Les mots, elle avait un rapport particulier avec eux. Elle disait qu’ils avaient une vie propre, qu’elle els voyait sortir de sa bouche et s’animer quand elle prononçait une parole grave. Ca l’effrayait : c’était pour ça, me disait-elle avec une conviction qui ne tolérait pas la réplique, qu’elle parlait le moins possible aux étrangers. Pour qu’ils ne partent pas avec ses mots. » (p. 162)
« Me perdre dans la mer. Je me suis vue couler tant de fois dans la mer. Etre avalée par elle. Me fondre dans les algues, devenir écume, prendre la couleur de l’eau. Disparaître.
La mer m’a pris tant de choses. Tant de promesses tendues et reprises, tant d’espérances en allées vers la lune et jamais revenues. La marée ne ramène pas ce qu’elle emporte. Elle rejette au rivage ce que l’océan refuse. Je suis ces débris jetés sur la plage. La mer m’a vomie moi aussi comme ces troncs d’arbres torturés qui hantent l’alentour de ma maison. (p. 231)
Je crois que c'est pire d'être tout seul à deux que d'être seul tout seul.
Et chez les Atikamekw, le silence fait partie du langage : le corps parle. Ils sont toujours à l’aise dans le silence.
Ils disent « le temps des Indiens ». Indian Time. Ils disent que les Indiens sont toujours en retard. Qu’il ne faut pas leur donner de rendez-vous, qu’ils ne savent pas respecter un horaire. Que c’est bien désolant. Ceux qui sont allés au pensionnat savent à quel point ils trouvent cela désolant.
Que savent-ils du temps ? Ils font comme avec le reste. Ils mettent tout dans des petites cases. Les choses à faire. Les mots à dire. Les rêves. Les gens. Le froid. La pluie. Les étoiles. Des petites cases pour ranger les animaux, les plantes, les pierres par ordre de règne, de classe, de famille ou de genre avec des noms qui parlent de toutes sortes de choses, sauf d’eux. Quand je vais à la rencontre de Wapoc dans mon chemin de collets, je ne me demande pas à quels famille, classe, embranchement va appartenir ce lièvre qui sera venu offrir sa vie pour ma famille. Je me demande s’il aura le ventre assez doux pour compléter la couverture destinée à tenir mon bébé au chaud, si sa chair sera parfumée de bourgeons de sapins ou d’écorce, si Mikeciw, le renard, est passé avant moi. Et quand je commence à préparer la peau, je ne me demande pas si je vais avoir le temps de terminer avant de commencer autre chose. Je prépare la peau. Ça prend le temps que ça prend.
Chez eux, tu commences quelque chose et quand la case change, tu dois tout laisser en plan pour commencer autre chose. Tu continueras ce que tu as commencé la semaine prochaine, le même jour, à la même heure. Même jour ? Même heure ? Aucune heure, aucun jour n’est pareil à un autre. Et si la vie s’arrête d’ici là, comment vas-tu pouvoir terminer la tâche entreprise ?
Le temps des Blancs, c’est comme si l’infini avait été cassé en petites perles toutes égales qu’ils enfilent sur un collier qui ne sera jamais refermé, qui ne parera jamais aucun cou. A quoi sert un collier qui va toujours tout droit ? Je veux bien enfiler des perles et que ces perles soient des morceaux de temps. Mais chaque perle a sa couleur et son poids, et ne ressemble à aucune autre. Chaque est heure est habitée d’elle-même et nous dicte ce dont elle doit être faite.
Moteskano, le Chemin tracé par les pas des Ancêtres. C’est ainsi qu’on a nommé le chemin que tu es en train de suivre, Nosim, parce qu’on a voulu rappeler à ceux qui l’accomplissent que, où qu’ils aillent dans le Nitaskinan, ils marchent dans les pas de leurs ancêtres. Moteskano. Il sera là pour tes filles, et pour les filles de tes filles, ce petit sentier large comme un pied de femme, où nous avons marché toutes, comme dans une round dance infinie, nous tenant par la main depuis toujours. Tu vois bien que le temps ne se mesure pas, puisqu’il ne finit ni ne commence nulle part. (p. 34)