Raconter des rencontres entre civilisés et prétendus sauvages : la stupeur du premier contact, l’aventure, l’émerveillement face à la diversité des mœurs. Tout au long d’une histoire tragique, mais aussi disséminée d’amusants malentendus réciproques, dignes du théâtre de l’absurde, parfois carrément comiques. Histoire d’une fascination, avec la figure du sauvage qui pendant des siècles a nourri les utopies, les imaginations et la pensée de l’Occident. Et les nombreux personnages de ces histoires aspirent à se confondre avec les sauvages, à devenir sauvages eux-mêmes.
Voir les choses avec d’autres yeux, et même, voir les choses avec les yeux de l’autre, nous conduit à nous interroger sur ce que nous tenons d’ordinaire pour acquis, car nous y sommes plongés jusqu’au cou. Cela veut dire aussi découvrir ce que l’habitude rend opaque. Et en définitive, avoir un rapport au monde moins apathique. C’est le fruit le plus précieux du regard ethnologique, né au cours de ces siècles de voyages et de découvertes. Le contact avec la diversité humaine la plus radicale modifie en retour la perception de nos propres habitudes. Un roman comme Les Voyages de Gulliver n’aurait pas existé sans la suggestion des comptes-rendus ethnographiques des voyageurs du passé.
Oui, ces cultures sont très fragiles, et se fanent au contact de la civilisation, un peu comme des fleurs de serre exposées en plein air. D’ailleurs, l’urgence d’étudier et documenter les cultures de ces populations voit le jour précisément alors qu’elles sont sur le point de disparaître de la surface de la terre. Lévi-Strauss lui-même donne une splendide définition de l’ethnologie comme « science du remords », symptôme d’un sentiment de culpabilité de l’Occident. On se hâte de recueillir ce qui reste de cultures et de populations que l’on a contribué à anéantir.
Ce cliché de la liberté sexuelle est l’un des principaux ingrédients de la fascination pour le sauvage, et de l’exotisme tout court. Il apparaît tout de suite (avec pour corollaire, évidemment, la réprobation), dès les premières chroniques des anciens voyageurs et explorateurs, et résiste jusqu’à nos jours. Cette prétendue sexualité libre, sans tabous, n’est souvent que la projection d’un désir. Et même si les ethnologues ont beaucoup contribué à mettre en lumière sa nature de clichés, c’est le piège dans lequel peut tomber un Polonais catholique, naturalisé Anglais à l’époque victorienne, comme Bronislaw Malinowski aux îles Trobriand, qui a écrit sur la liberté sexuelle de leurs habitants un de ses plus célèbres livres. Malinowski sera d’ailleurs repris par le psychanalyste Wilhelm Reich, qui à son tour deviendra le gourou de la prétendue révolution sexuelle en Occident à la fin des années soixante du siècle dernier. Un enchaînement de malentendus que je me suis plu à raconter. Et le malentendu est le vrai fil rouge du livre.
Oui, bien sûr, on pourrait dire que c’est la dernière étape de cette histoire. Le tourisme globalisé est un fait marquant de notre époque. Dont nous n’avons peut-être pas encore mesuré les conséquences. Mais ce tourisme particulier, lié à la fascination exotique pour le sauvage, a des racines anciennes. Au XVIe siècle déjà on organisait des foires dans lesquelles, à côté des animaux et des plantes exotiques, étaient exhibés les sauvages. Et ce type de spectacularisation se poursuivra avec les zoos humains créés à l’époque coloniale, avec la diversité physique et culturelle des populations colonisées qui devient un grand spectacle au bénéfice des Occidentaux.
D’après ce que j’ai compris, cet homme était un touriste à vocation de missionnaire, c’est-à-dire qu’il voulait convertir les habitants de l’île. Lesquels refusent simplement tout contact, entre autres, par peur d’attraper des maladies qui pourraient leur être fatales. C’est pour cette raison que le gouvernement local a interdit l’accès de l’île aux touristes. Survival, l’association internationale qui s’occupe de les protéger, estime qu’il y a plus de 200 groupes humains aujourd’hui dans le monde qui fuient tout contact avec les Occidentaux. Le monde occidental supporte mal l’autarcie, même quand elle est revendiquée par certains de ses propres membres. Gilles Clément a écrit sur ce sujet un très beau livre autobiographique intitulé Le Salon des berces. En général, l’Occident pense que tout le monde désire vivre selon son modèle, et comme je l’écris dans le livre, n’arrive pas à digérer qu’il existe des sociétés qui n’en veulent rien savoir.
Je ne dirais pas un livre en particulier ; les livres de Gianni Celati m’ont certainement transmis une énergie par leur ton, en me faisant ressentir la narration comme un processus naturel. Mais le livre qui m’a montré qu’on pouvait faire un usage littéraire des textes ethnographiques est Ailleurs, d’Henri Michaux.
Pinocchio, le chef-d’œuvre de la littérature italienne avec La Divine Comédie (qui sont aussi les deux livres italiens traduits dans le plus grand nombre de langues). Tout le monde le connaît, souvent sans l’avoir lu.
Enfant, je lisais des romans d’aventures, mais comme beaucoup de gens de ma génération, je lisais surtout des bandes dessinées. Puis, vers 14 ou 15 ans, une remplaçante d’anglais nous a fait lire Les Voyages de Gulliver. Je me souviens l’avoir lu un après-midi, sans réussir à m’en détacher.
A part ceux de Henri Michaux et de Georges Perec que j’ai traduits, le livre que j’ai lu le plus souvent, et que je continue à relire, est Tristes tropiques, de Claude Lévi-Strauss.
Je n’ai pas honte, c’est beau d’avoir encore des livres à lire. Il y a beaucoup de classiques que je n’ai pas lus, mais ça fait trente ans que je veux lire L’Homme sans qualités de Robert Musil, et puis je ne le fais jamais.
Eh bien, je profite de la question pour indiquer un filon de la littérature italienne de ces cinquante dernières années, qui n’a peut-être pas en France le succès qu’il mérite : Giorgio Manganelli, Luigi Malerba, Gianni Celati et Ermanno Cavazzoni. Et pour dire que ces derniers temps, il y a selon moi un problème de « passeurs » entre l’Italie et la France.
Si un livre est devenu un classique, il ne peut avoir été surfait. Ceux qui sont surfaits ne deviennent pas des classiques, à mon avis.
Un extrait de Michaux, que j’ai toujours trouvé frappant : « Louis XIII, à 8 ans, fait un dessin semblable à celui que fait le fils d’un cannibale néocalédonien. A 8 ans, il a l’âge de l’humanité, il a au moins 250 000 ans. Quelques années après il les a perdus, il n’a plus que 31 ans, il est devenu un individu, il n’est plus qu’un roi de France, impasse dont il ne sortit jamais. »
J’ai en ce moment sur ma table de chevet un recueil d’essais de Noam Chomsky sur le mystère de l’origine du langage, Le Royaume, d`Emmanuel Carrère, et The Confidence Man, d`Herman Melville.
Découvrez Explorateurs, touristes et autres sauvages de Jean Talon aux éditions Plein Jour :
A l?occasion de l'événement "L?ethnologie va vous surprendre" au musée du Quai Branly-Jacques Chirac à Paris, retour sur la place des femmes dans la discipline ethnologique et réflexion sur ce que l'on découvre réellement, notamment sur soi, lorsqu'on part à la découverte des autres. Pour en parler, nous recevons l?anthropologue Nastassja Martin, disciple de Philippe Descola et autrice de l'enquête "Les Âmes sauvages" et l'écrivain-traducteur italien Jean Talon, qui publie "Explorateurs, touristes et autres sauvages". Pour en savoir plus : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/ethnologie-que-reste-t-il-a-declarer Abonnez-vous pour retrouver toutes nos vidéos : https://www.youtube.com/channel/¤££¤14DKToXYTKAQ5¤££¤6khzewww2g Et retrouvez-nous sur... Facebook : https://fr-fr.facebook.com/franceculture Twitter : https://twitter.com/franceculture Instagram : https://www.instagram.com/franceculture/
Le premier film tourné par Lauren Bacall est Le Port de l'angoisse réalisé par Howard Hawks en 1944. Il s'agit d'une adaptation du roman En avoir ou pas, signé: