L’esprit de l’exil hante toute amitié. Tout lien. J’avais une île, j’allais voir ailleurs. J’avais des amis, j’en voulais encore. J’aimais les rencontres. J’étais poussée dans la nouveauté. Je n’ai jamais eu peur de m’attacher. J’ai un mari, mais je suis loin, j’ai dérivé. Le début de mon exil…
Où sera sa fin ?
La ligne ne peut qu’être mince. Moi, j’ai l’impression d’être constamment assise dessus à tanguer en idéaliste acrobate. Un pied dans l’amour, un pied dans l’amitié. Où tracer la ligne ? Qu’est-ce qui est possible ou impossible ? Correct ou indécent ? Je vais lui faire changer, le titre de son livre, à Hubert. Lui dire que l’amitié est possible quand on s’ouvre et prend des risques. Le possible rend la vie réelle. En théorie, l’amitié est peut-être impossible parce qu’elle n’est dans plusieurs cas qu’illusion, fausse représentation. Elle crée des sœurs de sang, des fratries, puis du jour au lendemain fait apparaître quelqu’un qui te vole ta place, un projet qu’on ne peut refuser, une ligne pointillée à compléter.
Que reste-t-il à faire devant l’égarement ?
Se ressaisir.
Entrer dans le voyage.
Voir d’un œil pragmatique ce qui se tisse.
Rendre les choses possibles. Les choses de l’amour, de l’amitié et de l’existence.
Ca fait des années que je surmonte la nature, que je multiplie la compassion pour ce qu'il traverse. On serait sans doute pas plus forts si tout notre potentiel existentiel s'évanouissait d'un seul coup comme ça lui est arrivé. Je suis rongée de culpabilité. Sans cœur, que je me dis. Je me fouette d'être une pauvre insensible, de ne pas consoler sa peine, de vouloir tourner le dos à son malheur. Mais il m'entraîne avec lui, je coule avec lui. (p302)
Les décalages contraires
C’est vivre à l’envers
Marcher sur les mains
Ne pas arriver du même bord
Conjuguer les départs
Se rejoindre au centre du monde
p.50
Edmond était partout dans mon voyage.
Avoir constamment quelqu'un dans la tête, c'est encombrant. ça obstrue les autres liens, ça gêne les nouvelles rencontres. Je me promettais à lui, je limitais mes transports amoureux. (...)
Je restais une promise à qui on avait fait aucune promesse.
Pigé - "Oui, il devait y avoir un lien entre l'ignorance des choses et la dureté du cœur, entre l'incapacité de nommer et celle d'aimer".
Pour l'instant, j'ai trouvé plus acceptable : si aimer, c'est choisir, alors choisir, ce n'est pas renoncer. Ce ne peut être cela. Parce qu'on serait alors coupés de tout, du monde, du désir. On ne serait plus libres. Et accepter ça c'est inconcevable dans ma tête, ça bloque, ça ne passe pas. Et je me bats, je retourne les choses dans ma tête. Moi, je pense que "choisir, c'est résister". La résistance appelle à garder la tête froide, à raisonner, à peser les pour et les contre de chaque situation, à être maître de soi, à être fort.(...)J'ai choisi, je ne renonce pas. (p349)
Ma lecture du monde se résume en quatre verbes : lire, dire, écrire, nommer. (...). On rencontre quelqu'un qu'on lit, avec qui on tente de dire les choses importantes, de raconter sa propre histoire, on s'ajoute alors et on bifurque pour écrire la même histoire, un temps, et par l'amour qui s'écrit, on nomme l'amour, on le crie sur les toits, on le fait rayonner dans le monde entier. (p308-309)
Bien sûr, c'est bien possible. Si l'on peut être à la fois frère et soeur de latitude, si l'on peut s'asseoir côte à côte dans un wagon de métro, nos routes peuvent se croiser sur un trottoir de la rue Monnot.
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Si on avait pu faire une radiographie de son état intérieur on aurait observé la vue aérienne de la naissance d'un ouragan sur l'océan.
J’ai reconnu les marsouins. C’est comme ça qu’on appelle les habitants de l’île dans le coin. C’est eux que j’ai quittés avec la plus grande des tristesses au cœur, les gens merveilleux de ce bout de pays peu connu pour ce qu’il est. Ces jeunes qui tournent sans crainte de se faire prendre par la police. Ces gens qui giguent, qui gueulent quand il le faut, qui se rassemblent. Ces gens qui mangent du pâté croche. Ceux qui font de longues marches à l’intérieur des terres parmi les coudriers, qui les gossent. J’ai quitté le morceau de terre flottant dans le fleuve, j’ai choisi les routes de tout acabit, pas que celles qui tournent, des routes droites qui serpentent avec des champs des deux bords, de maïs, de canola, de blé blond qui danse, de blé mûr à Félix. J’ai voulu vivre le pays. Et je suis partie le cœur gros comme son importance. J’ai pris le bord des chemins, en ne sachant pas où j’arriverais. Et jamais je n’aurais même pu deviner que je ferais ma vie à l’étranger, comme une véritable étrangère qui finit par n’avoir aucune place à soi nulle part.
C'est l'ampleur de la perte qui a fait la différence. J'étais découragée de perdre tous les regards complices, les embrassades à l'insu des enfants, les projets du futur. En échange de l'imparfaite amitié, m'était offerte une solitude dont nul ne veut, valorisée par personne. Ne résiderai-il pas là, le nouveau modèle de la vie moderne ? Pourquoi refusons-nous la solitude en bloc ? (p364)