A l'occasion des 6 ans du mouvement #MeToo et pour la sortie du livre #MeToo l le combat continue aux éditions du Seuil, Mediapart a organisé une soirée spéciale le 19 octobre 2023 à la salle Olympe de Gouges dans le 11ème arrondissement de Paris.
#MeToo : À quoi servent les médias ?
- Rose Lamy, autrice de « Défaire le discours sexiste dans les médias »
- Valence Borgia, avocate et membre de la force juridique de la Fondation des femmes
- Alexis Levrier, historien des médias et maître de conférences à l'Université de Reims
- Laure Heinich, avocate
- Camille Aumont Carnel, autrice et animatrice de @Jemenbatsleclito
00:00:00 - 00:09:35 : Introduction par Lénaïg Bredoux co-directrice éditoriale de Mediapart, et présentation des invités par Marine Turchi journaliste au pôle Enquêtes de Mediapart.
00:09:35 - 00:17:53 : A quel moment la presse a-t-elle commencé à s'intéresser aux questions de violences sexuelles et sexistes ? avec Alexis Levrier.
00:17:53 - 00:27:31 : Comment percevez-vous le mouvement Metoo ? avec Rose Lamy.
00:27:31 - 00:37:15 : Quel est le rôle des médias et des réseaux sociaux dans ces affaires de violences sexuelles et sexistes ? avec Camille Aumont Carnel.
00:37:15 - 00:43:45 : Les médias accompagnent-ils le mouvement de libération de la parole et de l'écoute ? avec Valence Borgia.
00:43:45 - 00:50:15 : L'utilisation par les médias du langage judiciaire dans ces affaires, et la question de la présomption d'innocence, avec Valence Borgia.
00:50:15 - 01:00:25 : Comment voyez-vous le rôle des médias ? Quelle place pour que chacun et chacune puisse raconter son récit ? avec Laure Heinich.
01:00:25 - 01:08:15 : Présomption de culpabilité et tribunal médiatique, avec Laure Heinich.
01:08:15 - 01:15:50 : Quand est-ce qu'apparaît l'expression de "tribunal médiatique" ? Pourquoi cette expression est-elle un piège ? avec Alexis Lévrier
01:15:50 - 01:19:08 : Quid des "carrières brisées" ? Est-ce que les médias ne se trompent-ils pas d'analyse lorsque de nombreux mis en cause sont toujours invités sur les plateaux et les victimes mises au ban ?
Mediapart n'a qu'une seule ressource financière: l'argent issu de ses abonnements. Pas d'actionnaire milliardaire, pas de publicités, pas de subventions de l'État, pas d'argent versé par Google, Amazon, Facebook
L'indépendance, totale, incontestable, est à ce prix. Pour nous aider à enrichir notre production vidéo, soutenez-nous en vous abonnant à partir de 1 euro (https://abo.mediapart.fr/abonnement/decouverte#at_medium=custom7&at_campaign=1050). Si vous êtes déjà abonné·e ou que vous souhaitez nous soutenir autrement, vous avez un autre moyen d'agir: le don https://donorbox.org/mediapart?default_interval=o#at_medium=custom7&at_campaign=1050
+ Lire la suite
- si les accusés sont relaxés, l'accusatrice était une menteuse qu'on peut accuser de diffamation ;
- si les accusés ne sont pas encore jugés, l'accusatrice pourrait être une menteuse et il faut la faire taire, elle et ses soutiens, pour respecter un principe de présomption d'innocence dévoyé ;
- si les accusés sont jugés coupables, la présomption d'innocence s'applique jusqu'à ce qu'ils aient épuisés toutes les voies de recours.
On attend des victimes qu’elles soient moralement irréprochables, sexuellement peu actives, habillées sobrement, qu’elles ne consomment pas d’alcool ou de stupéfiants, ne s’aventurent pas seules ou tard dans l’espace public et aient un comportement exemplaire au moment de l’exercice de la violence et après, en présence des forces de police, qu’elles ne manqueront pas d’interpeller dans un délai évalué raisonnable, lui aussi.
« Le nombre d'interventions de la police et de la gendarmerie pour violences intrafamiliales reste très élevé : plus de 400 000, soit quarante-cinq interventions par heure. » Quarante-cinq interventions par heure, c'est une intervention toutes les minutes et trente secondes - 1 080 interventions en vingt-quatre heures. Il précise: « Il ne se passe pas une journée sans que le GIGN ou le RAID aille libérer une femme ou des enfants pris en otage...» Avant de conclure :
« [Les violences intrafamiliales] sont en train de devenir le premier motif d'intervention des policiers et gendarmes. » Et pour ces sta-tistiques, combien de femmes et d'enfants qui n'ont pas encore composé le numéro des secours ? Qui ne le feront jamais, comme moi, parce qu'on leur a confisqué leur histoire ?
Les bonnes mères de famille, dont on sait pourtant qu'elles gèrent principalement l'éducation des enfants et toute la charge émotionnelle et mentale des cellules familiales, n'existent pas dans le référentiel patriarcal. Elles sont, en creux, ramenées à l'excès, au chaos, à l'hystérie. Dans cette fiction sociale écrite par les bons pères de famille, les femmes et les enfants sont les éléments perturbateurs.
Les patriarches tiennent le beau rôle, et les hommes violents, ce sont toujours les autres, les monstres, les fous, les étrangers, les margi-naux. Enfin, c'est ce qu'ils (se) racontent.
Quand des militantes féministes s'opposent au principe voulant qu'on sépare l'homme de l'Artiste, elles demandent simplement de ne pas oublier les crimes et les délits de l'homme au nom de la qualité des œuvres. C'est logique, cela relève du bon sens, puisque quand on consomme les œuvres de l'artiste, on enrichit l'homme, en capital social et économique, c'est-à-dire en influence et en argent. Celui-ci dispose alors de davantage de moyens pour assumer le coût financier de sa défense et son impunité grandit avec le soutien qu'on lui apporte.
J'ai ressassé cette histoire quelques années avant de comprendre une chose importante.
Blaguer, ironiser, rire des violences conjugales ne consiste pas seulement à déshumaniser les femmes et les enfants. Le processus permet également de rendre sympathiques des hommes violents, qu'on considère comme de lointains copains gaffeurs, à qui on met une tape dans le dos avec fraternité. On prend de la distance avec leur comportement sans jamais dénoncer leurs violences, jugées secon-daires, ou légitimes.
Les hommes violents ne sont ni des monstres affreux, ni les héros d'un roman national inventé pour les dédouaner de leurs responsabilités. Ils sont là, parmi nous, exactement dans la norme sociale, au cœur de nos foyers, ce sont nos pères, nos maris, nos compagnons, nos fils, nos cou-sins, nos amis. Et tant que la société n'aura pas accepté cet état de fait, nous ne saurons pas mettre fin aux violences domestiques.
Le violeur ce n'est pas soi.
Dans les représentations collectives, c'est un marginal, un "fou", un animal, un monstre laid, une anomalie, qui vient faire effraction dans un monde où le viol n'existe pas. Il est envisagé comme pauvre, racisé, armé et sévissant dans l'espace public. Dans des parkings mal éclairés de préférence. Pourtant, á nouveau, les chiffres démentent ces croyances.
Ainsi, pour expliquer d'où survient la violence, on cherche encore trop souvent du côté du comportement des victimes, qui auraient transgressé les règles du père, comme si le non-respect des lois des patriarches constituait un mobile objectif.
Dans les brèves de faits divers, tout tourne autour des motivations et de la psychologie des bons pères de famille.
si aujourd'hui j'ai décidé de croire systématiquement les victimes rapportant des faits de violence patriarcales, il n'en a pas toujours été ainsi. Parce que, comme tout le monde, j'avais moi-même intériorisé ce que j'appellerais un discours de déni des violences.