« La nuit bleutée se trouait lentement d’une lumière mauve encore tamisée. Est-ce que ça t’arrive de penser à la mort? a demandé Kosmas. Beaucoup à l’adolescence, j’ai dit, mais moins depuis qu’on est arrivés au Yukon. Plein de choses me gardaient en vie. Il y avait Luna, l’amitié, la nature sauvage, la beauté, l’humour. Quand on serait morts, il serait trop tard pour rire. Et puis le suicide, c’était du travail, et je ne voyais pas pourquoi je me serais tapé cette corvée-là. Déjà qu’il fallait pisser et chier, manger, boire de l’eau. Déjà qu’il fallait dormir, se soigner quand on était malade, se loger, se chauffer. Il fallait s’aimer, jouir, s’expliquer, se défendre, se battre contre… contre tout. On n’allait pas se tuer en plus. »
"Si un jour j'ai un fils, avait lâché Tom en cassant son premier cadenas, je vais pouvoir faire du vélo avec lui.
Si un jour t'as un fils, tu le sauras pas."
Au début du monde, il n'y avait que Tom et moi. On ne s'est jamais rencontrés. On s'est toujours connus. Ce n'est pas quétaine, c'est vrai. On est nés ensemble, comme deux incarnation d'une même entité, un alien bicéphale, non viable. Il finissait mes phrases, je finissais sa poutine, il détestait la mayonnaise, on a banni les œufs de notre vie. Je l'aimais plus que quiconque. (page 13)
On se foutait de l'amour, de l'école, de la famille. Rien ne compenserait l'absurdité dont on avait été témoins avant même d'être en âge de parler. Nos mères nous avaient appris que ça ne servait à rien de se comporter gentiment : elles nous tabassaient en revenant du travail, qu'on soit sage ou pas. Dans Le roi lion, notre film préféré avant qu'on voit Le seigneur des anneaux, Timon dit : " Quand le monde entier te persécute, tu te dois de persécuter le monde. " On a suivi son conseil et on est devenus des petits crisses.
J'ai dit que tu pouvais tout oublier, mais souviens-toi: quand Luna dort, l'extrémité de ses pattes s'agite et, quand elle s'éveille, elle bâille, un petit bâillement aigu et délicat comme les fines plaques de glace qui dérivent sur les rivières au mois de mai, un son ténu et fragile, qui donne envie de faire silence, de faire attention. (page 91)