Canicule
Des gens sont morts en ville, chérie
C'est cela que je suis venu te raconter,
Dans leurs cercueils l'été en ville
Les morts commencent à se décomposer.
Et les vivants, leur glaise en sueur,
De lourde chaleur se décomposent aussi
Chérie, ne sens-tu pas l'odeur des morts ?
Tes seins eux-mêmes sont aujourd'hui flétris.
Verse des parfums sur les tapis
Et couvre-toi ma bien-aimée de roses
En ville les gens sont morts, chérie
Et doucement se décomposent.
(traduit du roumain par Max Blecher)
À une vierge
Mademoiselle peint, lit
Et joue du piano à l'infini
Elle ne dort jamais la nuit
C'est peut-être pour cela qu'elle maigrit.
On pense, mais soit dit entre nous
Car la nouvelle doit rester secrète,
Que mademoiselle rêve d'un poète
Bizarre, solitaire et fou.
(traduit du roumain par Max Blecher)
Pastel
Adieu, le feuille meurt
Tout comme toi, jaunie.
Adieu, sèche tes pleurs,
Sèche-les et m’oublie.
Et l’aimée est partie
Et s’est perdue au loin…
En l’automne je crie
Mais je l’appelle en vain…
– Reste et caresse-moi
De ta main si mignonne.
Dis, pourquoi en automne,
La feuille meurt… Pourquoi ?
(traduit du roumain par Aurel George Boesteanu)
pastel
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le glas de l’automne
s’entend de bien loin
les oiseaux s’envolent
et se cachent dans un coin
seule la pluie résonne
personne dans les rues
et si l’on reste dehors
la fumée nous obstrue
dans les champs lointains
plongent bas les corbeaux
de longs grondements
viennent de l’enclos
de chagrin les sonnailles
tintent encore et encore
il est déjà très tard
mais je ne suis pas mort
(traduit du roumain par Radu Bata)
*
le texte original :
Pastel
Buciumă toamna
Agonic - din fund -
Trec păsărele
Si tainic s-ascund.
Târâie ploaia...
Nu-i nimeni pe drum;
Pe-afară de stai
Te-năbusi de fum.
Departe, pe câmp,
Cad corbii, domol;
Si răgete lungi
Ornesc din ocol.
Tălăngile, trist,
Tot sună dogit
Si tare-i târziu,
Si n-am mai murit…
Automne fébrile
C'est l'automne, langueur et bruissement…
Les arbres soupirent tout au long des chemins ;
C'est l'automne, vide, toux et lamentations…
Il fait froid et il bruine sans fin.
Les amants, plus tristes et plus malades,
En cheminant, font des gestes singuliers –
Et les feuilles, frappées de sommeil éternel,
Tombent, alourdies et mouillées.
Je m'arrête, marche et reviens sur mes pas,
Ces amants me plongent dans un profond chagrin –
Et voilà que je ris sans aucune raison,
Il fait froid et bruine sans fin.
(p. 51)
Crépuscule violet
Crépuscule d'automne violet…
Deux peupliers au fond, deux silhouettes
D'apôtres en soutanes violettes –
Le bourg en son entier est violet.
Crépuscule d'automne violet…
Par le chemin une foule coquette
S'écoule, multitude violette,
Le bourg en son entier est violet.
Crépuscule d'automne violet…
De la tour je vois, voïvodes en tête,
Passer les aïeux, en files violettes,
Le bourg en son entier est violet.
(traduit du roumain par Aurel George Boeșteanu)
Piano
De nouveau tout est triste,
Aujourd'hui comme hier
Dans un monde d'enfer.
Les rêves morts se traînent
Dans le destin railleur.
Et las ! des temps meilleurs
Plus ne viennent, ne viennent,
Consoler les douleurs...
De nouveau tout est triste
Aujourd'hui comme hier.
Décor
Les arbres blancs, les arbres noirs
Sont nus dans le parc solitaire :
Décor de deuil, funéraire…
Les arbres blancs, les arbres noirs.
Dans le parc, sanglotent les regrets…
Et plumes blanches, plumes noires
Un oiseau à la voix amère
Sillonne le parc séculaire…
Et plumes blanches, plumes noires.
Dans le parc, les fantômes se lèvent…
Et feuilles blanches, feuilles noires ;
Les arbres blancs, les arbres noirs ;
Et plumes blanches, plumes noires,
Décor de deuil, funéraire…
Dans le parc, tombe la neige, légère...
(p. 11)
Valse d'automne
Aux vitres, l'automne funéraire
Chantonne sa valse triste, monotone
Allons ma chérie valser au salon
D'après le sanglot mortuaire.
Écoute la musique résonner pure et claire
Dans le parc solennel, plein d'aloi,
De ses instruments tristes de bois
Le chant de l'automne funéraire.
Plus rare soupire la valse dans l'air
Oh, laisse-moi maintenant te serrer…
En pleurs, tout en valsant écouter
De l'automne le sanglot mortuaire.
(traduit du roumain par Max Blecher)
La fanfare
Quel triste opéra jouait
La fanfare militaire
Très tard, dans la nuit, au jardin
Et toute la ville attristait
La fanfare militaire
Pleurant j'errais dans les rues
Sous le ciel vaste et serein
Si vide était la ville, si nue
D'amants, le jardin était plein.
La ville aux lumières électriques
Donnait des frissons de folie
C'était une nuit de septembre
Si froide et sans vie.
Et toute la ville attristait
La fanfare militaire
Très tard dans la nuit au jardin.
Quel triste opéra jouait
La fanfare militaire.
(traduit du roumain par Max Blecher)