Jacques Bens :
PagnolOlivier BARROT présente le livre de
Jacques BENS "
PAGNOL" (Seuil). Il apparaît en personnage de la célèbre "partie de cartes". BT et affiches des
films de
PAGNOL.
Je m'appelle Siméon Valeyans. Je suis né voici quarante ans, au moment où l'Empire s'effondrait, dans l'odeur de la poudre et le désespoir. Un quart de siècle plus tôt, mon père avait vu le jour avec la chute, rien moins qu'honorable, de la royauté. Est-ce une fatalité familiale? Ou les oeuvres des hommes doivent-elles toujours s'achever dans le sang et les larmes? La lecture des auteurs anciens ne semble pas nous proposer de leçon différente, qu'ils aient ou non bénéficié d'une inspiration divine.
Mélancolique
Je vais donc retrouver mes anciens horizons,
Cette odeur pas perdue des vents et des maisons.
J’ai l’air d’abandonner, mais n’ayez nulle crainte :
Si je quitte Paris, c’est pour le mieux aimer.
On incline à brusquer une banale étreinte.
Mais que vaut cet orgueil qui n’est plus de saison ?
Allez donc réunir le cœur et les raisons.
La ville, en souriant, laisse sa rude empreinte :
Si je quitte Paris, c’est pour vous mieux aimer.
Vous mieux aimer, je ne pouvais y croire, mais
Je vois bien qu’aujourd’hui le présent nous emporte.
Il me faut, pour vous voir, m’éloigner quelque peu.
J’enferme mes regrets, puisque cela se peut,
Après avoir glissé ma clé sous votre porte.
41 sonnets irrationnels, écrit en 1965, est basé sur le nombre Pi.
source Oulipo :
Un Sonnet irrationnel est un poème à forme fixe, de quatorze vers, dont la structure s'appuie sur le nombre pi (d'où l'adjectif irrationnel). Il est divisé en cinq strophes successivement et respectivement composées de : 3 – 1 – 4 – 1 – 5 vers, nombres qui sont, dans l'ordre, les cinq premiers chiffres significatifs de pi.
Il y a des écrivains, et des plus grands, à la nuque obstinée, à la forte encolure, qui traînent leur génie dans une charrette à bras. En suivant les ornières du chemin, on est à peu près sûr de les rejoindre un jour ou l'autre : pure question de temps et de courage. Boris Vian n'était pas de ce bois-là dont on fait les brancards. Sa route fut diverse, coupant souvent à travers champs, au gré, non pas d'un dérisoire primesaut mais d'une rigoureuse logique de la fantaisie qui échappe parfois à nos pesants esprits.
Les miracles ne sont pas destinés à changer le monde, mais l'idée que nous nous faisons du monde.
—Parlons clair : tu adoptes quoi comme système ?
Si tu préfères : tu mets quoi dans un poème ?
Ta philosophie ? Mmm ? Ton modus vivendi ?
— Des bruits, des sons, des mots, des pieds, des vers, des phrases.
— Oui, je sais. Mais ce n'est pas ça que je te dis.
Je parle des idées, comment dire ? Du thème,
Du... Ou plutôt, voici : dis-moi ce que tu aimes
Dans les vers honorés, méconnus ou maudits ?
— Les bruits, les sons, les mots. Parfois, une ou deux phrases.
Un sourire pincé, un cri, mais pas l'emphase,
Une fleur oubliée, un rire démentiel,
Une chanson, par-ci par-là, qui vient, qui jase,
Quatre regrets, mon cœur, et peut-être Pégase,
Ma jeunesse partie,
Mer,
Terre,
Soleil,
Ciel.
Amoureux
Tu dis oui, tu dis non, tu dis n'importe quoi,
Et tu me ris au nez, et moi je reste coi
Comme un enfant de chœur qui, pris de court, bafouille,
Tant l'eau de tes regards trouble et glace mon sang.
Au pied des mots brûlants, ma pauvre voix se rouille,
Rengainant ses plus tendres traits en son carquois
De peur de faire naître un sourire narquois
Sur tes lèvres dorées que mon baiser ne mouille.
Mais l'eau de tes regards trouble et glace mon sang.
Je blâme le crétin morose et languissant
Que je suis devenu sans bien m'en rendre compte,
Le front glacé, langue blanche et l'œil absent.
Comment pourrais-tu voir, en moi, plus qu'un passant ?
C'est ce qu'en gémissant, le soir, je me raconte.
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