Hallgrímur Helgason présente son roman "La femme à 1000 degrés"
Le livre - Condamnée à vivre dans un garage avec pour seule compagnie son ordinateur portable, une provision de cigarettes et une grenade datant de la fin de...
Des coups de marteau résonnant dans la quiétude d'un fjord : peu de choses sont aussi belles en ce monde. Ici, quelqu'un fixe sa vie avec des clous ! Quelqu'un a foi en cet endroit ! Le soleil scintille sur la blancheur des planches, l'oiseau se balance sur les eaux tranquilles du Pollur et l'été bêle sur chaque versant. P. 153
L'entrejambe de Senka était le plus poilu de toute l'Adriatique. (J'ai toujours été branché buisson. Pour moi, l'idée d'une chatte chauve, c'est comme un steak sans sauce.) Elle en souffrait, d'après ce qu'elle me disait, mais je faisais mon possible pour la convaincre que poilu n'était pas synonyme d'exclu, que l'épilation à la brésilienne était au sexe ce que la nouvelle cuisine française était à la nourriture. Un manque de putain de sauce.
Quand les vents frais arrivés du sud traversaient l'île, ils gagnaient quelques degrés et redescendaient des hautes terres désertes aussi tièdes que s'ils sortaient d'un four. Les gens venus d'ailleurs s'étonnaient toujours du phénomène étant donné que la règle générale voulait que les vents islandais soient froids ; il n'était donc pas rare qu'on aperçoive des visiteurs ahuris qui, debout dans les prés, faisaient sécher à la brise du sud leur âme détrempée.
C'en est fini de ma première semaine d'exil. J'ai beau n'avoir tué personne ces sept derniers jours, en dehors d'un petit chien, il s'agit d'une des plus intéressantes de ma vie. Pendant sept jours et sept nuits, le soleil ne s'est pas couché. J'ai eu cinq nationalités différentes et deux jobs. J'ai fait une apparition à la télé. J'ai regardé l'Eurovision pour la première fois en six ans. Je me suis introduit dans deux habitations, j'ai volé une voiture, trois bières, du pain, du bacon et six œufs. Je me retrouve aussi amoureux de deux filles différentes. Une islandaise et une Indo-Péruvienne.
En Islande, le monde du travail était figé depuis mille ans. Les tâches saisonnières formaient les maillons fixes d’une chaîne immuable : agnelage, sevrage, transhumance, fenaison, abattage, semaines passées à tricoter, campagne de pêche hivernale, campagne de printemps… Chaque journée de travail était la suite logique de la veille et le prélude au lendemain. Grâce à leur labeur, les gens avançaient d’un cran sur la chaîne, sans toutefois jamais la quitter pour se retrouver ailleurs. Le progrès était inconnu. On ne trimait jamais pour amasser, mais seulement pour avoir le droit de continuer à s’épuiser à la même besogne. L’avenir n’était porteur d’aucun espoir, d’aucun rêve, d’aucune impatience, il n’était que l’exacte réplique du passé, ce qui cadenassait la vie en Islande.
Ce que je préférais durant la guerre, c'était dormir à la belle étoile. Dans les Alpes dinariques. Le coucou était notre réveille-matin. Je ne le voyais jamais, mais il nous faisait nous lever avant l'aube, car la terre elle-même nous soutenait. Les Serbes étaient toujours endormis, de l'autre côté de la colline et de la suivante. Putains de feignasses. Ils ne se battaient jamais avant 8 heures. J'imagine qu'on peut les remercier pour ces beaux matins. Des matins silencieux et ensoleillés avec le meilleur petit déj au monde : un café bûcheron et une tranche de povitica. On mangeait en silence, observant les premiers rayons de soleil qui s'attaquaient au beurre encore dur après la froideur de la nuit.
C'est quoi, leur problème à ces Islandais? Pas d'armée. Pas de flingues. Rien. Juste des femmes superbes qui conduisent de luxueuses jeeps et vagabondent au coeur de la Ville du Grand Froid dans leurs tacots-clitos, espérant attraper au vol un tueur professionnel qui joue au prêtre.
Puisque je ne peux pas me procurer de pistolet, je me contente d'un couteau
suisse, similaire à celui que je possédais.
Au commencement, il y avait la page vierge, le papier vide et blanc, dénué de taches sombres, sans le moindre point ou virgule. Le fjord se résumait à un manteau immaculé à perte de vue depuis la cascade la plus enfoncée à l'intérieur des terres jusqu'à l'océan, et l'on n'avait aucun moyen de distinguer sous cette immensité ce qui était la mer de ce qui était la terre. La neige avait effacé toute trace de l'homme sur ces lieux qui s'offraient au ciel boréal, aussi intouchés que le jour où on les avait colonisés, il y avait 999 ans.
Comme il serait agréable que les hommes puissent voir en nous leurs égaux, leurs frères de sang, une autre forme masculine avec une peau bien plus belle. Ils pourraient se rappeler cet état de fait une fois de temps en temps, et apprécier autre chose que notre paire de hanches.
Je ne sais pas quel jour nous sommes, celui-là même qui se déroule, mais, c'est certain, il est bientôt midi. Je le dis clairement et simplement : à mesure qu'approche le feu, les jours me semblent de plus en plus futiles. Que sont-ils d'autre que le chaos du vent soufflant par la fenêtre ? je m'autorise à les accabler d'insultes. Ce ciel d'un gris de cadavre et ces arbres poussés par le vent avec leurs feuilles éparpillées qui font penser à de la morve sur des mouchoirs trop souvent utilisés. On voit bien à quel point l'été islandais n'est qu'une mauvaise grippe. Je crache sur cet immondice qu'on nous fait avaler au quotidien, à nous qui nous remémorons la vie sous une lumière plus flatteuse que ce mucus grisâtre que le crachin nous offre. De lui s'écoule le ciel, cette panse puante d'une chienne grise et humide. Oui, c'est notre rôle à nous , les Islandais, de traîner sous le ventre de la chienne. Sous dix mamelles en lambeaux qui n'ont rien d'autre à offrir qu'un cristal glacial et stérile.
Et la cime des arbres, fatiguée de cette pluie, oui...