Roman mental
Chacun est, à un niveau plus ou moins secret de sa conscience, le romancier de sa vie. Nous racontons notre vie en permanence, à nous-mêmes ou à nos proches, en agençant les faits, composant par-ci, arrangeant par-là, oubliant ou refoulant, accommodant par touches, mentant même au besoin, allant parfois carrément jusqu’à réécrire certains épisodes du passé.
Nous sommes tous constitués d’une multitude d’histoires, et ces histoires – qu’elles soient réelles ou fantasmées – se sédimentent en une certaine idée de nous-même que nous nommons « identité ». Nous sommes traversés de fictions autant que d’histoires vraies, et nous narrons cela dans un processus permanent d’écriture et de réécriture de nous-même.
(...) De cette vie que nous racontons, nous lissons les plis, reprisons les accrocs ou bien les déchirures.
Jamais un poème n’a sauvé un homme, jamais, c’est vrai, jamais le verbe n’a rendu la vie, mais dans le fond il a peut-être permis à certains, fragilement, provisoirement, de rester des hommes, non c’est inexact car on reste un toujours un homme jusque dans la déchéance et dans la mort et dans l’oubli même de son humanité, mais peut-être qu’un poème a permis une fois à un homme de vouloir rester en vie.
Voilà pourquoi, curieusement, je lis, j’emmagasine des histoires, j’apprends des poèmes. C’est pour le cas où.
J’ai toujours grandi avec la conscience angoissante, extasiée et légèrement euphorique de la ténuité du hasard auquel nous devons notre présence au monde.
Tout être est improbable.