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Citation de MegGomar


Mon père est le chef de notre tribu, s’il venait à disparaître, je parie sur
un éclatement de notre cellule et pressens un désastre, une folie,
l’égarement de chacun et le repli déraisonnable dans une peine sans salut.
Mon père porte l’identité de notre famille, nous sommes à lui ou nous
transitons par lui, cherchant encore à le séduire pour qu’il nous admire.
Ma sœur et moi sommes deux petites filles attardées, hantées par nos
fantômes, craignant les sorcières et les démons, nous inventant un monde
qui n’existe pas, nous sommes sans défense, naïves, crédules, fidèles à
l’extrême en dépit des trahisons, des déceptions comme si l’amour que
nous éprouvions pour les autres suivait la trame tissée à partir de l’image
de notre père, l’Unique. Nous restons les cœurs d’un seul cœur, n’ayant
que la douceur pour arme, une légère soumission pour défaut, mon père a
ravi la force, la parole et l’autorité ; lui n’est pas à nous, ne le sera jamais,
même s’il meurt, il n’appartient à personne, n’a jamais appartenu à
personne, ni à son dieu qu’il interpelle autant qu’il le prie, ni à sa maladie
qu’il refuse de nommer, non par honte du cancer mais par mépris, me
confiant un soir, dans son appartement, que le mal dont il souffre
s’attrape en allant dîner chez « des gens ». Ces trente dernières années,
nous n’avons pas quitté sa tour d’ivoire alors qu’il ne travaillait plus,
parce que nous avions du temps à rattraper et que dans cette tour nous
nous sentions protégées, cadrées, encore éduquées, tenues non en laisse
mais par un fil d’or. Je crois marcher dans ses pas quand j’écris, voyage,
aime, quand lui n’aura pas marché dans les miens, toujours devant moi,
ouvrant les portes, les sentiers, l’avenir ou disparaissant dans les nuages à
bord d’un avion en direction d’un pays étranger. Le travail de mon père
était comparable à une clôture électrique, il ne fallait pas la franchir, le
déranger. Les grands destins se forgent dans le silence et la solitude.
Notre admiration atténuait le manque, notre frustration, nous étions fières
de l’apercevoir au journal de vingt heures, à la sortie d’un Boeing, au
Fonds monétaire international, parmi les membres de l’Opep, du groupe
des 24, en Asie, en Afrique, en Amérique. Mon père réparait ses
absences en rentrant les bras chargés de cadeaux qu’il disposait en
montagne sur la table ronde où nous prenions nos déjeuners, nos dîners,
nous habitions un pays où tout manquait, il dévalisait le Monoprix pour
nos vêtements et le Codec de l’aéroport d’Orly pour les produits
alimentaires.
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