Et soudain jaillissent les larmes, chaudes, bienfaisantes, qu'elle n'avait pas encore réussi à verser depuis la macabre découverte. Elle n'a plus besoin de questions, désormais, pour parler. Emma est à nouveau devant elle, bien vivante, elle a réussi à oublier ce corps nu et déchiré qui ne peut pas être elle. Emma rit, danse, chante, mène la vie joyeuse des châtelaines insouciantes qui n'ont pas encore appris que le mal existe. Emma est vivante, si vivante que les larmes de Marie se tarissent.
Elle est en train de se vider de sa cousine, de laisser toute la laideur de la vie à ces hommes en manteau noir blasés sur la noirceur du monde, pour ne garder que les souvenir resplendissants. Emma était un soleil. Les plus insensibles des meurtriers ne l'ont-ils pas compris en faisant rayonner sa chevelure d'or, saisis d'on ne sait quel respect superstitieux pour cette déesse immolée ?
Et ces autres cœurs de pierre, ces dominicains habitués à fouiller le crime et l'hérésie en écartant les sentiments comme le chirurgien écarte la chair vive pour exhumer l'organe malade, les voilà à leur tour saisis par cette présence vivante qui a soudain envahi la salle. Emma redevient sous leurs yeux une jeune fille enjouée que rien ne prédisposait à devenir la proie d'assassins déments. Ils en oublient le bras droit du diable, leur méfiance innée devant le sexe féminin, leur conviction préétablie d'avoir affaire à une sombre histoire de sabbat telle qu'on leur en raconte si souvent dans les provinces, et même à Paris. Ils en oublient presque de poser leurs questions et, après s'être concertés su regard, ils remercient leur témoin avec une douceur inaccoutumée.