L’enfant savait peu de choses sur sa mère, si ce n’est qu’en parler semblait faire de la peine à son père. Ses yeux se voilaient de tristesse lorsqu’il lui montrait les photos dans le grand album rose. Et elle l’entendait aussi pleurer parfois le soir tandis qu’il murmurait son nom entre ses larmes : « Olivia, mon Olivia, ma petite perle… » Le jeune homme n’avait pas fait le deuil de cette perte. Penser à sa bien-aimée lui était fort douloureux mais il se faisait un devoir de ne pas priver Anna de ce lien indispensable avec le souvenir de celle qui fut sa maman.
Ils se couchèrent tôt ce soir-là, épuisés tous deux par le long voyage. La petite fille, quelque peu effrayée par la grandeur de la maison, préféra dormir dans les bras de son papa, sur le canapé qu’il avait improvisé en lit. Les rêves qui bercèrent leur première nuit au manoir furent doux et paisibles.
Les gens de nos jours n’en ont fichtre rien à faire que les stylos que nous vendons fonctionnent un an, deux ans et plus encore ; au bout de six mois ils l’auront déjà perdu ! Ce qui compte c’est que les gens l’achètent ! La qualité, voyez-vous : rien à faire ! Nos stylos doivent attirer le regard, ils doivent être pratiques, design, drôles : c’est tout ce que les gens veulent ! C’est tout ce dont ils ont besoin : un peu de distraction, de fun ! Vos études sur la durabilité, la confortabilité du stylo en main, pardonnez-moi mais c’est à pleurer de rire !
Anna était une petite fille de huit ans, frêle et timide. Elle avait un regard profond voilé de longs cils bruns. Ses cheveux dorés mi-longs étaient noués en deux couettes de chaque côté de son visage. C’était une enfant sage et qui parlait peu ; elle paraissait souvent ailleurs, la tête dans les nuages. Les seules personnes en qui elle avait confiance étaient son père, sa nounou Pauline — qui venait de la quitter — et sa dernière amie imaginaire en date.
Comme il était coutume, les enfants se mirent alors à s'approcher du phare jusqu'à toucher ses murs. Lentement, ils exploraient, tâtonnaient avec leurs petites mains rougies par le froid, à la recherche de quelque trésor caché dans la pierre. On eût dit qu'ils caressaient la bâtisse, comme pour l'amadouer.
Un manque comme un secret.
Une chose qu'elle tentait de mettre à jour en observant les gros nuages gris nageant tant bien que mal dans la mer azur du ciel. Une chose qu'elle tentait de percer en suivant le vol des oiseaux et en écoutant leurs piaillements, langage auquel l'enfant attribuait un sens tout particulier : les oiseaux lui parlaient, les oiseaux la guidaient, ce qu'ils avaient à lui apprendre – le secret – était délivré dans un langage codé qu'elle ne tarderait pas à déchiffrer.
Olivia y était attachée comme à un joyau que l’on garde précieusement dans une boîte, à l’abri des regards indiscrets et des mains maladroites, à la différence que la Lune était à la vue de tous, chaque nuit, mais qu’elle seule, lui semblait-il, y accordait autant d’importance. La Lune était là pour elle. Elle était sa route, son guide, son espoir.
Anna alla rejoindre sa petite camarade Éléonore et s’empressa de lui donner la main. À peine déçue d’avoir égaré son petit caillou brillant. Au fond d’elle-même, comme une certitude, qu’elle ne pouvait exprimer en mots mais qui, si elle avait pu le faire, aurait été dit ainsi :
Elle n’avait pas besoin de souvenir ; elle était le souvenir…
Puis il y avait surtout cette dernière amie, la plus précieuse, dont le nom différait selon les saisons ou les années, mais qui restait, au fond, sensiblement la même : Violette, Mirabelle, Étoile de Lune... Une amie qui n'était qu'à elle et que seule Anna pouvait percevoir.
Pourtant, si l’on s’était approché, on aurait remarqué son regard vide, plongé dans son esprit, dans ses tourments et sa douleur, insensible à la beauté du lieu et du paysage.
L'océan était resté le même. D'un bleu intense et profond, paré de subtiles nuances de vert ici et là. Magnifique. Les vagues s'échouaient sur le bord de la plage dans un chant d'écume. Les gouttelettes qui s'en échappaient scintillaient sous le soleil couchant, telles des étoiles d'argent que la mer aurait pris au ciel pour les donner au sable. Des étoiles évanescentes.