Ceci n'est pas une citation, mais ça concerne bien le roman "Frère !" Juste pour signaler qu'après ma rencontre avec l'auteur, j'ai rajouté un petit paragraphe en tête de mon billet...
Parfois, il me prend à penser qu'un jour prochain, un groupe écologique armé de pulls en laine, de colliers de barbe et de pandas prendra le pouvoir du monde et bannira l'électricité.
Je ne sais pas ce que je veux parce que jusqu'à maintenant, "ce que je voulais", ça n'avait pas d'importance. A aucun moment clef de ma vie on ne m'a demandé quoi que ce soit. On m'a baladé comme un baluchon au bout d'un bâton, d'un emploi du temps à lautre, d'une gare à l'autre, sans que mon avis ait un quelconque pouvoir. Et, du jour au lendemain, je dois faire un choix crucial. Sans jamais en avoir fait d'autre avant. Sans échauffement.Ça sent la fracture de cerveau, ça. Mais, pour l instant, tout ce que mon cerveau est capable de générer, c'est de la colère. Et elle est clairement dirigée contre mes parents.
Tu fais une bêtise, tu te fais attraper, tu assumes !
« D’ailleurs, d’habitude on n’y va jamais ensemble. Avec mon grand frère, on est loin d’être les deux doigts de la main. Je crois qu’on n’est même pas les deux doigts d’une même personne. C’est dire. On se croise, parce qu’on fait chambre commune, mais c’est tout. On ne se déteste pas. Mais je ne sais pas si on s’aime. »
- A l'école, le maître, il dit que les mots ça peut blesser. Par exemple les insultes, ou les mots méchants. C'est pareil dans ton livre ?
- Non, dans mon livre, ça blesse pas les gens. C'est juste que ça met des images pas très belles dans la tête. Mais oui, il a raison ton maître. Quand on dit des mots méchants aux autres, ça peut faire très mal!
- Comme Papa.
C'est pas une question qu'elle pose. Elle l'affirme. C'est pas un mot méchant non plus. Pas une insulte. Même pas une image violente. Juste deux mots : " Comme Papa", et pourtant c'est violent et je le prends en pleine figure.
En passant le plus discrètement du monde, je vois le pompier à moustache qui m'a sans doute sauvé la vie. Lui aussi, c'est un héros ! Mais comme c'est son boulot, tout le monde s'en fout et personne l'emmerde. Il peut ranger tranquillement sa corde d’escalade en faisant de beaux ronds.
Alors, je ne peux pas m'empêcher de penser au nombre de fois où, comme un gamin débile, au Val d'Arcet, j'ai caillassé les pompiers, sous prétexte qu'ils avaient gyrophares et uniformes. Sous prétexte que ça représentait tout ce que j'aimais pas.
Sous prétexte que j'étais un vrai con !
Je leur explique :
- C'est pas que j'entends mieux, c'est juste que j'entends plus que les autres. Et c'est très handicapant.
Ça y est, je suis parti. Pendant toute la montée, je leur parle de ce qu'est l'hyperacousie. Je reste très technique au début, distant de mon propre mal. Puis petit à petit, je parle de ma vie quotidienne chamboulée. De l'année bien pourrie de mes quinze ans. Je m'épanche, mais ne cherche pas l'apitoiement. J'essaie de garder le sens de l'humour.
C'est au sommet, alors qu'on est debout tous les trois, devant une mer de nuages dans laquelle percent quelques sommets lointains, que je me rends compte que je n'avais jamais parlé de ça à personne.
Et que ça me fait du bien.
Mon psy m'avait souvent conseillé de coucher mes angoisses sur le papier. "Ce travail peut t'aider à rationaliser et à minimiser ta peur pour modifier progressivement ton comportement."
Cette distance, cet humour avec lesquels je me suis exprimé m'ont permis de faire un pas de côté. De me remettre à ma place.
En bordure de l'hyperacousie.
Pas au centre.
(p.113)
Et si j'étais mon propre talisman ? Celui devant qui je voudrais faire mes preuves ? Un petit moi dans ma poche, ou dans un coin de ma tête pour m'aider à résister, à faire bonne figure, à me réhabituer aussi, peut-être, à la bande sonore de la vraie vie ?
« Écoute ! En fait, moi, un mec qui aime les mecs… ou une fille homo, c’est pareil, moi je m’en fous. Mais ici, là, dans notre quartier, un mec comme ça, on le pourrit. Et toi, t’es mon petit frère, et j’ai pas envie qu’on te fasse du mal. Alors, si t’es homo, d’un côté je m’en fous parce que tu fais bien ce que tu veux, mais d’un autre côté, je m’en fous pas, parce qu’on va te faire du mal. »