Il me dit : "Ta mère est malade. Elle ne sera plus là dans quelques mois. Je sais que je ne lui survivrai pas."
Il n'ajouta rien.
Je le regardai.
Il avait vieilli.
Il gardait les yeux baissés.
Lorsque j'étais enfant, nous jouions aux cadavres exquis. Je réalisai tout à coup que ces cadavres, ce seraient eux : mon père, ma mère. Non pas des phrases ou des dessins pliés en bandes régulières mais des corps morts, tronçonnés par le temps. Par la grande faucheuse. Que bientôt je serais orphelin.
J'avais subitement envie que ma mère me chante des chansons, que nous retrouvions ensemble les airs qu'elle fredonnait lorsqu'elle était plus jeune. J'avais envie que ma mère me sourie, que sa bouche éclate d'un sourire rayonnant, franc, limpide. Mais la bouche de ma mère ne chantait plus, les dents de ma mère avaient jauni, ses lèvres s'étaient refermées. Plus aucune mélodie n’irradiait son quotidien. Sa mémoire avait flanché. Sa mémoire avait étouffé tout refrain. Seuls ses yeux hurlaient en silence.