Le collègue de mon frère se penche vers moi pour une bise, mais je me recule en tendant mon bras entre nous. Ses yeux brillent de malice et il saisit ma main tendue dans sa paume. Ma poigne est forte pour lui montrer que je ne suis pas une chose fragile à qui on peut facilement manquer de respect.
Sans me lâcher, son sourire insolent refait son apparition :
— Bonjour Sarah. Je vois que le méchant loup vous a laissé tranquille hier soir. En forme ?
De nouveau, je sens quelque chose se serrer en moi tandis que sa douce chaleur envahit ma main. Il se dégage de Will une autorité et un déterminisme intimidant, mais je fais tout pour cacher que cela m’affecte.
— Je suis prête à t’affronter sur le terrain et te battre, rétorqué-je intrépide en reprenant ma main.
— J’ai hâte de voir ça, sourit-il énigmatique. Bonne chance.
Ce n’est pas parce que tu veux mener une vie simple sans grande bataille qu’elle est vide de sens. Je sais que la société met en avant les superhéros, les gens qui changent le monde, qui se dépassent, qui mènent des combats acharnés qui durent toute leur vie. Mais en quoi leur vie est-elle meilleure ? Tu crois que j’ai un objectif de vie chevaleresque ? Je suis serveur depuis quinze ans ! On fait mieux comme évolution de carrière. Mais j’aime ça. J’aime donner le sourire, être complice des moments importants des gens, bons comme mauvais. On peut autant trinquer à une naissance qu’à un décès. Et je chéris ces trames de vie. J’aime être cet homme de l’ombre, témoin de tellement de choses que je pourrais en écrire un livre entier avec mes anecdotes.
Elle recule de deux pas et lâche soudainement ma main pour agripper son médaillon. J’arbore un grand sourire et mes doigts reviennent effleurer la manche de son manteau. Je ne peux m’empêcher de la fixer de manière appuyée, comme pour sonder son âme :
— Qu’as-tu ressenti, Sarah ?
En pleine réflexion, elle ne semble pas réaliser mon geste. J’en profite alors pour attraper une mèche devant son visage et la poser derrière son oreille. Sarah finit par cligner des yeux, mais contre toute attente, elle ne me repousse pas.
— J’ai eu la sensation aiguë d’être vivante, répond-elle.
— Je rêve de t’embrasser. Le veux-tu aussi ? murmuré-je en guettant sa réaction.
Laurent ne se recule pas. Il ne dit rien. Son regard reste figé sur mes lèvres. Sentant que c’est le moment ou jamais de faire évoluer notre relation, je décide d’entreprendre et penche mon visage vers le sien, tout en continuant de le regarder dans les yeux.
Ma bouche est enfin sur la sienne. J’y mets toute la douceur dont je suis capable, tranchant totalement avec notre premier baiser brutal. Mes lèvres s’entrouvrent lentement et ma langue vient caresser la commissure de ses lèvres. Laurent ouvre la bouche et expire en fermant les yeux. Il ne m’en faut pas plus pour poser mes mains derrière ses oreilles et pencher ma tête pour approfondir notre baiser.
Il y répond.
Merveilleusement bien.
Soulagé dans tous les sens du terme, je déverrouille le loquet et ouvre la porte en sifflotant. Pour me retrouver face à Marco.
Et mon premier réflexe est de mettre une main sur mon torse et de resserrer la serviette qui entoure ma taille. Qu'est-ce qu'il fait là ?
- Quelque chose à cacher, Elias ? pouffe ce dernier en me voyant faire. Tu sais que j’ai déjà tout vu ou presque ?
- Quoi ? m’alarmé-je, mon cerveau carburant à mille à l’heure pour savoir quand ça a pu se passer.
- À la piscine, répond-il pour couper court à mes pensées en surchauffe.
Je ne parviens pas à deviner s’il est blasé ou moqueur. Mais je dois réagir.
— Elias…
Tout l’air de mes poumons s’échappe. Son murmure vient de loin. Et entendre mon prénom me fait perdre la raison. J’enfonce mes ongles dans sa peau et viens chercher sa bouche pour un baiser appuyé.
Putain !
Je ferme brièvement les yeux.
Ça ne peut être qu’un rêve !
Faites que ça ne soit pas un rêve !
J’ai l’impression que nous passons notre temps à nous chercher des yeux pour mieux nous fuir du regard quelques secondes plus tard.
Est-ce de ça qu’il parle ?
Cette volonté de créer un lien avec l’autre, d’exister dans ses yeux, de ressentir sa chaleur contre soi ?
Oh ! retrouver une libido perdue ? exacerber une confiance en soi bancale ? Pas de problème, ma jolie ! Tu as devant toi, l’expert en relooking sensuel …
Je laisse ma tête retomber sur le matelas, mes bras enveloppant toujours l’oreiller de mon voisin inconnu…
Inconnu…
Inconnu !!
Arrête de résister dans le vide, c'est peine perdue. On a un truc à vivre ensemble, alors ne perdons pas de temps.