C'est maintenant au tour de Franck Ferric qui a pris le temps de répondre à nos questions. Vous pouvez retrouver à la librairie nos coup de coeur pour le Chant mortel du soleil aux étions Albin Michel Imaginaire et pour Trois oboles pour Charon chez Folio SF.
Pour découvrir le travail de notre illustrateur :
https://instagram.com/guillermo_delavega
« La loi oblige à faire ce qui est dit, et non ce qui est juste, pas vrai ?
Foutaises ! Tout ça n’est qu’une brume pour mater les gens. Dissimuler la destruction de dizaines de vieux logements. Ici même, au quartier, sous prétexte de démolir les taudis, on aligne des rues neuves. Bien droites, bien faciles à surveiller. Et surtout, assez larges pour faire passer la troupe.
On en parlait justement ce matin à la fonderie. Depuis quelque temps, tous les journaux, même le plus insignifiant, beuglent autant qu’ils le peuvent qu’il faut rester vigilant [...]
Foutaises ! Toutes ces alarmes sont un brouillard derrière lequel ils cachent la destruction de dizaines de logements, et même ici, dans notre quartier, pour tout refaire d’une manière qui plaira mieux à ceux du centre-ville. Et pour saigner toujours plus les petites gens. Détruire les quartiers, refaire le centre et l’isoler, pour que les rupins n’aient à subir notre présence.
Il n'est de punition plus terrible qu'une éternité de travail sans but ni espoir.
Traverse ta vie, traverse le temps, pour arriver content et sans regret à la fin du parcours en te disant que pendant ton passage, quelque chose du monde a changé.
- Le monde est une boule de boue sertie d’une rare poignée de pierres précieuses. Ishroun la jaune est une cité ancienne. Un diamant fauve figé dans la terre grise des Plaines. Ses palais, ses temples, bâtis par les frères de vos ancêtres, débordent de savoirs et d'une sagesse qui pâtiront de ce saccage. Le monde ne brille que par ce que les hommes y font germer d’eux-mêmes. La fin d’Ishroun le ternira durablement.
Pour tout le monde, il est des endroits qui charpentent l’existence. Des lieux qui marquent la chair ou l’esprit et remodèlent la perception de la vie. Beaucoup citeront : la caserne où l’on change le gosse en homme. La prison où l’on fait du fauve une bête captive. Le dispensaire dans lequel on rallonge le temps qui reste.
Il y a une leçon à tirer quand tes chaussures viennent à bâiller. Si tu sais pas où tu vas, tu sais au moins où t’es allé.
Devant la porte des douches, il y a un sale type.
Avec sur le dos un uniforme noir charbon, sa gueule de mulet plantée sur un corps trop maigre et ses galoches déguenillées maculées de boue alors qu'autour de lui, tous marchent nu-pieds. [...]
Ce sale type reste debout pour compter ceux qui entrent. Il est le préposé aux portes : il les ouvre, s'assure d'y faire passer ni trop, ni trop peu de gens. Puis une fois que tout le monde est à l'intérieur, il les referme.
À clef.
Il compte ceux qui entrent, mais jamais ceux qui sortent.
Personne ne sort jamais de ces douches-là.
Déjà abruti par les cahots de la piste, il se demande si celle-ci a quelque chose à leur faire payer. Un message à faire entendre. Mathian se dit : une route n’a sans doute pas d’autre manière de communiquer avec ceux qui l’empruntent qu’en leur imposant sa chanson à elle. Les accidents à sa surface, ses nids-de-poule, ses virages, ses côtes et ses pentes : voilà la voix de la route. Celle-ci n’a rien d’autre que sa branle d’enfer pour exprimer son message.