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Critiques de Ernest J. Gaines (148)
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Dites-leur que je suis un homme

Ce roman paru en 1993 a l'évidence des classiques instantanés.

D'une histoire simple et universelle, Ernest J.Gaines, surnommé le Faulkner noir » propose une oeuvre magistrale, lucide, désespérée et lumineuse, qui semble concentrer un siècle de l'Histoire de la Louisiane noire d'après la Guerre de Sécession , d'avant le combat pour les droits civiques.



Années 1940. Le roman s'ouvre sur le procès expéditif d'un jeune noir quasi analphabète, Jefferson, pour le meurtre d'un blanc. Il est innocent, mais était là au mauvais moment, au mauvais endroit avec les mauvaises personnes. Son avocat commis d'office tente de le faire acquitter en le comparant à un porc, arguant du fait qu'un porc ne valait pas la peine qu'on le tue. Il est condamné à mort.



Un porc. Ces mots sont d'une violence terrible et hante Jefferson dans les couloirs de la mort. Ils hantent aussi sa marraine qui charge l'instituteur Grant Wiggins d'aider Jefferson à devenir un homme digne sachant accepter la mort dignement. Toute l'intrigue se cristallise autour d'enjeux intimes quasi philosophiques, de grandes questions séculaires en somme : qu'est-ce qui fait un homme ? Comment est-on censé mourir quand on n'a pas assez vécu et qu'on ne connait rien de la vie ?



Le personnage de l'instituteur raconte les dernières semaines de vie de Jefferson dans les couloirs de la mort, lorsqu'il le visite. Cette confrontation est passionnante , entre celui qui va mourir et s'enferme dans l'amertume et le cynisme, refusant de se nourrir et de se soucier des autres, et Grant l’instituteur désabusé par sa vaine mission de scolariser des enfants seulement 5 mois et demi dans l'année ( le reste étant consacré aux travaux des champs ), trop court pour « effacer, gratter, arracher le manteau d’ignorance qui a été plaqué et replaqué sur ces cerveaux ces trois derniers siècles ».



Le roman est autant le chemin qui mène Jefferson à sa dignité retrouvée, que celui de l’évolution de Grant, un homme noir, jeune, instruit pour affirmer son identité dans l’Amérique de la Ségrégation : Jefferson doit aller à la mort la tête haute, être l’homme le plus fort dans la pièce de la chaise électrique, ce qui lui confèrerait une dimension quasi christique ; Grant doit être celui qui résiste et le guide vers la liberté de choisir comment il va accepter la mort, le héros et le héraut d’une communauté afro-américaine qui doit détruire le mythe construit par les Blancs sur l’infériorité intellectuelle des Noirs. Son affrontement avec le révérend, celui qui croyait au ciel, pour éduquer Jefferson, est d’une grande intelligence.



Ce roman est d’une puissance d’évocation remarquable. On connaît la fin dès le départ, on sait que Jefferson sera exécuté. Il n’y a pas d’échappatoire mais la façon dont la tension monte, mots après mots, place le lecteur dans une réflexion sur le sort des Afro-Américains, d'hier et d'aujourd’hui, avec une rare profondeur. Dites leur que je suis un homme est un livre éminemment politique, il a la force d’un pamphlet tout en ayant la subtilité de persuasion de la douceur empathique, l’émotion affleurant de partout et explosant dans les dernières pages.



Déchirant d’actualité, définitivement un classique. Universel et limpide.

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Colère en Louisiane

8 heures dans une communauté rurale de Louisiane du Sud, fin des années 1970. Un homme blanc, un cajun cruel et raciste, a été abattu dans l'arrière-cour d'un Noir, le vieux Mathu est aussitôt désigné comme coupable. Pour le protéger, Candy Marshall, héritière blanche de l'ancienne plantation, s'accuse du meurtre pour protéger celui qui l'a élevé. Mais dans l'urgence, elle appelle tous les vieux Noirs du coin à la rejoindre sur le lieu du crime avec leurs fusils de chasse calibre 12 et leurs cartouches n°5 afin de brouiller les pistes. Tous attendent et redoutent l'arrivée du redoutable, Fix, le père de l'assassiné, ex-chef du Klan, organisateur de lynchages.



Colère en Louisiane tient de la tragédie grecque avec son unité de temps, de lieu et d'action, sa tension, son drame qui cristallise toute l'histoire des Etats-Unis sudistes, qui révèle toutes les tensions raciales en cours. Ernest J.Gaines a eu une sublime idée qui résonne très fort dans le coeur et l'esprit du lecteur. Les vieillards qui répondent à l'appel se mettent tour à tour à se désigner comme coupables. Chacun se raconte, raconte les griefs étouffés depuis des décennies, raconte le racisme ordinaire à l'époque de la Ségrégation. Et c'est terriblement poignant de voir ses hommes oser revendiquer, retrouver leur dignité, eux qui si emplies de regrets liés à leur ancienne passivité. Ils se tiennent enfin debout face au shérif qui les rudoie, comme une rédemption personnelle portée par le collectif.



L'auteur choisir le bon dispositif narratif. Tous les chapitres sont introduits par le nom d'un personnage qui se fait narrateur. Quinze voix composant un large éventail ( hommes, femmes, Blancs, Noirs, jeunes, vieux, racistes, libéraux, éduqués ou pas ). Cela pourrait être très artificiel mais cela ne l'est jamais tant Ernest J.Gaines parvient à trouver pour chacun son propre ton, son propre phrasé, sa propre respiration, donnant à voir son point de vue et son ressenti. C'est d'autant plus fort que jamais les personnages principaux ( Mathu, Candy et le Shérif ) ne se joignent à ce choeur, Mathu étant le seul qui sait réellement ce qu'il s'est passé ( est-ce lui le tueur, ou pas ? )



En fait, derrière les apparences de limpidité classique de ce roman, rien n'est simple, la démonstration n'empêche pas la complexité. Les tensions entre Noirs et Cajuns, blancs, traditionnellement pauvres, eux-même issus d'une minorité ethnique, sont particulièrement bien présentées, se disputant la terre et leur gagne à pain avec les Afro-Américains depuis que l'abolition de l'esclavage. Surtout, on croit en tous des personnages : au respect mutuel taiseux entre Mathu et le Shérif ; au clan de Fix qui explose entre ceux qui veulent rester sur une ligne vengeresse et ceux qui veulent vivre en harmonie avec les Noirs.



Remarquable.
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Le nom du fils

Mes pérégrinations outre-Atlantique m'ont conduit cette semaine à Sainte Adrienne, une petite ville située non loin de Bâton-Rouge la capitale de la Louisiane.

Pour une première approche de cette région aux bayous mystérieux, le mieux était de choisir un guide confirmé. Le grand écrivain du Sud, Ernest James Gaines, aujourd'hui octogénaire, semblait tout indiqué.

Cet auteur s'est intéressé sa vie durant au sort des Afro-Américains longtemps victimes de l'esclavage, de la ségrégation raciale et de la discrimination. Voyons si son roman ‘'Le nom du fils'', paru en 1978, est bien dans le droit fil du vif intérêt qu'il porte à la condition de ses semblables !



En cet hiver 1970, deux ans seulement après l'assassinat de Martin Luther King à Memphis, la communauté noire est toujours à cran.

La paroisse de Sainte Adrienne dispose heureusement à sa tête, depuis quinze ans, d'une personnalité faisant l'unanimité : le révérend Phillip Martin.

Ce pasteur baptiste père de trois enfants, défenseur inlassable des droits civiques, est en quelque sorte le Luther King local. Son discours bienveillant et ses mains de lutteur suffisent en général à calmer l'adversité. Il n'hésite pas cependant à parfois payer de sa personne pour faire entendre raison à tel ou tel tyran des alentours qui, parce qu'il est blanc et parvenu en haut de l'échelle sociale, se croit tout permis.

Cet homme de foi et de convictions cache pourtant un lourd passé de débauche. Cette vie antérieure, à l'opposé de celle d'aujourd'hui, va tel un boomerang lui revenir en pleine figure. Un jeune homme rôde depuis quelques jours dans les rues sombres de Sainte Adrienne, bien décidé à lui faire payer ses errances d'autrefois.



En immersion complète au sein de cette communauté noire, le lecteur est véritablement happé par le désarroi du pasteur Martin qui du jour au lendemain ne sait plus à quel saint se vouer.

“Le nom du fils” se déroule sur seulement une poignée de jours mais son intensité psychologique lui donne une exceptionnelle attractivité. Certains écrivains ont le don d'aller à l'essentiel, sans éprouver le besoin d'enjoliver le récit ; il me semble à la lecture de ce roman qu'Ernest J. Gaines en fait partie.



Depuis le début des primaires à l'élection présidentielle de novembre prochain, le ciel américain s'est chargé de lourds nuages populistes et racistes qui n'augurent rien de bon ni pour les États-Unis ni pour le reste du monde.

Le vieil Ernest J. Gaines, sans doute retiré dans son Sud natal berceau du blues, doit certainement s'interroger ces jours-ci sur le niveau affligeant de ces exhibitions politiques, bouillir intérieurement et se dire : “Mais pourquoi tant de haine ? Décidément, rien dans ce bas monde n'est jamais acquis !”
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Dites-leur que je suis un homme

Louisiane, dans les années 40. Deux jeunes hommes, Brother et Bear, embarquent avec eux Jefferson. Même s'ils n'ont pas un sou en poche, ils espèrent qu'Alcee Gropé, qui tient l'épicerie, leur fera crédit pour une demi-bouteille. Mais le vieil homme ne l'entend pas de cette oreille. Brother et Bear s'énervent, tentent d'en attraper une derrière le comptoir. Aussitôt l'épicier sort un revolver. Brother aussi. Trois morts à terre. Jefferson, choqué, ne comprend pas ce qui s'est passé. Bien qu'il n'ait pas tiré un seul coup de feu, n'ait pas participé à cette tragédie, le jeune homme se retrouve accusé du meurtre du vieux Gropé. Lors de sa plaidoirie, son avocat commis d'office, incompétent, le rabaisse dans sa condition d'homme. Le traite d'idiot, d'incapable et va jusqu'à le comparer à un porc. La sentence tombe : mort par électrocution. Nan-nan, la tante de Jefferson, effondrée, choquée par ces propos, ne peut tolérer que l'on réduise son neveu à un porc. Elle et son amie, Lou, vont alors demander à Grant Wiggins, instituteur et neveu de cette dernière, d'aller voir Jefferson en prison afin de lui rendre sa dignité, lui faire prendre conscience qu'il n'est pas un animal...



Jefferson était tout simplement au mauvais endroit au mauvais moment. Double sentence pour ce jeune Noir démuni et illettré: condamné à mort par un jury composé de Blancs et humilié et rabaissé lors de son procès. Seul Noir de la communauté ayant fait des études et étant devenu instituteur, c'est à Grant Wiggins que sera confiée la tâche de redonner à Jefferson son statut d'homme. En Louisiane, dans les années 40, la ségrégation raciale était bien présente. Aussi, les Noirs devaient-ils ne faire et ne dire que ce que seule leur couleur de peau leur permettait. Wiggins, lui, peine à trouver sa place dans sa communauté. Sa relation avec une femme en plein divorce va encore compliquer sa position. Avec ce roman d'une grande profondeur, Ernest J.Gaines nous dépeint aussi bien le racisme, la place des Noirs au sein de la communauté, la supposée supériorité des Blancs, la religion omniprésente, l'injustice, le courage, la liberté... En tant que narrateur, Wiggins dépeint avec force et beaucoup d'émotion la relation si fragile qu'il noue avec Jefferson, l'ambiance électrique au sein de la communauté. L'antépénultième chapitre, le journal de Jefferson, orthographié phonétiquement, est d'une force incroyable. Un roman poignant, émouvant et d'une grande ferveur humaniste...
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Dites-leur que je suis un homme

Louisiane, années 40.

Jefferson a été reconnu coupable de meurtre.

Noir, désargenté et sans instruction, il s'est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment.

Un blanc est tombé, définitivement.

Le procès était couru d'avance et a confirmé ce que tous ses proches redoutaient, la chaise électrique.

Ils vont lui prendre sa vie, c'est un fait établi.

Au-delà de ça, ils ont renié sa part d'humanité en l'assimilant à un animal, un porc réalisant à peine ce qu'il allait advenir de lui.

Rien ne pourra désormais abroger cette sentence mais c'est la tête haute et bien campé sur ses deux jambes que sa vieille tante souhaiterait le voir avancer le jour du jugement dernier.

Qui mieux que l'instituteur du coin, Grant Wiggins, pour lui faire prendre conscience de sa condition d'être humain à part entière.

La réticence initiale fera rapidement place à un sacerdoce peu partagé par le révérend Ambrose craignant alors de se voir déposséder de son statut d'émissaire divin.



Dites-leur Que Je Suis Un Homme est un récit coup de poing.

De ceux qui interpellent, qui questionnent et qui dérangent.



Porté par des personnages consistants, il taraude le lecteur avide de pardon et de rédemption.

Grant, homme noir érudit, étonne de par la dualité de ses sentiments alors que tous les notables blancs tranchent, eux, lamentablement, avec la supériorité intellectuelle dont ils se réclament à l'envi.



Le style de Gaines est sobre, direct et éminemment suggestif.

L'ultime passage évoquant les derniers instants de Jefferson est d'une puissance folle. Tout en non-dits, il impose à l'esprit des images porteuses d'une charge émotionnelle dévastatrice.



Si les échanges entre Grant et Jefferson furent longtemps stériles, la sincérité et l'amitié qui en découlèrent finalement permirent aux deux protagonistes de tirer pleinement avantage de cette nouvelle situation.

Et n'allez surtout pas croire que Jefferson était le plus désespéré des deux, vous feriez une gravissime erreur.



4,5/5
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Dites-leur que je suis un homme

Un soir comme il n'en faudrait pas, Jefferson « se dirigeait vers le White Rabbit Bar quand Brother et Bear avaient arrêté la voiture à côté de lui et lui avaient proposé d'aller faire un tour avec eux. » Ils en voulaient à son argent, évidemment. Et de l'argent, il n'en avait pas, évidemment. Alors les deux gars qui avaient soif et pas d'argent ont compté que le vieux Gropé leur ferait crédit pour une demi-bouteille. Ca ne s'est pas passé comme ça. le vieux Gropé est mort sous leurs tirs, Brother et Bear sous les siens. Jefferson, qui n'avait rien fait, s'est fait coffrer. Dans les années 40, en Louisiane. Jefferson est noir.



Ce sont les toute premières lignes du roman. Quelques lignes encore pour vous parler de la plaidoirie de son avocat. « Messieurs les jurés, regardez-le – regardez-le – regardez-moi ça. Est-ce que vous voyez un homme assis là ? » Je vous fais grâce de la suite, du même tonneau. Retenez seulement que Jefferson sera ramené au statut d' « animal traqué capable de frapper par peur, un trait hérité de ses ancêtres du fin fond de la jungle d'Afrique » avant que la plaidoirie se close sur cette interjection « Enfin, autant placer un porc sur la chaise électrique ! » et cette mise en garde sans aucune ironie « Chacun d'entre nous doit vivre avec sa conscience. »



Dites-leur que je suis un homme est un très beau roman classique. Deux tragédies s'y tissent. La première est inexorable, elle concerne le sort des Noirs américains dans les années 40, la sur probabilité que, dans les quartiers miséreux où ils sont confinés, moins bien soignés, recevant une éducation de moindre qualité, faisant tous les jours l'expérience de la ségrégation, du mépris et du dégoût qu'ils inspirent aux Blancs, les Noirs se retrouvent davantage mêlés à des rixes. Et que, partant de ce contexte, ils soient jugés de manière partiale, en leur défaveur naturellement.



De cette tragédie-là, on ne dira donc quasiment rien. La démonstration de son caractère inique se fera en filigrane, dans la construction des personnages, le déroulé de l'histoire qui, je ne vous mentirai pas, se finira pour Jefferson par une exécution.



Ce qui sera en jeu en revanche, c'est la dignité de Jefferson. Condamné à se diriger vers une mort certaine en sachant qu'on est considéré comme un porc, que même celui qui devait vous défendre ne vous voit pas autrement, c'est mourir deux fois.



La communauté noire de la petite ville est soudée autour de son pasteur et de quelques femmes dont Miss Emma, la marraine de Jefferson. Très âgée, épuisée par le temps qu'elle a donné à une famille de Blancs influents, la vieille dame impose à Grant Wiggins, l'instituteur et neveu d'une autre redoutable grenouille de bénitier, de restaurer à Jefferson l'estime qu'il doit avoir de lui-même avant de mourir. Qu'il y aille debout. Comment un homme plus instruit que ses voisins, lucide et athée pourrait-il accomplir ce miracle ? Il faudrait déjà qu'il croie en lui.



Voilà. C'est exactement et juste cela. Avec une économie de moyen, une galerie de personnages féminins magnifiques et un sens de la psychologie parfaitement maitrisé. Un très beau et très grand roman d'une écriture classique, sobre, efficace.



C'est la deuxième incursion réussie que je fais dans la collection piccolo après le coup du fou. Il va falloir que je surveille cette ligne éditoriale de près, elle recèle de vrais trésors.

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Une longue journée de novembre

Même en Louisiane, les rapports entre hommes et femmes ne sont pas simples. Et même là-bas, c’est les gosses qui trinquent, qui se trouvent partager entre les choix de sa M’man et les dérives de son P’pa. Peut-être que là-bas, les gosses grandissent un peu trop vite, et qu’ils devraient passer plus de temps à jouer aux billes, plutôt qu’à marcher le long de la route, dans le froid humide d’une journée de novembre, pour aller à l’école, pour s’enfuir chez Grand-Ma, pour visiter la voyante du coin venu prodiguer contre 3 pièces les bons conseils à P’pa pour que sa femme revienne…



Voilà pour la première nouvelle que l'on retrouve dans une autre édition sous le titre Ti-Bonhomme ! (cf my chronicle from Louisiane, là-bas)



Seconde nouvelle proposée ici : Le ciel est gris.



Toujours avec le point de vue, d’un gamin, légèrement plus vieux, la dizaine d’années avec une rage de dents pas possible. Toujours cette même nostalgie de l’enfance. Je me souviens encore quand moi gamin, ma M’man m’emmenait chez le dentiste. La peur me faisait suer comme si mon âme s’était déplacée dans le bayou. Le bruit de la roulette ou de la fraise provoquait des crampes à l’estomac. Je ne voulais pas l’affronter, je voulais rester p’tit, sans souci sans bobo. Je ne connaissais pas encore le Sud, sa chaleur, sa moiteur en été, son ciel gris et ce froid d’une longue journée de novembre. Et cette même tristesse qui ressort de la vie d’une famille noire dans ce Sud profond. Qui aurait pu penser qu’aller voir un simple dentiste devient une expédition si humaine. Affronter le froid et la grêle, la faim et la misère, la ségrégation et le regard des autres, des noirs, des blancs. Mais y découvrir aussi l’espoir, celui de voir au coin d’une rue, un sourire, une précieuse aide qui réchauffe le cœur en cette journée grise de novembre. Il pleut, il grêle, et malgré tout, il y a de la lumière, de l’émotion, de l’humain.



[...]
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Dites-leur que je suis un homme

Vous l’avez, l’image de ces basketteurs en T-shirt "Black Lives Matter", le genou à terre pour dire leur révolte contre le meurtre de George Floyd ?

Vous l’avez, l’image de ces athlètes noirs sur un podium, levant un poing ganté à Mexico en 1968 ?

Le livre dont je vais vous parler m’a mis le genou à terre.

Et il est entré sur mon podium personnel sur ce thème. Sur la première marche il y a les romans de Toni Morrison. En troisième position, Les moissons funèbres de Jesmyn Ward. Dites-leur que je suis un homme prend aujourd’hui place entre les deux.

Louisiane, 1948.

L’esclavage est aboli depuis plus de 80 ans, mais la société sudiste reste profondément raciste et inégalitaire.

Dans ces conditions, comment un Noir peut-il conquérir sa dignité d’être humain ?

Ernest J. Gaines y réfléchit en partant d’un cas emblématique, celui d’un jeune Noir accusé à tort et condamné à mort par un jury exclusivement blanc. Une seule espérance soutient la femme, sa marraine, qui l’a élevé : qu’il meure en homme. Et une seule personne lui semble susceptible de l’y amener : l’instituteur. Oh, il y a bien aussi le pasteur, mais le secours qu’il peut apporter à la femme éplorée et à l’enfant condamné est d’une autre nature.

C’est l’instituteur qui raconte.

Un homme tourmenté, plein d’amertume et de doutes.

Son récit alterne entre visites à la prison, moments en classe (pas d’école ni de matériel, à peine 6 mois de cours par an et guère d’ambition pour ces enfants noirs) et instants de douceur auprès de Vivian.

Et au fur et à mesure qu’il visite le prisonnier et tente de créer un échange entre eux deux, sa propre réflexion grandit et s’approfondit.

C’est quoi la dignité d’un être humain dans ce monde ségrégationniste ?

"Tant qu'aucun de nous ne relèvera la tête, ils seront à l'abri."

Ce livre est celui qui relève la tête.

Un mot pour terminer sur l’écriture, magnifiquement traduite par Michelle Herpe-Voslinsky : la façon dont est rendue l’atmosphère, les dialogues, la tension et la réflexion dans le récit, mais aussi sa profonde sensibilité, tout, absolument tout, est de l’ordre du chef-d’œuvre.

Un immense merci à Hélène (4bis) pour la découverte.



Challenge USA : un livre, un État (Louisiane)
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Par la petite porte

Dans « Dites leur que je suis un homme » j’ai trouvé sous la plume de Ernest J. Gaines un plaidoyer émouvant dépourvu de haine.. Dans « Par la petite porte » j’ai retrouvé toute la subtilité de l’auteur et sa grandeur d’âme.

L’auteur nous raconte l’histoire de Cooper dont la mère a été violée par le propriétaire de la plantation. Maintenant l’oncle de Cooper qui a repris la direction de la plantation est mourant et Cooper entend bien réclamer sa part de l’héritage et il le fera en passant par la grande porte et non par la petite, réservée aux esclaves.



Tout au long de ma lecture, j’ai été bercée par la voix de Félix, le conteur. Celle ci s’est imposée naturellement dans ma tête. Posée, ronde, un peu affaiblie par les années et marquée par l’accent des anciens esclaves. Accent que je n’ai jamais entendu, c’est vrai, mais dont je devine la véracité dans l’écriture de EJG . Ce n’est pas celui auquel les auteurs ont souvent recours, pas de « missié », « p’ove » … non. Ici on devine toute la tendresse et le respect pour cette façon de s’exprimer, qui oublie le « ne » des négations, qui inverse l’ordre établi des mots, ou encore qui en occulte d’autres. Ce choix d’écriture est un véritable hommage et une marque de respect. EJG n’a pas cherché à faire de ces hommes des gens présentables pour les blancs. Il n’ont pas besoin de ça pour être dignes. Il décrit ces hommes au plus près de ce qu’ils sont jusqu’à leur langage. Peu importe d’ailleurs les fautes du vieux Félix, on sent toute la perspicacité et la vivacité d’esprit de cet homme qui se garde bien d’en dire trop. Si un blanc pense être moins futé qu’un noir il pourrait mal le prendre, mais le regard de cet homme sur le monde n’en est pas moins celui d’un vieux sage.



J’ai eu un véritable coup de cœur pour ce personnage, mais ce n’est pas une raison pour en oublier le thème principal : le différent qui oppose Cooper et Franck et qui peut paraître futile au regard de tout ce qu’il reste encore à faire à l’époque, mais qui est à l’image de la complexité de ce monde. Si l’esclavage est aboli le ségrégationnisme est à son apogée, les noirs semblent encore entravés par des chaînes et les blancs se comportent encore en maître. Une volonté de liberté commence à naître chez les noirs et une prise de conscience commence à de faire chez les blancs.

Là encore EJG fait preuve de beaucoup de subtilité et nous offre 2 personnages d’une grande complexité, incarnés, et pleins d’épaisseur.

Franck est une allégorie de cette époque qui prend fin, comme lui elle est vieille et mourante mais tient bon et ne se laissera pas achevée si facilement. Cooper lui représente l’avenir, qui pourrait se révéler sanglant s’il se laisse aveugler par l’impulsion et la fouge de la jeunesse malgré la nécessité de la lutte.



En peu de pages (107) EJG nous offre un récit humble et percutant qui hantera longtemps la mémoire des lecteurs. Un auteur qui impose le respect et vous fait sentir tout petit.
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Dites-leur que je suis un homme

Louisiane, années 40. Jefferson, un jeune noir illettré, est arrêté après le meurtre d’un commerçant blanc. S’il était bien ce jour-là sur les lieux du crime, il a simplement assisté au drame. Accusé à tort, son avocat commis d’office avance pour sa défense qu’il n’est qu’un « animal sans cervelle ». Pour lui, tuer Jefferson reviendrait à attacher un porc sur la chaise et à l’exécuter. « Un animal qui ne comprendrait pas ce qui se passe. » Un argumentaire pitoyable qui n’empêchera pas la condamnation à mort. Peu après, la marraine du condamné demande à l’instituteur Grant Wiggins de lui faire comprendre qu’il n’est pas un porc mais bien un homme. Seul ou accompagné du révérend Ambrose, Wiggins rend régulièrement visite à Jefferson dans sa cellule et tente de redonner au jeune homme la dignité dont le procès l’a privé...



Ce roman met en jeu tellement d’aspects importants, il appuie là où ça fait mal et pose des questions qui ne peuvent qu’interpeller chacun d’entre nous.



Wiggins l’enseignant est un personnage d’une infinie complexité. Lucide, conscient que sa condition de noir dans la Louisiane des années 40 ne lui autorise aucun avenir. Conscient de ne pas pouvoir remplir la tâche qu’on lui a confiée. Conscient de sa lâcheté, notamment le jour de l’exécution : « Pourquoi n’étais-je pas là-bas, pourquoi n’étais-je pas à son coté ? Pourquoi mon bras n’était-il pas autour de ses épaules ? Pourquoi ? ». Conscient de l’injustice permanente que subissent les siens : « Douze hommes blancs décident qu’un homme noir doit mourir, et un autre homme blanc fixe la date et l’heure sans consulter un seul noir. C’est ça la justice ? […] Ils vous condamnent à mort parce que vous étiez au mauvais endroit au mauvais moment, sans la moindre preuve que vous ayez été mêlé au crime, en dehors du fait d’avoir été sur les lieux quand il s’est produit. Pourtant, six mois plus tard, ils viennent ouvrir votre cage et vous informent : nous, tous des blancs, avons décidé qu’il est temps pour vous de mourir. » Sa fragilité est au cœur du texte. Il ne se sent pas investi d’une mission. Il semble totalement perdu face à une situation qui le dépasse mais au fil de ses visites, il trouve un sens à l’action qu’il mène auprès du condamné. Petit à petit il parvient à apprivoiser Jefferson et à lui transmettre cette absolue certitude : tu es un homme, tu n’es pas un animal comme ils veulent te le faire croire.



De son coté, pour que Jefferson abandonne le statut d’animal et se considère comme un homme à part entière, le révérend Ambrose veut lui parler de Dieu. Le révérend Ambrose veut le sauver. Il veut le préparer pour le monde meilleur qui l’attend après la mort. Et pour cela il a besoin de Wiggins. Car c’est le seul que Jefferson écoute. Mais Wiggins ne sait rien de l’âme. Il ne croit pas au ciel, il ne lui dira jamais d’y croire.

- Suppose qu’il te demande s’il existe, qu’est-ce que tu feras ?

- Je lui dirai que je ne sais pas.

[…]

- Et s’il te demande si tu crois au paradis, tu feras quoi ?

- J’espère qu’il ne le fera pas révérend.

- Mais s’il le fait ?

- J’espère que non.

- Tu ne pourrais pas lui dire oui ?

- Non révérend, je ne pourrais pas. Je ne pourrais pas lui mentir dans un moment pareil. Je ne lui mentirai plus jamais, quoi qu’il arrive.



Wiggins l’athée refuse que Jefferson se mette à genoux devant le Seigneur avant de s'asseoir sur la chaise. Il veut le convaincre de rester debout jusqu’au dernier instant, pour briser le mythe de l’homme blanc :

« Tu sais ce que c’est qu’un mythe, Jefferson ? lui ai-je demandé. Un mythe est un vieux mensonge auquel les gens croient. Les blancs se croient meilleurs que tous les autres sur la terre ; et ça, c’est un mythe. La dernière chose qu’ils veulent voir, c’est un Noir faire front, et penser, et montrer cette humanité qui est en chacun de nous. Ça détruirait leur mythe. Ils n’auraient plus de justification pour avoir fait de nous des esclaves et nous avoir maintenus dans la condition dans laquelle nous sommes. Tant qu’aucun de nous ne relèvera la tête, ils seront à l’abri. […] Je veux que tu ébrèches leur mythe en faisant front. Je veux que toi – oui, toi- tu les traites de menteurs. Je veux que tu leur montres que tu es autant un homme, davantage un homme qu’ils ne le seront jamais.»



En fait, ce roman, c’est tout cela à la fois. L’injustice, la religion, l’éducation, l’amour, le statut de l’homme noir dans une région où la ségrégation n’est pas un vain mot, la place de chacun au sein d’une communauté… c’est tout cela et bien davantage encore. Je reconnais que l’écriture, très descriptive, n’a rien d’exceptionnel. Mais peu importe. Les vingt-cinq dernières pages sont poignantes. Elles vous attrapent le cœur et le serre tellement, tellement fort… C’est juste bouleversant, j’en ai eu des frissons et je peux vous dire que ce n’est pas le genre chose qui m’arrive souvent au cours d’une lecture.



Ernest J. Gaines est un immense auteur afro-américain bien trop méconnu sous nos contrées et Dites-leur que je suis un homme est son chef d’œuvre. Un roman essentiel, inoubliable. Pas pour rien qu’il a remporté l’année de sa sortie le National Book Critics Circle Award (le grand prix de la critique américaine).




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Dites-leur que je suis un homme

Ça raisonne comme le cri d'un lion en détresse, ça fait frémir, ça choque, ça asphyxie, ça déprime parce qu'être esclave est encore mieux, on reconnait au mieux son statut et on s'y fait mais être traité d'un vrai cochon dépourvu de toute réflexion, de tout raisonnement même primaire, et ceci est dit non pas seulement dans un lieu public mais dans un tribunal, un lieu de la justice, une justice qui se doit d'abord de reconnaître en chaque homme le droit d'être humain et tout ce qui s'ensuit, et pis encore c'est une grosse insulte proférée par son propre avocat, il y a de quoi cracher sur la gueule des institutions!



Dites-leur que je suis un homme, un point c'est tout! C'est le cri de Jefferson, condamné à mort pour avoir été dans un mauvais endroit et au mauvais moment!
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Dites-leur que je suis un homme

Le narrateur Grant Wiggins est un instituteur noir dans un village de Louisiane . Dans les années 1940, le seul espoir des jeunes est de travailler dans les champs de cannes à sucre ou quitter le village.

Grant a été élevé par sa tante et vit toujours chez elle. Le dimanche après la messe, la tante reçoit sa meilleure amie Miss Emma pour un café-gâteaux. Miss Emma n'est plus toute jeune et élève seule son filleul Jefferson, pauvre gars désoeuvré.



Un jour, Jefferson se laisse entraîner par deux voyous, qui lui proposent d'aller faire un tour avec eux et acheter à crédit de l'alcool chez l'épicier le vieux Gropé. Mais celui-ci refuse, le compte n'y est pas et les deux hommes ont déjà trop bu. Après un échange de coups de feu, seul Jefferson est encore debout et se retrouve accusé de meurtre.



Au cours du procès, il se fait traité de porc par l'avocat nommé par le tribunal et condamné à mort . A partir de ce jour, il refuse les repas que lui apporte sa marraine quand elle vient le voir en prison,et ne parle à personne.

Devant Miss Emma effondrée, la tante fait promettre à Grant d'aller voir Jefferson en prison et d'en faire un homme avant qu'il meure.

Lourde tâche pour cet enseignant qui aura besoin de tout l'amour de sa compagne pour l'aider.



Dans ce livre, beaucoup de questions, de belles rencontres, des moments forts, des personnages superbes.

Une envoûtante écriture pour parler des laissés-pour-compte. Magnifique.
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Colère en Louisiane

Dans les bayous de Louisiane, dans le vieux sud profond et ségrégationniste, les choses sont en train de changer à la fin des années 70. La preuve ? Demain, tel un symbole, Gil et Cal, copains d’enfance, l’un noir et l’autre blanc, joueront ensemble pour qualifier l’équipe locale pour la finale de la conférence régionale de football américain.



En attendant, aujourd’hui, l’heure est grave : à Bayonne sur les rives du Mississippi, la plantation Marshall est en alerte depuis que Beau Boutan, Cajun en charge des chargements de canne à sucre a été abattu par le vieux Mathu. Alors que le shérif Mapes se précipite pour l’arrêter, il se retrouve face à face avec une quinzaine d’ouvriers et métayers noirs de la plantation accourus pour le sauver. Chacun s’accuse du meurtre mais le temps presse pour y voir clair avant que Fix, le propriétaire blanc et ses hommes, ne débarquent pour faire justice selon les bonnes vieilles méthodes locales du Klan.



Roman choral à l’intensité progressive, Colère en Louisiane de Ernest J. Gaines -traduit par Michelle Herpe-Volinsky- est le récit fort et marquant d’un monde qui change, de rapports de force ancestraux et établis en train de vaciller sous l’énergie d’hommes qui se lèvent, qui résistent et qui font corps.



Comme dans Dites-leur que je suis un homme -mais avec davantage de force ici selon moi- Gaines poursuit son ode à la dignité humaine et réaffirme qu’un homme qui se dresse et s’assume peut en entraîner d’autres, faire changer l’ordre établi, susciter les raisonnements, questionnements ou remises en cause, pour finalement se comporter en homme ou renaître en homme. Un roman puissant.

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Dites-leur que je suis un homme

Il n'y a pas à dire, on reconnait un écrivain, un vrai, quand on en lit un. Et Ernest J. Gaines en est un à n'en pas douter.



Dites-leur que je suis un homme est un livre tout en profondeur et en émotions.



Jefferson est un jeune Noir de la Louisiane, peu instruit mais pas mauvais. Il a eu le tort de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. Il se retrouve malgré lui dans un braquage qui tourne mal...

Son avocat commis d'office, un Blanc, le défendra en disant que le condamner à la chaise électrique serait comme envoyer un porc se faire électrocuter, sans plus de conscience de ce qui lui arrive. Les douze jurés blancs le déclareront coupable. Jefferson mourra sur la chaise électrique.



Dans ce livre, il est question du racisme, bien sûr, mais avant tout, de la réhabilitation de la dignité d'un homme. Grant Wiggins, un instituteur (un des seuls métiers qu'il est permis d'embrasser pour un Noir instruit), est pressé par sa tante Lou et sa meilleure amie Miss Emma, la marraine de Jefferson, de rendre visite à ce dernier en prison. Il doit lui faire recouvrer sa dignité d'homme, qu'il marche debout, la tête haute.



Car il n'est même pas question dans cet état du Sud de combattre l'injustice de la condamnation, mais de vaincre l'injustice qui est faite à la dignité d'un homme.



Un roman très fort et un très bel écrivain que je ne manquerai pas de suivre avec beaucoup de plaisir et d'intérêt.
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Dites-leur que je suis un homme

Pas de déception à la suite de cette lecture mais pas non plus l'emballement auquel je m'attendais.



Dites-leur que je suis un homme de E.J. Gaines – traduit par Michelle Herpe-Voslinsky – est en quelques années (et un National Book Award) devenu un classique, manifeste contre la peine de mort, ode à la dignité humaine, mais surtout peinture d’une Amérique de l’entre-deux guerres où la ségrégation est encore banalisée.



Comme dans la chanson de Calo, Jefferson s’est juste trouvé « un jour au mauvais endroit », dans un banal vol qui a mal tourné, au cours duquel un blanc a été tué. Et Jefferson est noir. Lors de son procès, son avocat tente de lui éviter la chaise en le rabaissant au rang de moins que rien, de vulgaire cochon.



Jefferson ira quand même à la chaise. Mais jusqu’au bout, l’instituteur Garett Wiggins va tenter de lui rendre sa dignité, poussant à l’extrême l’analogie christique voulant qu’en se relevant face à la mort, Jefferson se sauve et relève tout son peuple en même temps.



C’est beau, bien écrit, un brin longuet et parfois trop attendu. Mais ne serait–ce que pour le dernier quart du livre, émouvant et déchirant, Dites-leur que je suis un homme se doit d’être lu !

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Colère en Louisiane

Quand le cajun Beau Boutan est abattu près de la ferme de Mathu un vieux noir connu pour son caractère fier, ce dernier reste prostré et quand Mapes le shérif arrive dans l'heure, le crime semble facile à éclaircir. c'est sans compter avec Candy, une jeune fille blanche, qui a été élevée par Mathu et qui s'accuse du meurtre. Mapes doit faire face également à une bonne douzaine d'hommes noirs, âgés, qui ont tous eu maille à partir à un moment donné avec Beau et qui s'accusent à tour de rôle du meurtre. le temps presse, car la famille de Beau, riches propriétaires terriens, risque de s'organiser de manière expéditive pour obtenir justice par lynchage.



Colère en Louisiane - A gathering of old men - est le deuxième roman que je lis de Ernest J. Gaines et de nouveau un grand plaisir de lecture : tout est juste avec cet écrivain : la psychologie des personnages, le prisme qu'il choisit dans la construction de son récit, le style d'écriture et l'ambiance qu'il sait créer et toujours cette capacité à déclencher les sentiments sans pathos.

De nombreux personnages - chacun des protagonistes prenant la parole - beaucoup de dialogues donc, qui rendent le drame très vivant.

Il arrive à dénoncer sans accuser, révélant les fractures anciennes et trop longtemps tues entre communautés qui finissent par éclater.

Ecrivain toujours à suivre pour moi....
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Ti-Bonhomme

Qu’il fait bon sous la chaleur de la couette. Bien au chaud, Ti-Bonhomme n’a pas envie de se lever pour aller à l’école. Je le comprends bien ce gamin de 6 ans, surtout quand à mon grand âge, je pense à la même chose : pas envie de me lever pour aller au taf, une couette, un nid douillet, et une longue journée de novembre en perspective.



Je pourrais aller à la plantation, couper des tonnes de cannes à sucre et gagner ainsi durement et à la sueur de mon front quelques sous pour nourrir ma famille. Comme le ferait le père de Ti-Bonhomme, dans cette Louisiane dont est originaire Ernest J. Gaines.



A la différence près que ce P’pa, passe plus de temps à bichonner sa voiture neuve qu’à flatter la croupe de M’man. Il flirte plus sur les routes que s’occupe de sa famille. Ti-Bonhomme, lui, aime sa M’man – et aussi un peu son P’pa. Mais lorsque sa M’man le réveille en plein milieu d’une longue nuit de novembre avec pot et baluchon, quitter la chaleur de ce foyer familial pour retrouver Grand-Ma, Ti-Bonhomme n’aime pas trop Grand-Ma. Elle critique et dénigre constamment mon P’pa, elle le traite de bon-à-rien, de nègre et de mulâtre…



Dans le Sud profond de l’Amérique, à coté de la misère et des bayous, la vie s’écoule comme une longue journée de novembre. Les gosses de Louisiane sont les mêmes que partout ailleurs. Ti-Bonhomme a 6 ans et jouent aux billes. Mon fils, aussi. Moi aussi (quand j’avais 6 ans). J’en deviens un brin nostalgique. Cela pourrait être l’histoire de mon fils ou la mienne. Aller à l’école, jouer aux billes, manger de la canne à sucre. Bon, ok, je n’ai jamais épluché avec les dents de la canne à sucre. Mais, la plume de Ernest J. Gaines est si empreinte d’émotions simples et de la chaleur du Sud, que j’ai eu le sentiment que moi-aussi, je me trouvais là-bas, à faire rouler avec un bâton un vieux pneus…



[...]
Lien : http://leranchsansnom.free.f..
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Catherine Carmier

J'aime beaucoup ce qu'Ernest J.Gaines dit de sa motivation d'écrire, à savoir combler une lacune car le monde qui était le sien n'existait pas dans la littérature. Et je ne suis par ailleurs pas surprise que son nom ait été évoqué pour le Nobel de littérature tant son univers littéraire revêt ce caractère universel propre à bon nombre d'auteurs récompensés par ce prix prestigieux.



Beau drame universel en effet que celui qui se noue autour de Catherine Cormier, si belle avec ses longs cheveux et sa peau claire de métis, auto-sacrifiée à l'amour dévorant d'un père dont le monde sans elle s'écroulerait, en même temps que les frontières anciennes démarquant les places respectives des Blancs, des Noirs et des métis dans cette bourgade arriérée du Sud.

Le modèle est pourtant encore loin d'être parfait au Nord, comme l'a appris Jackson parti étudier en Californie et confronté à la réalité plus que contrastée d'être un Noir parmi les Blancs.

Pour ces deux-là, Catherine et Jackson, un autre monde doit être possible et leur attirance est inéluctable. Mais les forces contraires sont lourdes...



La tension est palpable à chaque ligne de cette douloureuse histoire écrite à hauteur d'homme , qui convoque autant la puissance et la dangerosité des liens humains que le poids écrasant de la ségrégation et de la haine raciale.
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Catherine Carmier

Après six ans passés en Californie, où il a terminé ses études, Jackson revient dans sa bourgade natale aux environs de Bâton Rouge. Il y est accueilli par sa tante Charlotte qui fonde l'espoir qu'il restera dans les quartiers pour enseigner. Mais l'ambiance dans les quartiers a bien changé avec l'hégémonie des Cajuns qui rachètent à bas prix les terres cultivables, appauvrissant toujours plus la communauté noire. le jeune homme retrouve son ami d'enfance Brother et Marie-Louise, une jeune fille discrète, toujours amoureuse de lui. Mais dès qu'il revoit Catherine Carmier, ses sentiments se réveillent, de même que des doutes sur ses vrais désirs d'avenir.



Une petite déception après la lecture de ce roman d'Ernest Gaines, un auteur qui continue de revisiter la vie de communauté noire dans les états du sud des États-Unis, ici la Louisiane. Si la vie de la bourgade et les relations entre les habitants qui se connaissent tous, et l'évocation du passé sont bien rendus - avec la mise à l'écart économique des Noirs par les Cajuns et surtout le fossé qui se creuse entre ceux qui restent et ceux qui ont vecu d'autres expériences -, j'ai été moins séduite par les doutes du jeune Jackson et ses relations avec Catherine.

Un roman chorale avec de nombreux personnages et des dialogues nombreux qui évoquent très bien l'ambiance du Sud des États-Unis, mais une histoire d'amour et de doutes moins convaincants.
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Dites-leur que je suis un homme

Dites-leur que je suis un homme..... A la lecture de la quatrième de couverture,

je m'attendais à un livre-procès, mêlant témoignages et plaidoyers. Genre que je ne prise pas plus que ça. Mais bon, le sujet m'intéressait.

En fait, le livre commence par la fin du procès et l'annonce de la condamnation à mort de l'accusé.

Mais parce que l'avocat de Jefferson a construit sa défense en décrivant son client comme le dernier des idiots qui s'est juste "trouvé au mauvais endroit au mauvais moment" et surtout parce qu'il a pensé le servir en faisant de lui un animal et en prononçant la phrase fatidique :

" Quelle justice y aurait-il à prendre sa vie ? Quelle justice messieurs ? Enfin, autant placer un porc sur la chaise électrique ! "

Parce que cet avocat donc, a jugé nécessaire de rabaisser Jefferson à l'état de bête incapable du moindre raisonnement et de la moindre préméditation, un homme va se voir chargé de la plus difficile des taches. A savoir, redonner à Jefferson sa dignité et le convaincre de son humanité.

Car l'homme est à genoux, brisé par la colère.



Voici donc le point de départ de ce formidable plaidoyer contre la ségrégation et les préjugés.

Mais c'est un prétexte... Rien de plus. Parce que l'auteur va nous emmener dans la Louisiane des années 50 et nous faire toucher du doigt et de l'âme la "négritude".



Et c'est Higgins, l'instituteur noir des "quartiers" qui va nous emmener au coeur des préoccupations de la population africaine dans une Louisiane encore stigmatisée par la ségrégation.

En nous offrant une belle galerie de portraits allant de la tante vieillissante et accablée de Jefferson au pasteur de sa congrégation, du shérif blanc et de ses acolytes, de sa maîtresse aimée ou de ses élèves, aucun n'est caricatural. Ni tout Noir, ni tout Blanc....



Ernest J. Gaines nous questionne sans jamais donner de réponse. Il nous laisse non pas juger mais observer. Il explique les incertitudes des uns et des autres. Les certitudes aussi.

Il raconte et pose un œil critique sur ses frères de couleur, et sur les autres. Il parle de Dieu, de la foi et de l'incroyance. Il parle de la peur, de la mort, de l'injustice.

Et surtout il parle de la négritude.

" La Négritude, à mes yeux, n'est pas une philosophie.

La Négritude n'est pas une métaphysique.

La Négritude n'est pas une prétentieuse conception de l'univers.

C'est une manière de vivre l'histoire dans l'histoire : l'histoire d'une communauté dont l'expérience apparaît, à vrai dire, singulière avec ses déportations de populations, ses transferts d'hommes d'un continent à l'autre, les souvenirs de croyances lointaines, ses débris

de cultures assassinées.

Comment ne pas croire que tout cela qui a sa cohérence constitue un patrimoine?

En faut-il davantage pour fonder une identité? " - Aimé Césaire



"Une manière de vivre l'histoire dans l'histoire".... C'est de ça dont veut nous parler

Ernest J. Gaines



Ainsi nous allons assister aux rencontres entre Higgins et Jefferson.

Nous allons nous indigner, nous émouvoir et pleurer... Oui, nous allons pleurer.

parce que le destin de Jefferson est joué d'avance, tout comme celui de Higgins.

Et que notre tolérance à l'injustice est ici bien malmenée...



Le style est simple, plutôt dépouillé. Mais les mots sonnent juste et fort.... Et l'émotion nous étreint. Nous en venons à nous sentir pris dans un étau de contradictions. Nous ne savons plus où regarder et nous finissons par pleurer un chagrin bien primaire.... Une violente révolte nous pousse à embrasser la cause perdue.

Et nous ne savons pas encore, au moment de tourner la dernière page si Jefferson va oui ou non, mourir debout.

Et sur ces derniers mots : "je pleurais", nous laissons nos larmes parler à notre place....

Et ce "Je pleurais", donne au récit toute sa force, et nous dit ce que nous sommes.

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