https://www.laprocure.com/product/1285525/tuti-ilaria-fleur-de-rocheFleur de rocheIlaria Tuti
Traduit de l'italien par Johan-Frédérik Hel-Guedj
Éditions Stock
Collection La cosmopolite
« On connaissait Ilaria Tuti pour ses romans policiers, c'est un auteur italien, mais on ne l'attendait pas dans cette collection, La Cosmopolite chez Stock, c'est une très belle collection, la collection rose, avec ce titre, Fleur de roche, qui veut dire edelweiss. Ça se passe pendant la Première Guerre Mondiale dans un petit village italien assez montagneux. C'est l'histoire de ces femmes, c'est un hommage en fait pour ces femmes qui ont pendant la guerre gravi les montagnes... »
Marie-Joseph Biziou, libraire à La Procure de Paris
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[...] c'étaient les choses simples qui prêtaient à l'âme un peu de réconfort ,
comme lorsqu'elle courait pieds nus ,
enfant ,
dans les vignes ,
l'été ,
soulevant derrière elle un nuage de poussière et de rires .
Elle pouvait encore sentir le parfum minéral de la terre rôtie par le soleil ,
des pierres salines ,
l'âcreté des sarments encore verts
et la douceur des acacias en fleur .
La sueur ,
l'amertume des fleurs de pissenlit ,
les gouttes de vin sur les lèvres
volées au verre du grand-père .
La substance même de la félicité .
L'absence de couleur de ces images jurait avec les tons vifs et chaotiques de la pièce. Elle les avait achetées sur un marché aux puces, quand elle avait encore envie, en fin de semaine, de sauter dans sa voiture et de parcourir des kilomètres à la recherche d'objets qui finiraient par constituer son nid. Un nid qui n'en était jamais vraiment devenu un, qui l'avait vu seule la plus grande partie de sa vie. Il lui avait fallu beaucoup de temps pour se libérer de cette tristesse. En mettant un pied devant l'autre, elle avait continué de marcher, de respirer, de rester debout, en dépit de tout. Sans s'égarer, en se pardonnant.
La solitude était une colocataire discrète, qui jamais n'envahissait les espaces et qui laissait tout tel quel. Elle n'avait ni odeur, ni couleur. C'était une absence, une entité qui se définissait par opposition comme un vide, mais qui existait : c'était elle qui faisait trembler la tasse d'infusion entre les mains de Teresa...
Il avait vu des hommes tués pour quelques pièces de monnaie, des femmes maltraitées par ceux qui auraient dû les aimer, des enfants qui grandissaient dans la misère la plus alarmante, mais son âme était encore de la chair à vif, elle n'avait pas encore formé le corps calleux de l'indifférence, et elle souffrait pour toutes les créatures déchues.
L'enfant s'approcha de sa mère, qui lui posa une main sur l'épaule. Leurs corps ne s'effleurèrent pas.
- Bonjour, Diego, le salua Teresa avec douceur. Je suis le commissaire Battaglia, mais tu peux m'appeler Teresa.
Il l'observa sans prononcer un mot. Le tremblement des pleurs était passé, laissant place à la curiosité.
- Tu as quel âge ? enchaîna-t-elle ?
- Dix ans, répondit la mère à sa place, sans lui laisser le temps de décider s'il devait ou non se fier à cette inconnue. Diego souffre de bégaiement.
Cette phrase s'abattit sur le petit garçon comme une condamnation, et Teresa le vit frémir sous le coup de l'humiliation. Elle en éprouva de la colère pour lui et de la peine pour cette femme qui semblait dénuée de toute émotion. Cette aridité n'était pas récente, le deuil n'y était pour rien.
Prends ton fils dans tes bras, pensa-t-elle irritée et attristée. Serre-le-fort, couvre le de baisers. Tiens le contre ta poitrine, c'est la seule chose à laquelle elle devrait servir.
Unis contre le monde extérieur et aveugles par commodité, envers leurs propres fautes.
"J'ai choisi d'être libre."
Libre de cette guerre, que d'autres ont décidée pour nous. Libre de la cage d'une frontière, que je n'ai pas tracée. Libre d'une haine qui ne m'appartient pas et du marécage du soupçon. Quand tout autour de moi était mort, j'ai choisi l'espérance.
Qui pouvait affirmer que l'avenir n'était que désespoir ? L'oubli était peut-être un ingrédient du bonheur et il s'agissait là d'un voyage au bout de la nuit.
L’homme primitif survit en nous, de sorte que n’importe quel groupe humain peut reconstituer la horde primitive.
[...] le dévouement présuppose une part de renoncement à sa liberté, y compris celle de la pensée.