Pourquoi faut-il lire Lou Andreas-Salomé? .
Pour la leçon qu'elle donne aux hommes et pour son indéfectible acquiescement à la vie, voici deux bonnes raisons de (re)lire Lou Andreas-Salomé par le philosophe Dorian Astor.
Il n'est pas seulement précieux que deux êtres se reconnaissent, il est capital qu'ils se rencontrent au bon moment et célèbrent ensemble de profondes et silencieuses fêtes qui les soudent dans leurs désirs, afin d'être unis devant les orages.
Vie et amour se brouillent, puis se font de tristes concessions, dont ils payent le droit de continuer à exister. Voici argumentées les raisons profondes pour lesquelles sexualités et mariage ne peuvent rien avoir à faire ensemble. la première est composition locale de corps, le second est union idéelle.
Il faut prendre la mesure de la forte cohérence de la mission que Nietzsche s'est assigné : par La naissance de la tragédie, il avait arraché l'histoire d'un genre littéraire ancien à la philologie universitaire, pour le transformer en un problème vital, c'est à dire l'évaluation des manières dont un peuple, par l'art ou par la science, répond au problème de la vie. Il avait établi qu'une culture qui avait assez de santé pour affirmer tout le terrible de le problématique de l'existence, obtenait un type de connaissance supérieur (le pessimisme tragique de l'artiste) à celle qui s'en détournait pour inventer un autre type de fiction, l'optimisme logique de l'homme théorique.
l'être qui a eu le pouvoir de nous faire croire et aimer reste au plus profond de nous notre Seigneur, même si plus tard il devient un adversaire.
Qu'est-ce que la vérité ? Une multitude mouvante de métaphores, de métonymies, d'anthropomorphismes, bref une somme de relations humaines qui ont été rehaussées, transformées et ornées par la poésie et par la rhétorique, et qui après un long usage paraissent établies, canoniques et contraignantes aux yeux d'un peuple : les vérités sont des illusions dont on a oublié qu'elles le sont, des métaphores usées qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaie qui ont perdu leur effigie et qu'on ne considère plus désormais comme telles mais seulement comme du métal.
Nous nous aperçumes, vieillards que nous sommes, de tout ce que nous avions à nous dire-nous n'en avions jamais eu le temps, occupés comme nous l'étions l'un l'autre.
Les femmes mariées sont malheureuses lorsqu'elles sont incapables de concilier idéal et réalité, de faire naître l'idéal dans la réalité même. Or, la femme, ce canard sauvage marqué par l'instinct de liberté, est destinée à transcender son état social par la richesse de sa vie intérieure. C'est un combat étrange et douloureux, mené avec et contre l'époux, mais c'est un combat dans lequel Lou s'est engagée pour son compte avec une rare conséquence. Toute sa production littéraire, de fiction ou d'essai, aura pour tâche de décliner les manifestations de cette exigence extrême à l'intérieur même d'une aliénation consentie.
C'est lorsque la mort s'inscrit a coeur même de la vie que commence le déclin, ou la décadence. Nietzsche ne cessera, tout au long de son oeuvre de traquer les forces déclinantes : Ainsi parlait Zarathoustra est le récit d'un déclin, la pensée critique de Nietzsche sera toute entière une pensée de la décadence, c'est-à-dire, à l'échelle de l'individu comme des peuples, de l'affaiblissement des forces vitales dans une culture donnée. Le déclin n'est pas un effondrement violent, c'est un processus subtil, délicat, et au fond extrêmement civilisé.
Dans Ainsi parlait Zarathoustra, on trouve cette phrase célèbre, et qui a nourri l'argumentaire des commentateurs scandalisés: "Tu te rends chez des femmes? N'oublie pas ton fouet." Soit. Il faudrait se demander à qui Nietzsche destine l'usage du fouet - ne l'a-t-il pas lui-même placé entre les mains de Lou sur la photo de Lucerne?... Flagellation ou autoflagellation? Le même paragraphe du Zarathoustra explicite ce rapport complexe d'amour et de haine:
Qui la femme hait-elle le plus? - Ainsi parlait le fer à l'aimant: "C'est toi que je hais le plus, parce que tu attires, mais n'es pas assez fort, pour attirer jusqu'à toi."
Se comparant à un oiseau migrateur, Nietzsche prend son "essor vers le lointain, le plus extrême lointain". Ce faisant, il sait qu'il volera aussi loin qu'il le peut, mais que d'autres oiseaux voleront plus loin encore. Jusqu'ici, les philosophes, ces "tyrans de l'esprit", ont cru pouvoir mesurer la connaissance à l'aune de leur propre existence, aspirant orgueilleusement à déchiffrer d'un seul coup l'énigme complète du monde. Mais Nietzsche sait bien que la marche de la civilisation est lente, progression difficile et toujours menacée de recul, et que la philosophie est un long passage de relais de maîtres à disciples.