-Il se peut qu’il vive encore, admit Solvi. En peu de mots, il narra l’affaire à son père. -Son sort repose entre les mains des déesses du destin, conclut-il. La main de Hunthiof se crispa sur sa nuque. –Je le croyais entre les tiennes. –Les vagues me l’ont volé, se défendit Solvi. Il aurait pu s’acquitter de la tâche plus tôt, mais ils avaient eu besoin de Ragnvald au cours du long hiver, assiégés qu’ils étaient, derrière leur palissade, par les barbares irlandais. Ragnvald était toujours le premier à livrer l’assaut et le dernier à battre en retraite. Surtout, il était toujours le premier à flairer les trahisons. Sauf celle de Solvi. Celle-là, il ne l’avait pas vue venir.
Elle savait ce que les hommes faisaient avec les femmes. Vigdis le lui avait expliqué et elle avait vu les bêtes à l'œuvre des dizaines de fois. Les vaches et les brebis ne semblaient pas en souffrir.
- Qu'est-ce que... Qu'as-tu vu? lui demanda la femme.
- Un dragon, murmura Svanhild.
- Avec la colère pour pilote, on échoue contre les récifs. Elle fait un bien piètre guide.
Certaines légendes vantaient effectivement les mérites des femmes ayant résolu des conflits par leur abnégation. Svanhild, pour sa part, préférait celles qui incitaient à la guerre et à la vengeance leurs époux réticents.
Une poignée de pillards loyaux valait plus que toute une cour de suivants endimanchés.
- Nous leur avons botté les fesses! lui assura son hôte. Ils ont filé la queue entre les jambes. Seulement, le fils de Helgunn a été tué.
- Et? demanda Hakon.
- Et depuis, il refuse de rester mort.
- La vie n'obéit pas toujours à notre volonté.
Soudain, surgi du vent et de la pluie battante, il parut. Simple silhouette d’abord, découpée contre le ciel charbonneux, la chose avançait, titubante, sur le sol inégal, trébuchant à chaque pas, se rétablissant de justesse, et cette démarche laborieuse la rendait plus terrifiante encore, et comme impitoyable : rien, semblait-il, ne pouvait l’arrêter. De son vivant, la chose avait dû être un homme de belle taille, carré, barbu. Le teint s’était entre-temps assombri et la barbe emmêlée. La foudre s’abattit derrière lui. Ragnvald le fixa longuement, médusé, avant de se ressaisir et de dégainer l’épée. -Il est bien réel, lâcha Odi. C’est un draugr !
Quand Solvi reconnut Svanhild, Ragnvald comprit presque. Solvi était un dissimulteur-né. Ses mots mentaient, ses gestes mentaient, même ses expressions mentaient. Mais l’amour qu’il vouait à Svanhild, le désir qu’il avait d’elle et de l’enfant qu’elle portait, même un menteur de son talent ne pouvait le dissimuler.