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Critiques de Patrick Modiano (2024)
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Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier

De façon raccourcie : ça c'est fait !



De façon mondaine: ma Chère, avez vous lu le dernier Nobel , j'adôôôre !



De façon langue de bois: Ce Modiano quel livre !



De façon cavalière : lire Modiano et mourir d'ennui !



De façon poétique : que pour lire cet ouvrage

il m'a fallu de courage

pourtant peu de pages il avait

c'est dire combien il m'a barbé !



De façon télégraphique: lu Modiano: RAS



De façon argotique: Ce gazier doit affurer un max quand il gratte !



De façon parisienne: boulot-Modiano-dodo ...
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Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier

Vous serez peut-être tenté, tout comme je le fus, de vous jeter sur le dernier roman de Patrick Modiano lequel fut couronné le 9 octobre dernier par le Nobel de littérature, Sans surprise, son roman "Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier " bat des records de vente...



Mais quelle déception ce fut ! Une histoire sans grand intérêt d'un personnage qui est maladroitement à la recherche de son passé et qui le redécouvre par bride mais en perdant, au passage, le pauvre lecteur qui se demande bien où il veut en venir. Rien à voir avec l’œuvre magistrale de Marcel Proust, comme ont osé l'affirmer certains critiques. Ce n'est pas parce qu'on est à la recherche "du temps passé" qu'il nous faille crier au génie et prétendre y trouver des similitudes avec l’œuvre de Proust.
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Dora Bruder

J'aime à me rappeler des chemins qui me mènent à certains livres, surtout lorsque se crée une chaîne complice entre deux oeuvres qui ont résonné en moi. C'est le magnifique 209 rue Saint-Maur, autobiographie d'un immeuble, de Ruth Zylberman qui m'a conduit à Dora Bruder par la magie d'un commentaire.



Celui d'Enjie77. Et elle a raison de faire le parallèle entre les deux livres, la façon qu'a Ruth Zymberman de partir à la recherche des enfants juifs qui ont vécu dans un immeuble anonyme parisien durant l'Occupation fait écho à l'enquête de Patrick Modiano pour retrouver des traces de Dora Bruder, jeune juive dont il découvre l'existence par le biais d'une petite annonce paru le 31 décembre 1941 dans le journal Paris-Soir : ses parents la recherchent, elle a fugué.



Ceux qui sont sensibles à la prose de Modiano le seront à ce magnifique roman tant il exhale toute la quintessence du charme modianesque. On retrouve toutes les obsessions de l'auteur pour Paris, la période de l'Occupation, sa nostalgie, sa mélancolie. Sauf que là, sa topographie personnelle se double de celle d'une autre, Dora Bruder, et même culmine en une troublante psychogéographie à double face. Ce qu'il devine d'elle s'immisce en lui au point de le hanter. Lui aussi a fugué, lui aussi à un père juif qui s'est fait raflé ( mais qui en a réchappé ) à Paris en 1942, peut-être en même temps extrapole-t-il. Modiano et Dora semble fusionner comme le font les périodes évoquées en un tourbillon temporel pleine de douceur et de poésie.



« Il faut longtemps pour que resurgisse à la lumière ce qui a été effacé ». Et c'est vrai qu'au gré des déambulations parisiennes de Modiano sur les traces de Dora Bruder, c'est surtout le vide et l'absence qui m'a saisie, l'empreinte de Dora est là, en creux, difficile à appréhender même si l'auteur parvient, entre recherches archivistiques et coup de pouce de Serge Klarsfeld, à reconstituer un petit peu de la vie de cette inconnue qui a vécu au 41 boulevard d'Ornano tout près de la porte de Clignancourt ( 18ème arrondissement ) avant d'être déportée à Drancy puis Auschwitz neuf mois après sa fugue de l'école religieuse Sainte-Coeur-de-Marie.



Le roman se termine par ces mots superbes: «J'ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d'hiver de sa première fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s'est échappée à nouveau. C'est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, L Histoire, le temps - tout ce qui vous souille et vous détruit - n'auront pas pu lui voler.»



En abordant la grande Histoire sous l'angle d'un destin individuel, Patrick Modiano ressuscite des fragments d'une vie volée, tirée de l'oubli avec élégance qui avance à pas feutrés, avec une sensibilité qui frémit entre les mots et explore les subtilités de la mémoire et la complexité de l'identité.



En 2015, a été inaugurée une promenade Dora-Bruder : pas de plus bel hommage pour cette éternelle jeune fille et pour un auteur qui vibre Paris et s'y voit ainsi inscrit pour toujours.





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Rue des boutiques obscures

Pour beaucoup, ce que je vais raconter ici paraitra dérisoire : "Rue des boutiques obscures" est le premier livre que j'ai eu entre mes mains qui ne soit ni une surprise, un livre de poche, un livre d'occasion. Ma première volonté de lectrice, d'économiser pour m'acheter un livre des Editions Gallimard, le prix Goncourt, dont j'avais aperçu l'auteur par hasard, dans un soir d'internat où je végétais, trainais une adolescence interminable, dans la lucarne télévisuelle, une émission "Apostrophes", seule ouverture sur un monde de liberté possible. Cet auteur, nommé Patrick Modiano, un inconnu, m'avait décoché une flèche en plein coeur. J'ai acheté ce livre, cher pour moi à l'époque, et ramené chez moi. J'ai attendu quelques temps pour le lire, intimidée par cette couverture d'un livre qui me paraissait le summum du luxe et symbole intellectuel dans une famille où le livre était objet superflu. On se moqua de moi. Et puis, j'ai osé ouvrir la première page, m'aventurer dans le récit. Ce fut le début d'une histoire d'amour qui perdure encore aujourd'hui, avec l'univers de Modiano, pas évidente au premier abord, avec les méandres d'une mémoire sans cesse réinventée, un style épuré, l"histoire de destins fracturés, le début aussi de l'obsession de la lecture de l'intégralité de l'oeuvre des écrivains qui auraient l'heur de me sourire... l'affranchissement de s'autoriser l'accès à la culture qui semble réservée à d'autres que soi, de son milieu social, éducatif.

Attention, lire est un acte subversif !
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La danseuse

Du "je" au tutu...

Patrick Modiano n’a pas sa carte de la confrérie de ceux qui écrivent comme il parle… et c’est tant mieux.

J’ai essayé à nouveau de suivre une de ses dernières interviews pour la sortie de ce roman et j’en veux terriblement à son éditeur de lui imposer ce supplice à chaque publication. Il est prix Nobel de littérature, pas d’éloquence et il n’est surement pas le meilleur avocat de son œuvre. Si cet auteur écrit la plupart du temps à la première personne, c’est peut-être justement pour s’épargner la peine de parler de lui à haute voix. Entre des phrases dont on cherche encore la fin et des « euh » d’élevage, j’ai quand même compris qu’il avait choisi de bâtir son dernier récit autour de la danseuse du titre car la gigue classique exige beaucoup de discipline, de corrections et de répétitions… comme l’écriture. Est-ce pour cette raison que Patrick Modiano refait toujours ses gammes et écrit chaque fois un peu le même roman, éternelles flâneries en jet-lag de l’époque ?

Avec un peu moins de cynisme, je pense surtout que Patrick Modiano retrouve dans les mouvements de la danse, la grâce et l’élégance qui caractérisent son style. Quand je lis un de ses romans, j’ai toujours le sentiment de suivre une plume qui volète le long des rues d’une ville silencieuse, sans trottinettes électriques et livreurs de pizzas.

Nous revoilà donc dans le Paris des années 60 avec un narrateur qui oscille toujours entre le ravi de la crèche et le poète contemplatif qui se cherche. Le jeune homme qui entre en littérature par le velux d’une chambre de bonne pour doper des traductions de romans anglo-saxons un peu trop light, joue aussi le baby-sitter d’un bambin d’une dizaine d’années dont la mère est danseuse. Comme le petit rat n’a pas croisé que d’aimables rongeurs dans sa vie, entrechats et chiens, la jeune femme est entourée d’un célèbre maître de ballet, Boris Kniaseff, et d’une sorte de parrain bienveillant aux activités clandestines. Du balai au ballet. Importuns au pas, chassés.

Lire du Modiano, c’est accepter de se balader dans le temps avec sa prose unique comme déambulateur. J’ai abordé cette lecture sans surprise, certain d’y retrouver mon chemin, dans des rues aux ambiances cotonneuses où le lecteur marche sur la pointe des pieds pour ne pas bousculer les souvenirs de l’auteur.

Une petite révolution néanmoins dans ce texte. Le sexe. En général, avec Modiano, on ne fait que marcher. Je referme ses livres en ayant mal aux mollets et quelques ampoules. Pourtant, avec un bouquin de 100 pages, je ne risque pas le claquage. Ici, il ne passe pas de l’autofiction à l’autofriction mais si, jusqu’à présent, son « je » manquait de corps, il camoufle moins les désirs dans ce roman. L’effet tutu, dirait Degas.

J’ai également aimé dans l’arrière salle de cette histoire, cette croyance que l’art, danse comme écriture ou peinture, peut sauver quelques destins mal embouchés.

Enfin, il y a la critique du Paris d’aujourd’hui, celui des valises à roulettes des touristes qui effarouchent les nostalgies en même temps que les pigeons.

Une agréable promenade en terrain connu.

Une Révérence pour La Référence.

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Dora Bruder

Il y a dix jours, mon mari m'a dit : "Tu as l'air fatiguée, je sais qu'en ce moment ce n'est pas la joie au boulot, allez, je t'emmène quelques jours à Barcelone".

Je sais, mon mari est formidable.



Là, normalement, vous vous dîtes que je me suis plantée de réseau social et que vous ne lirez pas un mot sur Modiano.

Faux.



Je reprends.



Après quatre jours sur les traces du fabuleux Gaudi, je me suis écroulée de fatigue sur un banc du métro - station Diagonal. Là, à côté de moi... un Folio. Étonnement. Rapide coup d'oeil à droite, rapide coup d'oeil à gauche ; personne à moins de six mètres, pas de doute, ce Folio est orphelin. Ma main se pose sur lui, consolante - "Qu'est-ce que tu fais là tout seul, pauvre petit livre ?" -, je le retourne et fais connaissance avec "Dora Bruder". Jamais entendu parler mais je suis d'une ignorance crasse à mes heures. Je lorgne surtout le nom de son auteur, un prix Nobel tout juste sorti de l'oeuf ! Joli clin d'oeil - comprendra qui pourra.



TOUT ça, oui tout ça pour introduire ma première expérience de book crossing !



Non, là, franchement, Gwen, tu abuses de leur patience.

Aux faits.



Pour ma défense, je n'étais pas la seule à ne pas savoir qui était Dora Bruder. Quand débute le récit, le narrateur ne le sait pas non plus. Il cherche à savoir, du coup moi aussi ; il m'entraîne avec lui, page après page, pas après pas, trace après trace. Nous voici compagnons de voyage.



J'ai vraiment aimé suivre son investigation désintéressée et pourtant obsédante pour découvrir qui était cette jeune juive qui vivait à Paris sous l'Occupation.



J'ai aimé ce récit et son étrange intensité pleine de pudeur, qui enveloppe certains détails plus que d'autres, qui développe l'émotion patiemment, qui aborde l'Histoire par une petite porte dérobée, intime, banale, commune. Aussi banale et commune que l'existence volée de Dora Bruder - 15 ans, déportée à Auschwitz en 1942 -, aussi banale et commune que toutes les existences volées par la guerre.



J'ai aimé mon premier Modiano ; j'ai aimé le rencontrer sur un banc à 900 km de chez moi.



Et par-dessus tout, j'aime être en vie et j'aime mon mari.





Challenge NOBEL 2013 - 2014

Challenge PETITS PLAISIRS 2014 - 2015
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Chevreuse

L’écrivain des lieux hantés par les souvenirs.

D’un livre à l’autre, Patrick Modiano ressasse son enfance. Les mauvaises langues comme moi, qui aimeraient bien maîtriser aussi bien que lui la langue, diront qu’il radote un peu trop, que ni les éboueurs, ni les pompiers, ni le facteur, n’ont réussi à lui vendre un calendrier depuis sa majorité. Les étrennes trainent.

Non content d’avoir arrêté sa montre il y a plusieurs décennies, il autopsie toujours les mêmes quartiers et des coins de province trop timides pour être touristiques. Nul doute, qu’une fois pleiadisé, en ces lieux, des pèlerinages seront organisés pour lecteurs nostalgiques.

Jean Bosmans, son double littéraire, un vrai pédigrée, sort à nouveau sa DeLoréan du garage et retourne dans le passé pour résoudre un mystère et remiser sa peine à voir ses souvenirs s’effacer. Il veut chasser le brouillard qui entoure des personnages iconoclastes croisés chez les amis de ses parents. Il va cartographier les coïncidences de son existence en découvrant les liens qui unissent toutes les personnes en orbite de la maison de la rue du Docteur-Kurzenne.

Je n’ai jamais mis les pieds à Jouy-en-Josas, ni le reste d’ailleurs, n’ayant jamais connu de Josas (désolé), ni d’Evelyne dans les Yvelines si vous voulez tout savoir, mais les romans de Modiano, m’ont presque rendu l’endroit familier. J’ai l’impression d’y avoir passé des week-ends par temps de pluie, de m’y être écorché les genoux, d’y avoir embrassé quelques filles, d’y avoir des souvenirs. C’est la magie de cet auteur nobélisé, capable de trafiquer nos mémoires.

Comme dans tous les souvenirs d’enfance, il y a toujours une part d’invention. Chez Patrick Modiano, cela devient de la fiction. L’histoire tourne autour de lieux et notamment le glaçant hôtel Chatham à Paris, devenu ici le repère des compères Michel de Gama et Guy Vincent, personnages dont l’âme sent le soufre. Bosmans ne va pas y faire pipi autour mais il va essayer de répondre à des impressions de soupçon.

Le dénouement importe peu et nous savons que cet auteur n’est pas un fin limier : il ne découvre jamais toutes les vérités. C’est un détective du flou. Nous sommes juste contents de rajouter une pièce dans le puzzle de son œuvre.

Chevreuse rime avec berceuse et j’ai retrouvé dans cet excellent millésime la voix douce son auteur. J’avais été un peu déçu par ses derniers romans catalogués par mon irrécupérable mauvais esprit : Bonnets de nuit dans un lit douillet.

Chouette dimanche sous la couette.

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Dora Bruder

« Dora Bruder » est certainement mon Modiano préféré. Tout ce qui fait qu’on aime (ou pas) cet auteur sont ici réunit. L’omniprésence du passé, la déambulation dans ce Paris que Modiano aime tant. Au hasard d’un avis de recherche sur une jeune juive disparue lors des sombres heures de la seconde guerre mondiale, Modiano

se lance sur les traces de Dora, dont le « crime » est d’être née juive. Avec ce style inimitable, Modiano va aussi sur les pas de son propre passé avec ce qui le caractérise si bien : la lenteur et la mélancolie. On peut-être hermétique à ce style, avoir le sentiment que Modiano se répète, réécrit sans cesse la même histoire, son histoire. Certainement. Mais pourtant moi, il me chavire à chaque fois ou presque. Ha, les gouts et les couleurs …

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Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier

Epoustouflant Modiano, toujours dans sa quête de l'amnésie plus ou moins volontaire, dans sa recherche du temps passé, dans la reconstitution des souvenirs. Ce livre ne se raconte pas, il se déguste, mot après mot, en appréciant les choix de l'auteur qui emmènent le lecteur dans cette nostalgie du passé propre à notre Nobel National. Un enfant, récupéré par une strip-teaseuse fréquentant un monde de joueurs et de noctambules peu recommandables, est devenu écrivain. Il a écrit sur son passé, puis a oublié. L'amnésie peut se provoquer ou être provoquée. Mais il y a toujours un petit élément, léger et douloureux comme une piqûre de moustique, pour réveiller les souvenirs des ténèbres où on les a plongés. A lire, bien évidemment!
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La danseuse

Le flou artistique



La couleur est annoncée dès les premières lignes.

Des vagues de souvenirs évanescents vont déferler sans relache tout au long de ce court roman.

A quelques détails près.

Des détails parfois limpides, souvent beaucoup plus flous.

Un narrateur à la mémoire indisciplinée nous emmène dans les rues vaporeuses d'un Paris aux allures de grand bain turque à ciel ouvert sur les pas d'une danseuse aux cheveux bruns... ou peut-être châtains.

Il se livre, au fil d'un récit qui évolue au bon vouloir des éclairs qui jaillissent de sa mémoire, sur les liens qu'il entretient avec cette danseuse.

Patrick Modiano, sans surprise, fait ce qu'il sait faire de mieux au risque assumé de verser dans l'autopastiche. Les adeptes de l'auteur apprécieront la "petite musique " récurrente bien présente et les quelques pas de danses associés.

Patrick Modiano est un auteur qui se complaît dans le flou artistique, un art qu'il maîtrise à la perfection.

Et c'est aussi pour cela qu'on l'apprécie.
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La danseuse

Chez Patrick Modiano, le temps n’est pas linéaire, ni même circulaire. C’est un millefeuilles dont les plans morcelés s’enchevêtrent, un caléidoscope qui, dans notre magma mémoriel, brasse des éclats de temps demeurés intacts, des instants vivant dans notre esprit un présent éternel. En ce très apaisé et lumineux roman tenant en une centaine de pages, il jette une fois de plus le filet dans les eaux du passé pour en exhumer, précieux butin à peine voilé par les brumes du souvenir, quelques images semblant un condensé de sa jeunesse.





Le narrateur, qui ressemble à l’auteur à s’y méprendre, ne se reconnaît plus dans le Paris trépidant d’aujourd’hui. A cette ville qui lui est devenue étrangère, il préfère substituer dans son esprit celle qui lui fut chère cinquante ans plus tôt. Tout jeune homme écrivant des chansons dans sa chambre de bonne non chauffée, sans savoir encore que certaines deviendraient célèbres, il y fréquentait un monde un peu décalé, presque interlope, entre un bar qui s’appelait Le Bastos et un restaurant La Boîte à Magie. Il venait juste de rencontrer « un étrange éditeur », Maurice Girodias, qui publierait plus tard le futur best-seller Lolita de Nabokov, refusé par toutes les maisons d’édition, et qui, pour l’heure, lui demandait d’ajouter des épisodes à des romans censurés dans les pays anglo-saxons. Et puis, de temps à autre, il s’occupait d’un garçonnet de dix ans, le fils d’une danseuse se formant au renommé studio Wacker, où enseignait alors Boris Kniaseff.





De cet enfant et de la danseuse ne subsistent aujourd’hui que des silhouettes fantomatiques, à la fois floues et précises, sans plus de nom. Leur surgissement du passé abolit soudain le temps, le passé est à nouveau présent, un passé qui n’aura jamais de futur puisque rien ne permet plus de savoir ce que tous deux sont devenus. Peu importe, à cet instant, la jeune ballerine et l’apprenti écrivain sont chacun au début de leur trajectoire, avec ceci de commun qu’à la force des bras, ils sont en train de s’arracher à la violence et aux mauvaises fréquentations de leur milieu d’origine. « La danse, disait Kniaseff, est une discipline qui vous permet de survivre. » De même, constate un autre personnage s’adressant au narrateur jeune : « Je suppose que vous travaillez à cette table sur toutes ces feuilles, parce que vous aussi vous avez besoin d’une discipline. » Subtile façon de laisser entendre combien l’écriture, ascétique discipline de l’esprit comme la danse peut l’être pour le corps, joua d’importance salvatrice dans l’existence de l’auteur, « donn[ant] vraiment un sens à [s]a vie et [l’]empêchant] de partir à la dérive. »





Réinventant inlassablement la mélodie du temps qui passe sans jamais vraiment s’en aller, la plume reconnaissable entre toutes de Patrick Modiano se joue si bien du passé et du présent qu’elle en devient intemporelle, l’ombre d’un souvenir et d’un personnage lui suffisant à incarner en un minimum de pages des thèmes aussi intimes et universels que l’écriture et la survie. On ne se lasse décidément pas du mystère Modiano…


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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La danseuse

« Je l’emmenais au bois de Boulogne les jours de beau temps. L’autobus, les lacs, les barques, le Chalet des îles avec le golf miniature….. La plupart du temps, au cours de nos marches à travers Paris ou pendant les trajets en autobus, nous ne parlions pas. Le silence entre nous était un lien beaucoup plus fort que les paroles. Nous étions comme ceux qui marchent côte à côte sans rien se dire mais toujours sur le chemin des écoliers. »



Ouvrir un livre de Modiano, c’est, pour moi, retrouver la douce sensation que me procurent les bras rassurants d’un fauteuil club dont le moelleux me donne le sentiment d’être préservée, comme dans une bulle, de tout ce qui nous entoure de violent. Les silences qui s’échappent de l’écriture, la nostalgie d’un Paris passéiste, les souvenirs nichés au plus profond de mon moi intime, participent à cette envolée onirique. Et dans la lecture de La Danseuse, je suis tout à fait dans mon élément, la légèreté, la grâce, le travail jusqu’à obtenir la perfection d’un mouvement, maintes fois répétés. « Casse le coude, grand jeté, battement tendu, première, troisième, saut de biche…. ».



L’écriture aussi est dépouillée, élaguée, un travail colossal pour rendre le style aérien, c’est très beau mais je capte de la tendresse dans ses écrits, est-ce ma tendresse ou bien est-ce celle de Patoche pour ses personnages ! A vrai dire, je n’en sais rien, nous ne faisons plus qu’un ! Quatre vingt quinze pages, des chapitres courts, et pourtant je suis emportée sur le fil ténue qui se tisse entre lumière et pénombre, il y a quelque chose de mystique qui s’opère sous mes yeux : la légèreté de la danseuse me contamine, je deviens funambule avec Patoche.



Modiano m’entraîne dans le dédale de sa mémoire. Comme à l’accoutumée, je fais connaissance avec la danseuse qu’il a rencontrée à ses tout débuts, au temps où il cherchait son chemin, où il se cherchait.



Il avance, longe les quais de la Seine qui sont ses points de repère, bien ancrés dans la réalité. Il se tient aux confins de ses réminiscences et par instant, une bulle de lumière éclate dans la pénombre de sa mémoire. Les rues, le quartier de la porte de Champerret, le studio Wacker, le grand Kniassef, le monde interlope de Modiano surgissent parfois au coin d’une rue, devant un immeuble, à une terrasse de café. Tout n’est pas sans danger dans ce Paris, il y a aussi ces individus vaguement évoqués mais que l’on devine dangereux comme les frères Barise que fuit la danseuse et qui la guette chaque fois qu’elle prend le train qui la transporte depuis Saint-Leu-La-Forêt.



J’aime ce Paris en noir et blanc, je m’y transporte en sa compagnie. Que c’est doux de se promener en sa compagnie, rien ne vient interrompre notre balade si ce n’est qu’un éclat de lumière tamisée de temps à autre et pourtant au fil de ses livres, une histoire se raconte. Ici, je tiens la main du Petit Pierre, le fils de la danseuse que Modiano garde de temps en temps, encore un enfant dont les parents s’occupent de loin. Je suis sous le charme de tous ses spectres, rien n’est anodin chez Modiano, je regarde Petit Pierre effectuer ses puzzles et je savoure ce temps passé en compagnie de Patoche. Il me faut revenir dans ce monde d’aujourd’hui !



« A le voir marcher de dos, il lui semblait que Knassief était si léger que ses pieds touchaient à peine le sol. C’était cela la danse, avait-il l’habitude de dire à ses élèves. Tant de travail pour donner l’illusion que l’on s’envole sans effort à quelques mètres du sol ».



« Si tu continues comme ça, tu seras aussi bonne que Chauviré….. »



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Dora Bruder

''PARIS. On recherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1 m 55, visage ovale, yeux gris-marron, manteau sport gris, pull-over bordeaux, jupe et chapeau bleu marine, chaussures sport marron. Adresser toutes indications à M. et Mme Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris.''

C'est cette petite annonce, parue dans la rubrique ''D'hier à aujourd'hui'' du Paris-Soir du 31 décembre 1941, qui interpelle Patrick MODIANO. Sans doute parce que le boulevard Ornano lui rappelle les jours de son enfance où il le traversait avec sa mère pour se rendre aux Puces de Saint-Ouen. Commence alors pour l'auteur un long travail d'enquêtes dans les traces de la jeune fugueuse. Dora Bruder, juive, pensionnaire d'une institution catholique aujourd'hui disparue, rebelle et indépendante, décide de fuguer un soir de décembre 1941. Qu'a-t-elle fait avant d'être retrouvée par la police ? Avant que ne la rattrapent les lois anti-juives ? Avant d'être emprisonnée et déportée ? MODIANO, soixante ans après les faits, sait qu'il ne trouvera rien de l'adolescente broyée par l'Histoire. Mais, il s'obstine à réunir de maigres informations, à marcher dans ses pas, à visiter les lieux qui ont gardé une trace de Dora Bruder. Et à travers elle, ce sont les fantômes de tous les juifs parisiens, français ou réfugiés, qu'il convoque pour raconter cette période trouble et dangereuse, que lui n'a pas connue mais qui trouve un écho dans son histoire personnelle.





De l'enquête minutieuse de Patrick MODIANO ne ressortent que des bribes, d'infimes morceaux d'une vie qui s'est diluée dans l'espace et le temps, dans des archives brûlées car honteuses, dans des lieux rasés après la guerre, dans une chambre à gaz d'Auschwitz. Dora Bruder, une juive parmi tant d'autres, une adolescente qui rêvait de liberté mais à qui le Paris de l'Occupation n'a offert que l'étoile jaune, les rafles, la déportation. Fugueur lui aussi, MODIANO a pu déambuler dans une ville libre, sûre. Des villes différentes, celle de 41-42, celle de de 1965 mais aussi celle au moment où il écrit son livre. Pourtant des traces subsistent. La mémoire s'est ancrée dans des lieux qui sont communs à la jeune fugueuse juive et à l'auteur en devenir. Ce sont ces endroits insignifiants à première vue, mais chargés d'histoires et d'Histoire, que MODIANO explore, ces rues, où Dora Bruder marchait, qu'il parcourt, aux aguets, pour saisir une ombre, une trace, un souvenir.

Dora Bruder restera l'insaisissable jeune fille qu'elle était déjà de son vivant mais la reconstitution de MODIANO, teintée de douceur et de mélancolie, ravive la mémoire de la souffrance des juifs de France. Pour leur donner, sinon une voix, du moins un reste de présence, ce petit roman, cette goutte d'eau, est un devoir de mémoire pour lutter contre l'amnésie collective. Triste et pudique.
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Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier

J’ai acheté Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier parce que j’aime lire les livres de Patrick Modiano, les prêter, les relire… Ils me touchent profondément par la qualité d’écriture resserrée de cet auteur et sa cartographie de Paris entremêlée des méandres de la mémoire.

Le voile sur les mystères n’est jamais complètement levé, ce sont juste des petits courants d’air qui entrouvrent les portes de la mémoire. Il suffit d’un nom, d’un bâtiment et soudain les remparts invisibles qui empêchent de se remémorer des choses importantes s’effondrent alors que restent en mémoire des détails insignifiants ou transfigurés par l’imaginaire.

Jean Daragane, un homme d’âge mur dont on ne sait pas grand-chose, a égaré son répertoire. Ce dernier est retrouvé par un couple étrange et envahissant qui le questionne de manière pressante sur des noms inscrits et oubliés depuis longtemps dans son petit carnet.

Avec de faux airs d’enquête policière, dans une atmosphère cotonneuse et inquiétante, commence alors une quête sobre et mélancolique sur sa vie de petit garçon délaissé par ses parents et confié à une jeune femme dans les années cinquante.

Comme Claude Monet travaillant inlassablement sur la lumière dans son jardin de Giverny, Patrick Modiano explore le Paris d’après-guerre, donnant à son œuvre une portée universelle dans sa quête de souvenirs.

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Encre sympathique

Il y a trente ans, le narrateur s'était vu confié une enquête par l'agence de détectives qui l'employait : il s'agissait de retrouver une jeune femme disparue. Ses recherches avaient alors tourné court, et voilà que soudain, si longtemps après, cette affaire resurgit à sa mémoire et l'incite à la reprendre là où il l'avait laissée.





Construit comme une esquisse qui s'éclaircit à mesure des touches de lumière apposées peu à peu par l'auteur, le texte nous fait errer dans les limbes des souvenirs et non-souvenirs du narrateur, en quête des détails du passé qui lui permettront enfin d'élucider cette affaire de disparition. Toutes les explications sont à portée de sa conscience mais se dérobent dans le kaléidoscope de sa mémoire. Jusqu'à ce que…





Tout le roman repose sur l'idée que le présent est le résultat de notre passé et influencera lui aussi notre futur. Cette trame qui modèle notre vie à notre insu, en un invisible filigrane, est comme écrite à l'encre sympathique : les fils en sont cachés par une foule d'éléments parasites, déformés par notre mémoire, mais il suffit d'un rien pour qu'ils resurgissent soudain à notre esprit, révélant soudain à quel point ils nous ont construits et menés à notre vie d'aujourd'hui. Mais a-t-on vraiment intérêt à toujours tout comprendre ? Ne risque-t-on pas, en la perçant à jour, de rester prisonnier de cette forme de prédestination ?





Mélancolique et subtile, cette jolie réflexion sur la mémoire et le temps qui passe sans jamais disparaître tout à fait, est un petit bijou littéraire, où l'esquisse et le non-dit donnent tout son relief au texte.

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Chevreuse

Patrick Modiano renoue avec ses premiers titres La place de l'Etoile et Les Boulevards de ceinture, publiés cinquante ans plus tôt, et baptise Chevreuse son roman dont l'intrigue est immédiatement localisée et facilite son ancrage dans la mémoire du lecteur. Notre Prix Nobel de littérature adopte souvent des titres insignifiants (Villa triste, quartier perdu, accident nocturne, l'horizon) qui, associés à des intrigues erratiques et des personnages fantomatiques, confondent le souvenir que nous retenons de ces oeuvres. Mais après tout ses livres n'en forment-ils pas qu'un ?



J'avoue donc être incapable de me remémorer Livret de famille ou Chien de printemps alors que je me souviens bien de Dora Bruder au titre fort explicite et je pense qu'il en sera ainsi pour Chevreuse.



Chevreuse nous ramène en territoire connu, celui que Remise de peine explorait en 1991, où ont vécu, ou parfois survécu, des silhouettes qui, après l'occupation, vaquent à diverses occupations parfois peu recommandables en cherchant un magot résultant du marché noir.



Le romancier restitue une époque où les taxis maraudaient, où les numéros de téléphone avaient la poésie d'un AUTEUIL 15 28, et nous rajeunit en nous promenant dans Paris et ses environs dont il nous parle en cumulant hésitations et silences … un réel plaisir pour qui aime ce style et cette atmosphère qui me régale depuis plus d'un demi siècle.
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Dora Bruder

Pour ce livre je ne sais pas par où commencer. Ce petit livre ressemblant à quoi ? une enquête, des souvenirs, une réflexion historique, philosophique, personnelle, un chassé-croisé de ressentis ; ce petit livre donc qui peut aussi ressembler à une errance à travers la mémoire ; la mémoire collective, la mémoire de l'auteur, la mémoire d'une ville, la mémoire anonyme... Dora Bruder est entrée dans ma mémoire personnelle. Je ne peux commenter ce livre qu'en en parlant. Quand Modiano parle de l'étoile jaune un souvenir m'est revenu. La mère d'une de mes amies me montrant un soir chez elle, devant sa fille que j''étais venue chercher pour sortir, alors que nous bavardions de tout et de rien son étoile jaune qu'elle avait gardé. Celle qu'elle avait porté enfant (7 ans) dans Paris. On ne parlait pas du tout de ça et je ne m'y attendais pas. Ce qui m'a frappée d'emblée ce fut la grandeur de l'étoile. Je ne sais plus ce que la mère de mon amie m'a dit. Et puis elle a rangé l'objet. Moi je n'ai rien dit, je crois que je ne savais pas trop quoi dire. Je connaissais l'histoire familiale en pointillé, je savais que cette femme enfant avait échappé aux rafles en étant envoyée à la campagne par ses parents. Cette femme que je connaissais peu, sympathique, que je trouvais toujours un peu "fébrile" qui ne parlait jamais de la guerre, de ce qu'avait subi sa famille, m'avait soudain ouvert une page de sa vie intime et douloureuse, de sa vie d'enfant caché. Et puisque le livre parle de la période 41 et 42, cela m'a aussi fait penser à une réunion où j'étais avec cette même amie. Plutôt un petit "apéritif" après une expo, très peu de monde, nous étions les plus jeunes, cela en amusait plus d'un. A côté de moi, un homme vraiment grand, massif, imposant, franchement rigolard. Un autre parlait de lui en tant qu'ancien déporté d'Auschwitz, juif polonais ayant fait partie des rafles des juifs étrangers à Paris. Et lui évacuait cela d'un mouvement de la main en riant. Dora Bruder me fait penser à ces deux frères, dans cette même soirée qui nous ont parlé à mon amie et à moi. En 42 ils devaient avoir l'âge de Dora Bruder. Juifs français, style "vieille France", très courtois avec des manières un peu surannées. Famille française depuis longtemps, ils parlaient de leur arrestation en 42 et leur déportation encore outrés comme si on leur avait fait une blague de très mauvais goût, eux français à 200%. Ils en parlaient avec dégoût sur un ton très distingué et calme. Ils nous avaient donné leur carte de visite en nous disant de venir boire le thé à leur galerie d'art, ravis que deux jeunes filles attentives et un peu trop silencieuses (à mon goût) soient là et s'intéressent à cette période et à ceux qui en étaient la survivance. Quand nous sommes parties de cette exposition, mon amie et moi avons marché un instant en silence. Mon amie m'a dit :

- tu iras prendre le thé chez eux ?

- bien sûr. Ça m'intéresse de voir leur galerie et je les trouve charmants.

Et aussi parce que j'avais peut-être vu dans leurs yeux bleus à tous les deux le passage des fantômes qui réclamaient leur part d'écoute et de paroles. Voilà à quoi m'a fait penser la lecture de Dora Bruder. Et ne pas parler de ces expériences personnelles par rapport à la lecture de ce livre n'auraient eu aucun sens à mes yeux et auraient sonné étrangement. Modiano arpente sa mémoire fantomatique, sa mémoire vive et déchirée, sa mémoire quadrillée comme un cadastre. Et redonne substance aux mémoires oubliées, enfouies et désertées. En parlant de Dora Bruder il parle de toutes celles et tous ceux disparus, dont il ne reste parfois rien, comme si leur vie avait été une abstraction cosmique. Ce petit livre renferme des milliers et des milliers d'âmes.
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De si braves garçons

Les braves garçons sont élèves de l’institution Valvert qui accueille, durant les trente glorieuses, des « fils à Papa » de différentes nationalités ; les parents s’en sont débarrassés soit parce qu’ils sont expatrié, exilé, surbooké, ou engagé dans de nouveaux projets matrimoniaux. Souvent natifs du triangle Auteuil, Neuilly, Passy, ces lycéens n’ont aucun souci et leur scolarité ne le préoccupe guère.



Le hasard génère aléatoirement, des années plus tard, les retrouvailles de l’auteur avec tel camarade, telle famille ou tel professeur, qui sont prétextes à un nouveau chapitre. Ces quatorze rencontres sont donc des anecdotes disparates, ce qui revient à dire que nous ne sommes pas réellement face à un roman doté d’une intrigue et de personnages. Nous sommes devant une toile impressionniste qui peint une atmosphère et dessine les années d’après guerre dans un microcosme argenté et souvent parisien.



Ces braves garçons, ces héritiers, vivent plus souvent de leurs rentes et de la réputation familiale, que de leurs talents et peu semblent réussir leur vie familiale, leur carrière professionnelle ou artistique. Patrick Modiano, avec des accents à la Simenon, esquisse la silhouette de ces garçons dont certains se retrouveront dans d’autres romans.



J’ai aimé l’évocation de cette époque, d’un Paris qui était calme, propre et paisible. Une époque démodée, aussi surannée que l’expression « de si braves garçons ». L’époque d’une jeunesse … au précédent millénaire.
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Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier

Patrick Modiano m'épate. Il a une écriture assez fluide qui pourrait laisser penser qu'elle est dépourvue d'extraordinaire et qui pourtant revêt cette option en attachant son lecteur dans la trame dès qu'il en a emprunté l'accès. Quand Gilles Ottolini le contacte, Daragane se réserve le droit d'ignorer cet intru et par conséquent de ne pas répondre au rendez-vous qu'il lui fixe, de façon péremptoire, afin de lui restituer cet agenda dont on ne sait comment, il s'est retrouvé en sa possession. Pourtant, et comme une évidence, il accepte. Ce qui nous interpelle sur les choses que l'on fait soi-même, tout au long de la multitude des croisements qui nous donnent de faire les choix qu'on fait ; il nous montre comment on se laisse aller parfois à une certaine inconséquence ; jusqu'à naviguer au gré de bons vouloirs hasardeux. En effet, pourquoi rencontrer Ottolini puisqu'il lui apparaît d'emblée, autoritaire et désagréable ? Ne prend-t-il pas le risque de réveiller de ces choses endormies qu'il a sciemment classées, enfouies dans sa mémoire ? Un peu comme si les connaissances ou les reconnaissances étaient d'avance préétablies et que la certitude vacillait, quitte à revivre en parfait novice, certains éléments du passé.

Décidément...

… cette fille était pleine de sollicitude, mais Daragane aurait voulu lui expliquer qu'il se débrouillerait tout seul. Il avait croisé dans sa vie d'autres Ottolini. Il connaissait un grand nombre d'immeubles à double issue dans Paris grâce auxquels il semait les gens. Et, pour faire croire à son absence, il lui était souvent arrivé de ne pas allumer la lumière chez lui, à cause des deux fenêtres qui donnaient sur la rue. (p.62)

Extraordinaire, de quoi lui conférer un certain Pedigree.

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Dans le café de la jeunesse perdue

Peut-on devenir modianophile malgré soi et comment devient-on modianophile ? Nous n'aurons pas ici la réponse à cette question, qui mériterait pourtant grandement qu'on s'y penche !





Dans le café de la jeunesse perdue est a priori tout ce qu'il y a de plus modianesque. Publié en 2007, il reprend les thèmes habituels de l'auteur dès le départ, au point qu'on est persuadé qu'on sait déjà où on va, et qu'on y va même les yeux fermés. Ben oui, c'est toujours pareil, Modiano, quoi !





Donc, un jeune homme, étudiant, raconte qu'il allait autrefois (et le lecteur de Modiano comprend que cet "autrefois" se situe dans les années soixante) dans un café, le Condé, où il voyait, plus ou moins de loin, une jeune femme surnommée Louki. Là, on se dit : "C''est parti, le narrateur c'est Modiano, il va sortir quelques temps avec Louki qui en fait s'apellera Jacqueline (bingo pour le prénom, ah, ah !), Louki et les autres personnages qui fréquentent le Condé, plus ou moins louches, vont disparaître et l'étudiant devenu sexagénaire partira à la recherche de traces perdues." Oui. Ah mais non ! Modiano serait donc capable de surprendre ? Il est vrai que je n'en suis avec ce roman qu'à mon neuvième Modiano, ce qui reste modeste au vu de sa production. En tout cas, j'ai rudement bien fait de ne pas lire la quatrième de couverture (je n'en voyais pas l'intérêt, un Modiano étant un Modiano et puis c'est tout).





Il est bien question de souvenirs, mais pas d'histoire d'amour ou ce genre de choses. Et hop, changement de narrateur au bout d'un moment. Ça n'a l'air de rien, mais quand on en est à son neuvième Modiano et que les huit précédents avaient pour narrateur toujours la même personne (à savoir l'auteur à peine déguisé), c'est presque un tsunami. On passe à un détective privé, qui lui aussi nous parle des années soixante et de Louki, qui s'appelait en fait Jacqueline (bon, ça, c'était donc vaguement prévisible). Nouvelle approche du personnage de Jacqueline, mais pourquoi ? Et ne voilà-t-il pas que Jaqueline elle-même prend la parole ! Puis son amoureux, en tant que dernier narrateur qui va boucler la boucle.





Il ne s'agit pas tant cette fois de plonger dans les méandres de la mémoire d'un homme à la recherche d'un passé perdu que de tenter, non pas de cerner la jeune femme (ce sera impossible et Modiano aime trop le flou pour qu'on cerne quoique ce soit avec lui), mais de tenter vaguement de l'approcher - à peine. Jacqueline, qu'on voit adolescente ou jeune femme, est perçue, à travers un brouillard, dans sa fragilité. Jamais cependant on ne comprendra ce qui fait cette fragilité, qu'elle-même ne comprend pas, sinon qu'elle la mène vers des horizons perdus - titre d'un livre sur la spiritualité qu'on lui prête, et qui sera le pendant d'un autre livre sur la mystique Louise du Néant (les deux titres vous donnent un aperçu de la joie de vivre du personnage de Jacqueline / Louki).





Roman qui mêle la tragédie à la mélancolie habituelle de l'auteur, le café de la jeunesse perdue... Ah oui, un mot sur le titre : il ne m'emballe pas des masses. C'est exactement le genre de titre qu'on s'attend à voir sur la couverture d'un roman de Modiano, et qui renforce l'impression qu'on sait déjà ce qu'on va trouver à l'intérieur. Passons. Outre l'aspect tragique du roman, celui-ci a pour moi une particularité : je l'ai vu comme un révélateur de la cartographie que Modiano s'échine à reconstituer de livre en livre. Peut-être que d'autres lecteurs ont connu ça avec un autre roman (je serais curieuse d'avoir des retours là-dessus, si c'est le cas). Au lieu de me dire "Arf, c'est toujours la même chose", il me semblait au contraire que tout ce que j'avais lu avant de Modiano, et que tout ce que je lirais après, commençait à trouver vaguement sa place dans l'univers de l'auteur. Comme si j'entrevoyais enfin, certes fort vaguement, l'intérêt d'écrire quantités de livres dans une infinité de variations.





On retrouve dans le café de la jeunesse perdue ces thématiques qui parfois m'ont semblé un tantinet répétitives ailleurs, et qui cette fois avaient davantage de sens à mes yeux : la nécessité de prendre des notes, de consulter des plans, des annuaires (d'où l'intérêt, notamment, d'avoir un détective privé comme narrateur). L'idée de zones délimitées : pas seulement les rue et les quartiers de Paris, mais aussi les zones du quartier de Jacqueline adolescente, comme les "premières pentes", ou encore les "zones neutres" sur lesquelles écrit son amoureux. La mémoire, les anciennes connaissances, les anciens lieux fréquentés, évidemment. Les ruptures (ou du moins les tentatives de ruptures), non pas amoureuses, mais avec le passé, donc plus radicales. Et ces horizons inatteignables, toujours.





Alors bon, avec le dernier narrateur, on retombe beaucoup dans ce qu'on connaît, et c'est un peu dommage. Et la partie narrée par Jacqueline elle-même souffre un chouïa du flou dans lequel veut nous laisser baigner l'auteur, si bien que la souffrance de la jeune femme reste à quelque distance du lecteur. Quoique... Mais arrêtons-nous là.





Une (légère) surprise, donc. Une bonne surprise. Je ne le conseillerai pourtant pas pour une première lecture de Modiano, car à mes yeux, une partie de ce qui fait son intérêt, c'est bien de s'inscrire volontairement dans un corpus morcelé.
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