Katy Hays

En fait, c'est ce que nous faisons tous les jours : nous tissons notre propre vie. Et nous cherchons où les différents fils nous mènent.

Les gens me demandent toujours des détails, mais notre mémoire nous protège de nos pires souvenirs.

- Je crois que certaines personnes sont capables de prédire l’avenir, murmurai-je.
- Je ne sais pas pourquoi quelqu’un voudrait savoir comment son histoire se termine, répondit Rachel.

-Oui. Mais, c'est une fiction. C'est du passé. Tout est mort. Telle est la vraie mission d'un chercheur, devenir un nécromancien.

C'était la raison pour laquelle j'étais arrivée tôt. Pour ne pas avoir à m'immiscer dans une conversation en cours. Quand on arrive en premier, les gens sont obligés de vous adresser la parole. Le temps qu'un groupe se forme, j'en aurais fait partie.

Je préfère ne pas savoir comment l'histoire se terminera.

Et si notre vie tout entière – le déroulé de notre existence et de notre mort – était déjà écrite ?

C'était comme si, en laissant les choses en l'état, elle pouvait ralentir le temps, le contenir. Mais c'est ce qu'il y a de plus difficile dans la mort : la marche inexorable du temps qui continue, vous éloignant de la personne décédée.

J'avais déjà appris que personne ne voulait écouter ce que représentait vraiment la perte d'un être cher.

Et je me retrouvais dans la bibliothèque du Cloître! Certes, il n'y avait pas de manuscrits rares ici, bien qu'il y en eût beaucoup dans les galeries et encore plus conservés dans les collections-, mais cet espace rempli de premières éditions et de titres rares, qui vénérait les disparus autant que moi, me faisait sentir la bienvenue, comme si j'avais trouvé mon foyer.

Je songeai aux trois Moires, les divinités grecques censées nous assigner un destin à la naissance. Clotho tisse la toile de note vie pendant que Lachésis en déroule le fil et qu’Atropos un jour la tranche. Toutes trois décident du destin d’un enfant dès ses premiers jours dans le monde.

« Quand on enferme la vérité sous terre, elle s’y amasse ».

- On peut essayer celles-ci ?
Rachel montra du doigt deux anneaux en argent martelé, chacun orné d’une tête de bélier orientée dans la direction opposée, de sorte que, portés ensemble, les bijoux créaient une symétrie. Chaque anneau avait la forme du corps de l’animal.
Ils étaient d’une étonnante délicatesse. Rachel en glissa un à son doigt.
- Tiens, dit-elle en me tendant l’autre.
Il m’allait à merveille Rachel s’approcha et tendit la main à côté de la mienne de façon que les têtes de bélier se répondent.

J’avais vu de mes propres yeux à quel point le destin pouvait être impitoyable et aléatoire.

Tu ne le savais pas ? Les filles comme Rachel Mondray obtiennent toujours ce qu’elles veulent.

Pline le dit bien : « La fortune est la seule divinité que tout le monde invoque. »

La route menant au Cloître montait en pente douce et, à travers le défilé des arbres, on apercevait un mur de pierre grise recouvert de mousse et de lierre. Au-delà de ces remparts, un campanile aux hautes fenêtres romanes perçait la frondaison. Je n’étais jamais allée en Europe, mais j’imaginais que le Vieux Continent devait ressembler à quelque chose de ce genre : ombragé, pavé et gothique. Le genre de lieu qui vous rappelle combien le corps humain est éphémère, combien la pierre est pérenne.