Un midi littéraire en compagnie de Mai der Vang et Souvankham Thammavongsa autour de leurs plus récents livres traduits en français: L'APRÈS-PAYS et LE K NE SE PRONONCE PAS!
An online meeting with the authors Mai der Vang and Souvankham Thammavongsa around their most recent books translated into French: L'APRÈS-PAYS and LE K NE SE PRONONCE PAS!
Conversation libre en anglais, ponctuée de lectures en anglais et en français par les traducteurs Marc Charron et Véronique Lessard.
L'APRÈS-PAYS de Mai der Vang
www.lbrs.ca/2mET9N9W
PRIX WALT WHITMAN 2016
Traduit par Marc Charron
L'APRÈS-PAYS revient sur les traces des Hmong du Laos à travers l'histoire d'une famille de réfugiés. Mai der Vang lève le voile sur la guerre et ses atrocités. Sa poésie résonne avec les chants chamaniques des ancêtres.
LE K NE SE PRONONCE PAS de Souvankham Thammavongsa
www.lbrs.ca/2mET9N72
PRIX GILLER 2020
Traduit par Véronique Lessard
Une fillette à l'école prononce obstinément le K muet du mot Knife. Un ancien boxeur se convertit en pédicure. Un père emballe des meubles destinés à des maisons qu'il n'habitera jamais. LE K NE SE PRONONCE PAS accueille les utopies, échecs, amours et petits actes de résistance des errants et réfugiés, qui tentent de trouver leurs repères loin de chez eux. On y croise des enfants bienveillants, des hommes blessés et des femmes fébriles. Ils désirent vivre. Et dans ces récits, ils vivent brillamment. Férocement.
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J'ai songé à mon père à ce moment-là, à ce qu'il penserait de nous, cueillant des vers de terre. Qu'en dirait-il ? Mon père était un homme bon. Personne le connaissant n'avait quoi que ce soit de mal à dire à son sujet. Il est mort très tôt dans ma vie. Je peux à peine me rappeler son visage. Je me souviens qu'il me traitait de laideron. Ma mère disait qu'il m'appelait comme ça pour que mon apparence ne me monte pas à la tête. Elle affirmait qu'on pouvait s'occuper de son apparence une fois qu'on avait étudié et trouvé un bon emploi. Seulement ensuite l'apparence vaut quelque chose. Pas l'inverse.
Le soir au dîner, l'enfant observe son père. Elle l'observe ramasser chaque grain de riz avec les baguettes sans en échapper un seul, manger sans rien laisser dans son bol. Il lui semble petit et ratatiné.
L'enfant ne lui dit pas que le k de knife est muet. Qu'on l'a envoyée chez le directeur, qu'on lui a expliqué les règles et pourquoi les choses sont comme elles sont. Ce n'est qu'une lettre, lui a-t-on dit, mais cette simple lettre, là toute seule, la première du mot, était le motif même de sa présence chez le directeur. Elle ne raconte pas qu'elle s'est entêtée à dire que la lettre k n'était pas muette. Elle ne pouvait pas l'être, a-t-elle insisté :
- Elle est devant ! C'est la première ! Il faut qu'elle ait un son ! et elle a hurlé comme si on lui avait enlevé quelque chose d'important.
Elle n'avait pas renoncé à ce que son père lui avait dit, à ce premier son, là. Et aucun de ces gens, avec toute leur vie de lecture et de bonne éduction, ne pouvait l'expliquer.
En regardant son père manger, elle pense aux autres choses qu'il ne sait pas. Aux autres choses qu'elle devra découvrir par elle-même. Elle veut dire à son père que certaines lettres, même si elles sont là, on ne les prononce pas, mais elle décide que ce n'est pas le moment.
En regardant son père manger, elle pense aux autres choses qu'il ne sait pas. Aux autres choses qu'elle devra découvrir par elle-même. Elle veut dire à son père que certaines lettres, même si elles sont là, on ne les prononce pas, mais elle décide que ce n'est pas le moment. Elle dit simplement à son père qu'elle a gagné quelque chose.
Mon père n'a pas fait de deuil. Il avait fait tout le deuil de cette vie en devenant réfugié. Perdre son amour, être abandonné par sa femme était un luxe, même, qui signifiait que vous étiez en vie.
Son visage à elle avait beau être lisse et lumineux grâce à tous les traitements facials, crèmes et sérums antirides, Raymond savait qu'elle se sentait comme son visage à lui, brisé et battu. Elle ne voulait pas reconnaitre ce visage et y lire de l'espoir. L'espoir, pour elle, était une chose terrible.
- Plus tard, dit-il en lao.
Puis, comme se souvenant de quelque chose d'important, il ajouta :
- Ne parle pas lao et ne dis à personne que tu es lao. Ne va pas raconter d'où tu viens.
L'enfant posa les yeux sur la poitrine de son père, sur les quatre lettres au centre de son t-shirt: LAOS.
(8)
...mais c'était la radio que ma mère chérissait par dessus tout. Un boîtier en métal à cadrant qui captait deux ou trois chaînes. Le bouton du volume n'avait que trois positions, puis n'allait pas plus loin vers la droite. Elle tenait la petite radio à l'oreille comme un coquillage. L'animateur parlait toujours brièvement entre les chansons, laissant échapper un rire ça et là. Un rire, dans n'importe quelle langue était un rire. Son rire était doux, intime, accueillant. On avait l'impression que lui aussi était seul quelque part.
C'est ça le truc quand on est vieux. On ne sait pas qu'on a des rides tant qu'on ne les voit pas. Être vieux, ça se passe à l'extérieur. C'est quelque chose que les autres voient à notre sujet.
- Hé, Dang !
C'est ainsi que ceux qui connaissaient bien Red l'appelaient. "Dang" veut dire "rouge" en lao. Ce n'était pas son vrai nom, juste un surnom qu'on lui donnait parce que son nez était toujours rouge à cause du froid. Elle détestait qu'il l'appelait par un surnom. Ca donnait une impression d'intimité entre eux, une intimité mal venue. Il disait "Dang" comme si une ampoule s'était allumée en lui, rendant Red responsable de ce qu'il pouvait voir de lui-même.
Quoi, tu crois que tu as une chance avec cette Miss Emily là ? Elle est riche et instruite. Rien de ce que nous sommes ou ne serons jamais. Ne rêve pas en grand maintenant, petit frère. Garde tes rêves petits. De la taille d'un grain de riz. Faits-les cuire et ravale-les le soir, puis chie-les au matin. Çà n'arrivera jamais. S'il y a quelque chose que je connais dans cette vie, ce sont les femmes riches. Et cette femme n'est pas pour toi.