Sans répondre je savoure la chair goûteuse du pacu grillé à point, relevé d’un juste molho d’oignons et de poivrons sur un riz blanc un peu sucré. Santana commande une salade d’avocats et de cœurs de palmier, une bière – uma Brahma estupidamente gelata -, un fromage salé avec de la pâte de goyave et deux cafezinhos accompagnés d’un verre d’eau.
Je suis devenu fou de ce pays. De cette nature tirant sa beauté vénéneuse des pourritures qui s’y décomposent. De cette beauté dangereuse où glissent des cascavel mortels, grabouillent des mygales industrieuses, et se tapissent des jacarés aux aguets. Cette folie m’a gagnée. Elle est en moi à présent, là où mes sentiments pourrissent et se délitent eux aussi pour former l’humus de cette déraison qui m’enivre de l’intérieur.
Pour nous, la saudade, c'est le souvenir heureux de ce qui a été.
Lire un roman, c'est aimer croire un mensonge, sinon on lit un récit.
J'aurais dû rester avec les Pantaneiros, mais à la lune rousse du Campo do Limao, le rêve d'Angèle m'a rattrapé pour ce qui sera mon malheur, parce que j'ai décidé, cette nuit-là, de la vouloir pour moi. Moi seul.
Pourtant j'aurai, quelques jours plus tard, grâce à l'inspecteur Santana, l'occasion de vivre ce rêve qui ne sera que le début de toute cette folie.
[...] ... L'homme qui enjambe mes genoux, en même temps qu'il s'en excuse, a moins de scrupules. C'est à peine s'il cache le sien. Un automatique glissé dans un étui de cuir accroché à son ceinturon sous sa veste. Il comprend mon émoi quand je l'aperçois.
- "L'arme ne vous dérange pas, j'espère ?" fait-il avec politesse.
- "Non, non," dis-je trop vite. "Vous êtes policier ?
- Ca vous inquiéterait que je le sois ?
- Non, je n'ai rien à me reprocher.
- Ca viendra," dit-il en riant plus fort. "On a tous quelque chose à se reprocher un jour ou l'autre. Ce jour-là, faites que ce ne soit pas un impayé ou une mauvaise dette !
- Ah oui ? Et pourquoi donc ?"
Il écarte le pan de sa veste d'une main et de l'autre tapote la crosse de son arme.
- "Parce que je suis le meilleur recouvreur de dettes de tout l'intérieur. Mon métier est de traquer les débiteurs et de les faire payer. Dès que votre dette dépasse cinq fois le prix d'une balle, craignez-moi !
(...)
- Pourquoi cinq fois le prix d'une balle ?
- Parce que je suis payé au pourcentage de ce que je récupère. Vingt pour cent.
- Et vous tuez pour ça ?
- Bien sûr que non," rit l'homme. "Un débiteur mort n'est plus un débiteur. C'est une dette morte. Mais j'effraye." ... [...]