Commence alors pour Kaufmann, arrêté le premier, la série des interrogatoires par la Gestapo, le tour des prisons allemandes où se mêlent "droit communs" et politiques, où chaque claquement de verrou est ressenti comme l'annonce de l'exécution immédiate. Kaufmann échappera à la pendaison. Peut-être parce que, habitant Metz, parlant allemand, il sait mieux que d'autres trouver les mots qu'il faut à l'heure de l'interrogatoire. Mais surtout parce que, prenant sur lui toute la responsabilité de l'évasion, refusant de dénoncer ses compagnons, protestant qu'il n'est pas Juif mais travailleur déporté par erreur et faisant valoir haut et fort ses droits, Kaufmann, sans même s'en douter, retourne contre les policiers nazis le cliché du Juif forcément veule et lâche et suppliant.
L'hiver 1944 s'avance et avec lui le froid. Des chaussures qui cèdent, et c'est la mort. La veille de Noël, par moins 20, le chef de bloc Otto, ivre, pénètre dans la baraque. Il ordonne à Kaufmann de le suivre en chemise et en caleçon et le conduit aux lavabos. Là, Kaufmann découvre des blocs de glace dressés contre le mur, où sont pris des hommes. Les Kapos les ont arrosés avec une lance à incendie jusqu'à ce qu'ils gèlent vivants et que la glace les transforme en quilles géantes pour un jeu de boules monstrueux. Kaufmann, plaqué contre le mur, est plié en deux par le jet. Mais il ne crie pas, ne gémit pas. Étonné Otto arrête le supplice. Kaufmann, arrache ses pieds de la glace et regagne la baraque. Il n'aura même pas un rhume.
J'improvise une variante en espérant qu'aucun évadé ne viendra me contredire. Il faut rendre plausible la réussite de mon plan dans le temps limité dont je disposais, entre la Lorraine et la Hesse, pour mener à bien l'entreprise. J'affirme alros que les couteaux étaient entiers au début de la tentative, et que les têtes d'entailles permettraient une entame rapide des planches (dont je pense qu'on n'ira pas sur place vérifier l'épaisseur_. Les têtes ne sont pas cassées que plus tard, sur les rivets. Ces version lui paraît vraisemblable.
Je réponds oui, sans hésiter. D'abord parce qu'à l'heure où les faussaires dénient jusqu'à la réalit même de la Shoah, de l'holocauste, le devoir de témoigner s'impose aux survivants.
Il hurle, gesticule devant les Polonais en leur expliquant qu'on a trouvé une fosse commune avec les cadavres de quatre mille cinq cents officiers polonais massacrés par les Bolcheviques, conseillés par leurs commissaires politiques juifs. Les Polonais sont invités à nous faire la peau, il ne leur arrivera rien.
Nous avons un ancien technicien militaire des transmissions à notre disposition. Nous logeons au troisième étage. Le quatrième est vide. De là deux fois par semaines, à heure fixe, notre spécialiste émet en direction d'un maisonnette située à deux cents mètres de la face nord du bâtiment qui nous abrite.