Je ne sais pas quoi faire. Je ne suis pas un tueur, ce ne sont que des accidents, de regrettables malentendus. C'est de leur faute, à chaque fois. Ils me provoquent, ils me testent. Et je suis faible... Je ne voulais pas lui faire de mal.
.. je pourrais changer de wagon, oui, je pourrais. Mais j 'aime bien celui-ci, le numéro trois. Et visiblement, cet homme l'apprécie aussi. Cela fait deux semaines que je supporte son reniflement quotidien. Il mouche, puis renifle, encore et encore, sa respiration lourde tel un boeuf essoufflé. Je ne vois que son nez, ce museau rouge encroûté d'irritations qui prépare la prochaine coulée jaunâtre.
Travailler dans un espace collectif démuni de toute cloison, offrant une vue immuable sur vos voisins du matin au soir, il fallait 'accepter.
J'ai essayé. je ne renonce pas devant ce challenge difficile, mais les tests ne sont pas concluants. Ils sont toujours inattendus, déconcertants, étourdissants. Céder, c'est leur ouvrir les portes de la victoire, leur permettre d'enrôler ma raison, ma conscience. Mais je ne m'avoue pas vaincu, la partie n'est pas terminée.
Puis vint ce moment, celui qui fait chavirer votre journée, celui que vous n'avez pas vu venir, celui qui vous donne la folle envie de rembobiner quelques minutes de votre passé afin de rétablir un présent moins brutal, ou d'avancer votre montre de trente minutes pour que la douloureuse ne soit déjà plus qu'un souvenir.
Avant d'être agresseurs, la plupart ont été victimes, garde cela dans un coin de ta tête. Ce n'est nullement une excuse à leur comportement, mais une partielle explication.
Ma toile s'est doucement tissée autour de leurs âmes : un fil d'ange bienveillant qui s'est enroulé, les a ligotées et poussées vers leur bourreau.
L'instinct de survie. Vous n'êtes qu'un mortel parmi d'autres, vous creusez la couche d'ozone et vous aimez cela, même un peu. Ouvrir les yeux sur un ciel gris, y apercevoir un rayon de soleil embellir une journée morose : une opportunité à saisir, d'une valeur inestimable.
Le meurtrier est comme vous, comme moi. C'est un misophone, à un degré différent. Lorsque vous êtes dérangée par quelque chose, vous faites en sorte de le stopper ou de partir. Lui aussi a dû essayer, sans succès, donc il les a tués.
Avais- je le choix, une alternative à ce massacre ? Toujours, dira- t- on. Il y en a toujours une. Oui, mais était- elle meilleure ? Pour qui ? Pour elles, pour moi ? J’en connaissais les conséquences : les sévices qu’elles allaient subir, les tortures qu’elles tairaient et la souffrance qu’elles emporteraient. Un choix délibéré pour repousser l’inévitable : ma propre perte.