À seulement 21 ans, Max de Paz publie son premier roman, La manche, aux éditions Galimmard, un acte né de l'urgence de témoigner. Dans un Paris où 3000 personnes dorment chaque nuit dans les rues, il refuse de fermer les yeux sur cette réalité. Situé autour de la place de la Contrescarpe, le récit plonge dans le quotidien d'un jeune homme sans domicile fixe, le narrateur du roman, qui a vu sa famille se désintégrer et s'est retrouvé livré à lui-même. Ayant parcouru un chemin scolaire prestigieux, de Henri IV à l'ENS en passant par la Sorbonne, l'auteur adopte un regard différent sur les rues familières de son quartier, embrassant la perspective d'un "clochard". Ce récit poignant offre un aperçu intime des défis et des choix auxquels sont confrontées les personnes sans-abri dans une société qui les ignore trop souvent.
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Je le sais, moi, que l'aumône est un tunnel infini, un cycle infernal où la manche d'aujourd'hui cultive celle de demain. Je sais que les pièces achètent notre calme, qu'il n'y a pas de plus grande gamelle à chien docile qu'un petit pot rempli de pièces. Mais il se trouve que je crève la dalle. J'ai faim, j'ai froid, je suis seul; trio de malheur qui, depuis l'éternité, emporte violemment les sans-abri du monde dans le piège de ce cérémonial, le jeu de la petite monnaie glissant chaque jour de mains propres en mains sales, et lie fatalement le destin de mon cul à celui du trottoir. La manche m'attache au sol, m'installe et me ligote.
Trop sérieuses, ces petites fourmis concentrées sur leurs petits objectifs, sur leurs tout petits projets qui sont des tout petits segments du monde et qu'ils prennent pour le Tout.
Face aux âmes bousillées, tous les mots sont des lames pouvant réduire à néant le petit édifice de confiance que l'on a su bâtir, tous les deux.
Chacun a une petite voix dans sa tête qu’il a du mal à supporter : ce qui varie, c’est simplement son volume.
Quand Philippe dit des âneries volontaires à un passant et que celui-là acquiesce on sait jamais si c’est par tact de ne pas contredire un pauvre ou si c’est de l’ignorance. Mais dans les deux cas ça nous redonne de la force car il y a vraiment plus pathétique que nous.
Les clochards qui lisent, ça fait toujours bander les riches car c’est poétique vous comprenez. Ça donne une image très belle de la misère et y a des copains qui disent que c’est une bonne chose pour que les gens nous tolèrent.
La rue, ça veut dire que c’est nous face au monde et que toutes les crasses sont permises.
Elle a les cheveux comme de la paille, de la paille grise et abîmée. Et sa peau noircie par le vagabondage abrite des petits creux qui sont des rides et des balafres; son cou est couvert de boutons épars, œuvres des puces de goudron: la rue ça s’écrit sur les corps, ça s’écrit sur la chair !
C’est joli, l’ivresse, ça fait découvrir des mondes à commencer par son propre corps en extase. Ca tremble et ça frissonne, ça plane et c’est bercé par un cerveau qui s’oublie, qui oublie les malheurs sans avoir à se consoler car il ne reste que le corps dans sa solitude la plus parfaite
C'est toujours amusant de voir Tamás au loin qui dérange la tranquillité publique comme on dit parcequ'elle s'applique jamais à nous, la tranquillité, donc je vois pas ce qu'elle a de "public"...