplucher les failles de la société contemporaine. On en vient même à l'appeler "mon Führer", à crier "Heil !" et à faire le salut nazi.
Non, vous ne voyez toujours pas le problème ?
C'est là que se tient toute l'intelligence de ce roman. Vermes démontre que l'insouciance d'aujourd'hui serait capable de raviver les pires atrocités du passé, qu'à force de vivre sous les projecteurs des télé-réalités on accepte tout sans condition, pourvu que ça fasse de l'audience, et quelle audience ! On accepte tout de Hitler, Vermes joue sur l'aura du dictateur. Il est tout simplement fascinant de voir avec quelle facilité (même si elle touche à l'absurde, bien qu'encore une fois ce soit un absurde assez réaliste) le monde pourrait retomber dans le piège nazi.
Le summum de cet absurde incroyablement palpable et tangible intervient à la dernière page (je ne veux pas vous spoiler) avec une formule qui résume bien dans quel monde nous vivons actuellement.
C'est effrayant. C'est une pure critique de la société real-tv inintelligente. C'est très fort.
Deux bémols malgré tout : le récit est tout d'abord beaucoup trop centré sur les pensées d'Hitler, et finalement beaucoup moins sur l'impact qu'il peut avoir sur les Allemands. C'est souvent long, très documenté, trop historique pour les plus jeunes qui ne peuvent saisir les références (moults détails ne sont pas enseignés à l'école). Enfin, on note par-ci par-là de grosses fautes d'orthographe/conjugaison. Malheureusement pour Belfond, ce sont loin d'être de simples coquilles.
Notons enfin le travail impeccable fait sur la couverture, à la fois épurée et fort astucieuse.
En définitive : c'est une expérience à lire, pour s'interroger sur la pensée contemporaine des souvenirs du passé.
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