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Citations de Philippe Sollers (1550)


Philippe Sollers
Et voici, maintenant, en final de ce petit florilège - que vous êtes invités à compléter - un texte de Philippe Sollers, intitulé « Le désir », extrait de La Guerre du Goût :

« Quelqu’un qui, aux deux questions suivantes : Qu’espérez-vous ? Que désirez-vous ? répondrait, « rien », commettrait un délit grave ou passerait pour fou. Le désir ou la dépression, il faut choisir. Désirez ! Délirez ! Voilà l’ordre. « C’est bien ainsi que se présente désormais la vulgarité de la planète spectaculaire. » (Debord.)

Le narrateur de La Fête à Venise dit à moment : « Pour que les esclaves modernes, acceptent, et même revendiquent, leur condition, il faut les droguer d’images et de racontars en permanence ... Ça ne jouit plus, ou le moins possible : trop dangereux pour l’installation irradiée. Sans cesse excité, sans fin déprimé, tel sera le spectateur du spectacle. Il, ou elle, est une reproduction. Il, ou elle, sera utilisé comme reproduction de reproduction. »

Cette automatisation anonyme et programmée du désir, lequel est, par définition, toujours désir d’autre chose (d’une autre marchandise plus convaincante, plus comblante), fait étrangement de Pavlov le penseur le plus actuel. Stimulus ? Réponse ! L’originalité, ici, sera bannie, de même que l’invention atypique, tordue, vicieuse, joueuse. Tout devant être socialisé à l’extrême, et à chaque instant, la moindre trace de distance, de réflexion, d’incrédulité, d’ironie sera sévèrement jugée. D’interdit, le sexe devient obligatoire, ce qui revient à l’empêcher bien plus efficacement qu’en l’assimilant à l’enfer. Si tout le monde touche à la sexualité, la sexualité se dissout. Si chacun est homosexuel, plus personne ne l’est. Si l’on désire à la fois la loi et la transgression, il n’y a plus ni loi, ni transgression. Si la perversion est la norme, plus de perversion. On entre dans ce que j’ai appelé une perversation généralisée (comme on dit malversation). Ce qui touche au désir devient une valeur d’échange, l’usage est immédiatement rabattu sur l’échange, le désir manifesté ici ou là est donc, tout au plus, une information. Les retardataires du désir doivent le savoir : ils campent sur des positions minées d’avance. Non, il n’y aura pas de retour à la morale, à la religion, à la famille, à l’identité, à l’ordre musclé. Ce qui n’empêche pas qu’il faut toujours les faire craindre, pour accélérer la mise en place du dispositif nouveau. Attention, fascisme ! (Pêle-mêle : le pape, les intégrismes, les nationalismes, les racismes, etc.) La vérité est, d’ailleurs, que les anciennes figures du refoulement peuvent très bien s’accommoder de la surexposition du désir-marchandise, et même encourager ce dernier en en tirant les plus grands profits. Une seule règle : montrer sans relâche à quel point le désir est élémentaire, tout-puissant, naturel. épanouissant, partagé, constant. Cette pseudo-démocratie du désir le rend bête et laid ? Eh oui, sans doute, mais c’est. bien la preuve d’un problème en voie de résolution (la pornographie doit être la plus moche et la plus idiote possible, il n’est pas question qu’elle s’exerce aux frontières de la conscience de soi : le sexe n’a pas à rendre intelligent ou à renseigne sur la beauté, il vous rappelle simplement que vous êtes comme les autres). Un magazine branché publiait récemment ma définition : « S., écrivain érotomane. » Ce qui veut dire : on vous pardonne d’être écrivain parce que vous êtes érotomane (et surtout restez-le, on vous a à l’oeil). Le contrôle des stéréotypies sexuelles est un impératif du marché des choses comme des corps. Ne vous a-t-on pas déjà dit, autrefois, que vous étiez. des machines désirantes » ? Eh bien, ce que la machine veut, la Technique le peut. Non seulement pour vous, mais pour tous, et dans tous les sens.

[...] Pour qui vous prenez-vous pour affirmer une singularité dans cette grande unanimité ? Vous êtes bien dans la classe des ceci, des cela Vous êtes bien un homme ? Ou une femme ? 0u un peu des deux ? Nous avons les réponses à vos questions, d’ailleurs inutiles. Soyez ce que vous voudrez mais pas vous. L’anesthésie du désir est prévue par son simulacre de satisfaction (les sondages ne sauraient porter sur les variations de jouissance, cela demanderait une élaboration verbaIe, et c’est l’aphasie qui est recherchée). Là encore, les attardés du vieux monde auront tort de parler de « décadence » (mollesse, désordre, ignorance, affaissement des valeurs). La décadence est depuis longtemps passée, nous vivons au contraire la construction énergique, inlassable, percutante, d’une nouvelle Tyrannie d’ensemble. Son but, qu’il ne faut pas une oreille bien fine pour entendre, est de populariser le désir de mort. Que reste-t-il à vouloir, pour un être humain convaincu de n’être qu’une reproduction de reproduction, sinon s’effacer ? Pour lui en donner le goût et la détermination, il conviendra de le maintenir en état constant d’énervement et de frustration. Comme le drogué, on lui révélera son désir pour le transformer en besoin, le tout finissant dans la plus banale des disparitions acceptées comme un soulagement nécessaire. Il y aura donc les Maîtres et les Esclaves, et c’est sans doute la raison pour laquelle on n’a jamais tant parlé de démocratie. D’un côté, la maîtrise des reproductions artificielles ; de l’autre, les numéros artificiellement reproduits.
[...]
Le désir est un projet de contre-société permanent. Ils sont peut-être en cours d’organisation, les nouveaux acteurs de ce terrible blasphème : rien pour la Société, tout pour nous. Ils passeront entre eux des contrats bizarres. Ils auront leurs signes de reconnaissance, leurs crétions, leurs fausses indiscrétions. Des romans les décrivent peut-être déjà, qui échappent, comme par magie, à la police du Spectacle. sont plus proches de la logique impeccable :1’ l’amour courtois que des clichés indéfiniment ressassés [...]. Ils se désirent parce qu’ils se parlent tout en se touchant, dans une langue incompréhensible ou qui ferait dresser les cheveux la tête des fonctionnaires de l’illusion. Ils ne sont pas achetables, pas récupérables. De telles sociétés de plaisir ont, paraît-il, existé au dix-huitième siècle : l’Empire les pourchassa sans trêve, on n’a sur elles que peu de renseignements. Il semble qu’en ce temps-là les femmes n’hésitaient pas exister pour elles-mêmes, avant de devenir la population privilégiée de la grande manipulation économique de masse. L’une de ces sociétés mystérieusement antisociales s’appelait : Société du Moment. C’est la grâce que je me souhaite.
»

Philippe Sollers
La Guerre du Goût,
Gallimard, Folio, pp. 236-242
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Philippe Sollers
Céline au Panthéon ? On voit bien que la question ne se pose pas et ne se posera jamais . Il y a des écrivains qui font consensus (ce n’est pas pour ça qu’on les lit comme il doivent être lus) et d’autres qui seront toujours l’objet de polémique : Céline est évidemment de ceux-là. Ce n’est pas pour ça qu’on le lit vraiment. L’argument des détracteurs est connu : l’antisémitisme revendiqué de Céline. Il est indéniable et, bien sûr, insoutenable. Mais est-ce une raison pour ne pas lire ? A ce jour, à l’exception de Mea Culpa, les célèbres pamphlets — Bagatelle pour un massacre (1937), L’École des cadavres (1938), Les beaux draps 1941) — ne sont pas réédités [3]. Dans un récent article du N.O., Jacques Drillon rappelait ces mots de Philippe Muray : « Notre époque veut ignorer que l’Histoire était cette somme d’erreurs considérables qui s’appellent la vie, et se berce de l’illusion que l’on peut supprimer l’erreur sans supprimer la vie. » Drillon ajoutait : « Si l’on ne peut pas lire les pamphlets antisémites de Céline, on ne pourra pas démonter son antisémitisme, ni même démontrer que Céline était antisémite. Or il l’était. Donc, trompés, nous mentirons à notre tour. »
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Philippe Sollers
Alors cette question: écrire, pourquoi? Pour respirer, tâcher de rattraper cet
instant si court, si décisif de l'enfance qu'on sent s'éloigner. Passe-t-on sa
vie à regretter le passé qui ne s'incarne plus? Ou plutôt à mimer sa
disparition ?.

Je n'aurais, quant à moi, jamais pu écrire Paradis, Femmes, Portrait du
Joueur, Le Cœur absolu, Les Folies Françaises, Le Lys d'Or, La Fête à
Venise, Le Secret, si Je n'avais senti en permanence planer près de moi la
main dégagée, active, cruelle et indulgente de Nietzsche.
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Roman

On travaille trois ans, en douce, à un roman, il vous a suivi partout, le jour, la nuit, en rêve. La fin s'annonce, les scènes et les dialogues d'adieu s'organisent, deux personnages doivent se rencontrer dans un restaurant et laisser leur aventure en suspens. Voici la dernière phrase. Elle va s'éloigner, rejoindre la première, là-bas. Un matin, très tôt, alors qu'il pleut violemment dehors, on boucle le manuscrit, et on sait que la seule chose à faire est d'en commencer aussitôt un autre. Le titre ? Trouvé. La première phrase ? Ça, c'est le plus dur, il faut la laisser venir et s'imposer d'elle-même. Le reste suivra.
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Un universitaire, l'autre jour, à la télévision, me traite brusquement de "papillon médiatique". Je me demande s'il a bu, mais non.
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Tire-toi d'affaire comme tu pourras, m'a dit la Nature en me poussant à la vie,
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Freud s'est fait euthanasier avec l'accord de sa fille. Il n'en pouvait plus. Tout indique qu'il a quitté sans regret l'océan de la connerie humaine, transformée aujourd'hui en télé-irréalité. Kafka, au comble de la souffrance dit à son médecin : 《 Si vous ne me tuez pas, vous êtes un assassin. 》 La plupart des humains préfèrent la souffrance au néant. En revanche, des clandestins, pour ne pas parler sous la torture, se sont supprimés. Saluons-les.
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Pour exister il suffit de se laisser être,
Mais pour vivre
il faut être quelqu'un
pour être quelqu'un
il faut avoir un OS
ne pas avoir peur de montrer l'os
et de perdre la viande en passant.

(Antonin Artaud)
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Vous pensez sans doute que l’auteur exagère, vous allez me dire que personne n’a jamais vu des fleuves battre des mains, ni des montagnes crier de joie. Moi, si, mais je me garde bien de le dire. On me trouve assez fou comme ça.
L’auteur est déchaîné, il veut que tout exulte et jubile. Il convoque des cors, des harpes, des cithares, des danseuses, des tambours, des cordes, des flûtes, des cymbales, bref « tout ce qui respire ». Qui a enregistré ces fêtes ? Tout n’a-t-il pas disparu ?
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On est tellement à contre courant qu'on ne sait plus où est le courant.
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Les étoiles, les oiseaux, l'air, les mots : c'est notre voyage.
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On parle toujours trop, même en ne disant rien, le silence à deux est un art.
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La folie des enseignants et des enseignantes vous a renseigné,dès votre plus jeune age,sur le sadisme et la volonté de puissance qui habitent ces corps désertés.
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Le nihiliste, à propos du génie : "Quel-
que chose d'autre que lui vivait en lui, passait
par lui, allait plus loin que lui, était très
différent de lui", etc.
Bref, sans cesse : lui n'était pas lui.
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J'arrête la voiture sur les hauteurs, de l'autre côté du fleuve; je descends, je regarde la ville allongée... Silence. Brume. Port de la lune... Croissant argenté dans l'eau... Garonne miroitante blanche... Air d'ailleurs. D'où, au fait ? Voiliers vers Londres, Amsterdam. Anvers, cales bourrées de claret... Arrivées de Montevideo ou Valparaiso... Aliénor d'Aquitaine, mariage avec Louis VII, le 25 juillet 1137, dans la cathédrale Saint-André... Et puis, trahison, à nous l'Angleterre... Nous sommes des traîtres-nés... Nous avons nos bateaux, nos vins, ils n'appartiennent à personne... Palais de l'Ombrière, L'Ormée... Avocats, marchands, étendard blanc à croix rouge... Spectres sortis du gravier... La France? Méfiance. Taxes, commissions, limitation des libertés... A bas Jeanne d'Arc, Louis XIV, Mazarin, les Jacobins, Napoléon et l'Empire... Vivent les princes Condé ou Conti. Louis XV et l'Angleterre, toujours... L'Espagne, s'il le faut... La Fronde... "Caractère frondeur" ..... David contre Goliath... Girondins écrasés. mémoire niée, latérale, transmise à mots couverts contre la version scolaire, militaire... Entrepôts gardant l'odeur des Antilles, gingembre, cannelle, girofle, tiédeur du sucre imprégnant les murs... C'est ici qu'ils viennent se réfugier, ces emmerdeurs de Français, quand ils ont des ennuis à l'Est... Allemands? Russes? Pareils
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Reproduire famille ,reproduire société, reproduire argent, buée, vanité, tuer singularité, propulser nuée, progrès technique, misère mentale, prise de sexe, prise de fric, répétez, roulez. Tout mais pas de pensée, pas de gratuité calme.
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nié face à face, niant la membrane,l'entrée:ce qui s'y trouve existe ailleurs,ce qui n'y est pas n'est nulle part:NE-
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« A quoi bon prendre la vie au sérieux, puisque de toute façon nous n’en sortirons pas vivants ? »
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2/
Voilà la décision, donc, à vingt-deux ans,
un matin de printemps, en pleine semaine,
il fait très beau, je m’en rappelle encore, je
n’hésite pas, je me rends dans une papeterie
pour étudiants thésards, je demande à louer
une machine à écrire. Je repars avec le gros
objet dans sa caissette à poignée. Le soleil
jette sur toute la création une lumière insoutenable, dans les rues le moindre objet poli brille comme un diamant, tout paraît transparent et enflammé à la fois, mais d’un éclat
pâle et immaculé, et même plus blanc que
le blanc terrestre.
Une fois revenu chez moi, je glisse une
première feuille dans la machine et je tape
une histoire que je voulais raconter, une histoire de femme. Tout devient si facile une
fois que je l’écris, le monde se met à ma hauteur, il se ralentit ou il s’accélère, il s’adapte
à mon corps, il m’accompagne enfin. Les
étincelles naissent naturellement. Ce que j’ai
vécu, quand je le fais passer à travers le langage, prend soudainement un sens. Tout
s’éclaircit, s’organise, s’anime et vit, le monde
ressuscite d’un coup.Je frappe les touches des lettres et les
mots apparaissent, et ils composent leurs
phrases, qui elles-mêmes choisissent les paragraphes et les chapitres qu’elles souhaitaient
bâtir. Je reste à taper sur la machine à écrire
tout l’après-midi, lentement, d’abord avec
un seul doigt, puis avec l’index de chaque
main. Je suis assis devant la fenêtre ouverte plein sud, le soleil tourne sans faiblir, la lumière est maximale, puis vers la fin d’aprèsmidi sa couleur change lentement à mesure
que sa force diminue, prenant peu à peu des
accents orangés. J’ai composé vingt pages
dans la journée, j’ai raconté mon histoire
de femme d’une seule traite. Peu importe
qu’elle soit bien écrite, intéressante ou forte,
je l’ai gravée, restituée, rendue au monde, et
cela m’a comblé. Sans hésiter, j’ai exercé ce
qui semble être dorénavant mon vrai métier.
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MARC PAUTREL
DES MIRACLES

1/
Le combat est diérent pour chacun,
et le combat est sans fin.
philip roth


Un jour, j’ai goûté la lumière et je l’ai
adorée. C’est comme ça que tout a démarré.
Je m’en souviens très bien, j’ai vingt-deux
ans et l’été précédent j’ai découvert les livres
de Marcel Proust. Je les ai immédiatement
aimés, je les relirai souvent ensuite, sans vraiment les comprendre au début, les admirant
seulement à l’aveugle, découvrant peu à peu
leur magie, je les relirai toujours.
J’ai vingt-deux ans et je suis étudiant,
mais je ne vois jamais personne, mes condisciples masculins sont plats et tristes, les
femmes nerveuses et agressives. Les études
elles-mêmes, le Droit, ne me laissent pas
indifférent, mais les enseignants sont médiocres et déprimants, à l’exception d’un
seul, excessif et brillant, jeune, exigeant, pessimiste et drôle, prophétique et apocalyptique, et dont le nom m’est resté en mémoire,
Monsieur le Professeur Conte, Dieu sait où
il est maintenant.
Bien sûr, près de Bordeaux il y a l’océan,
l’immense forêt de pins sylvestres sur deux
cents kilomètres tout autour, le vignoble et
ses liquides divins, mais je reste pourtant
seul et je m’ennuie beaucoup.
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