Par milliers, le train du retour déverse sur le quai les silhouettes hagardes et fantomatiques de ces hommes et de ces femmes revenus de l'enfer. Nous sommes le 22 novembre 1945.
— Suzanne ! C'est Suzanne !
— N'importe quoi, mémé, tu bois trop de café. C'était en 1945, tu peux pas reconnaître quelqu'un.
— Léo, ces images datent de 1945, mieux vaut changer de chaîne. Buvez votre café au lait. Ah, on va voir la météo.
- Ils tondent les femmes collabos.
- Pourquoi les femmes ?
- Collaboration horizontale !
Le bonheur, tu sais, Léo, parfois on le cherche ailleurs alors qu'on l'a sous les yeux...
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Aujourd'hui ELLE est revenue :
" Oh non... "
" Et si... "
Je suis désespérée, car à chaque fois, elle sabote ma journée.
[.......]
ELLE empiète sur mes tartines et envahit ma tasse de lait.
Je vous dit pas comme ça complique mon petit déjeuner.
- Non mais ho !
Déjà qu'on les loge et qu'on les nourri. Ils vont pas en plus nous piquer nos femmes !
- "Nous piquer nos femmes ?"
Ça fermentent pas un peu sous ton béret, Pampi ?
D'un autre côté, ELLE ne me veut pas de mal, elle est même
assez douce.
Madame me tient chaud.
On se tient chaud, à deux contre le froid qui pique.
Elle m'a ficelée à elle avec un peu d'amitié.
Je vois une maison, un foyer. Un lieu où tu pourras toujours te ressourcer, mais aussi un lieu qui te lie.
Non mais ho !
Déjà qu'on les loge et qu'on les nourrit.
Ils vont pas, en plus, nous piquer nos femmes !
Chaque petit geste du matin est un obstacle, une épreuve.
- Tu as l'air triste ce soir. Quelque chose ne va pas ?
- Birthday moi aujourd'hui. Anniversaire.
- Hé, tu progresses vite en français. Bon anniversaire !
- C'est Franz, il aide moi en français. Samedi, on va aller Bordeaux avec Franz, on a autorisation. Là, je vais pouvoir poster lettre chez moi.
Quand il ne reste que le gris c'est l'heure de se dire
Bonne nuit !