Tout le monde l'écoutait attentivement, elle donnait envie de visiter le Cameroun, un véritable guide de voyage ! D'ailleurs en l'écoutant, des images de là-bas me revenaient, de tout petits détails qui prennent de l'importance le jour où on ne les vit plus : les taxis jaunes, les bensinkins, ces motos-taxis très populaires dans les grandes villes et moins chères qu'un taxi, l'atmosphère des marchés avec ses saveurs épicées, les femmes qui marchandent parfois plusieurs minutes en espérant un petit rabais, toute cette ambiance de vie africaine...
Et voilà pourquoi nous avons pris l'avion hier soir. Je ne réalisais pas encore vraiment que je quittais mon pays pour très longtemps, peut-être même pour toujours, que je quittais aussi toute ma grande famille, mes camarades de classe, et tout ce qui m'étais cher et familier, pour me retrouver dans un pays totalement inconnu. On me l'avait parfois décrit beau, varié, riche, mais aussi froid avec des gens stressés.
[à l'école de Douala] Nous avions un uniforme impeccablement lavé et repassé. Ma grand-mère m'a expliqué que l'uniforme permet de gommer les différences sociales entre les enfants et qu’ainsi il n'y avait ni riche ni pauvre. Du moins en apparence...
J'étais curieux, à la fois excité et pressé de découvrir cette nouvelle école, mais angoissé à l'idée de me retrouver dans un univers totalement inconnu. Était-elle différente de mon école de Douala - je faisais tellement de découvertes ici -, et dans ces conditions, allais-je m'adapter ? Est-ce que les enfants de la classe allaient m'accepter ? Et si j'étais le seul à la peau noire ? Les gens d'ici ont, paraît-il, tellement d'idées préconçues sur les Africains. Certains croient même que nous vivons encore dans des cases avec des toits en feuilles de palmier et que nous pilons le mil à la main.
L'intérieur de l'appartement m'a plu immédiatement. Pour que je ne sois pas trop dépaysé, papa avait pris soin de décorer les pièces avec des statuettes et des petits masques d'artisanat bamiléké, une ethnie de chez nous. Le canapé du séjour était recouvert d'un grand tissu wax aux couleurs vives et éclatantes. Il avait repeint les murs en ocre-brun, cela me rappelait la couleur de ma terre natale. Tout sentait le doux parfum d'Afrique centrale.
C’est alors que je me mis à pleurer, car je savais bien que c’était impossible, une fille de mineur ne devient jamais chanteuse, elle reste dans sa mine. Et puis mon papa ne me laisserait jamais prendre des leçons. Il avait trop besoin de moi pour l’aider dans les galeries souterraines de la mine, il avait besoin de moi et de mes frères et sœurs, car c’était avec notre aide à tous que la famille pouvait survivre tant bien que mal. Dans notre pays, la plupart des filles n’allaient d’ailleurs pas à l’école, c’était une chose généralement réservée aux garçons, mais mêmes mes frères aînés n’y étaient pas allés : sans eux l’extraction des diamants aurait été bien plus difficile, car mon papa avait perdu beaucoup de force en vieillissant. Nous étions pauvres et papa disait toujours que c’était « en unissant nos forces que l’on parviendrait à s’en sortir ».
La vision de ces magnifiques jeunes filles, et surtout la pureté de leur voix, allaient transformer à jamais mes rêves d’enfant et bouleverser toute ma vie : jusqu’à cet instant, je n’avais jamais imaginé qu’une petite fille puisse être différente de ce que j’étais, habillé de vêtements de récupération, les cheveux courts et poussiéreux, avec comme unique perspective d’avenir l’espoir de se marier rapidement avec un jeune homme du village ou d’un village voisin, de devenir ainsi une femme de mineur, et avoir beaucoup d’enfants qui eux-mêmes travailleraient un jour à la mine afin d’aider la famille à survivre. Ainsi va la vie chez nous, et personne n’a sans doute réfléchi au fait que l’on puisse vivre autrement…
J’avais le trac, mais je me sentais fière de me trouver debout sur scène.