Nietzsche m'a tout piqué, un clip et une chanson du Manque, avec Christophe Esnault
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Rédiger le journal d'un sursis. Prolixité à la hauteur du retentissant ratage. Anthropophagie repliée sur elle-même. Le diariste gratte et triture son moi désenchanté. Un escabeau pour une meilleure vue d'ensemble sur les cendres alentour. L’obsession scénarise ses dernières heures et ne laisse pas l’hôpital prendre la main sur le script. Dans le laboratoire intime manier produits inflammables et révélateurs. Allers-retours jusqu’à Bruxelles pour humer le brouhaha des tavernes. Venez toutes et tous on vous trouvera des lits et vous ne manquerez de rien. Avoir des proches parmi les brigades qui flattent les artistes polis. Se pencher du bon côté pour mieux chavirer. Souffle et rythme mesurés au double décimètre. La peur de la souffrance me relie à vous. Polyhandicap sur le fauteuil roulant vers l'hier.
Chères Rillettes du Mans,
Déjà tout gamin, je mangeais vos rillettes au petit déjeuner. Je m’en faisais des tartines que je trempais dans mon bol de chocolat après l’école. Inutile d’en dire beaucoup plus, je vous suis resté onctueusement fidèle, et j’ai séduit ma femme avec un pied de porc fumant à la confrérie des Chevaliers des rillettes sarthoises, en 2004. Nos gosses se tiennent à carreau, sinon on met le frigo sous cadenas.
Je suis un écrivain à succès qui diffère sa gloire pour des raisons névrotiques, mais je sens que le prochain livre va cartonner. Mon éditeur est basé au Mans. Il a la couenne un peu molle et ne vous a pas encore proposé un partenariat. Je prends donc les devants. J’ai une idée de com’ qui égorge tout, un packaging qui affolera le groin du consommateur, un cadeau de Noël garanti sous tous les sapins. Mon livre, « Le jour où ma femme est devenue une truie nymphomane », est un pastiche d’un roman à la mode, en vachement mieux écrit, plus court (12 pages) et beaucoup moins chiatique. On offre le joli livret avec quatre pots collectors numérotés, amour des traditions et porcherie de la littérature. Ce sera tout bénef parce que le texte incite à la copulation effrénée : 9 mois plus tard vous pouvez lancer le lait-rillette protéiné.
Alors ?
habite ma douleur
déchire-la
brûle ses lambeaux
disperse ses cendres
et accroche-toi encore à mes cheveux
ensemble
mordons les heures arrachées aux vivants
Regarder derrière soi
cinq ans sans même embrasser une fille soûle
repoussant chapon déplumé en demande d’infini
un pur
claudiquant mélasse
névrose aux semelles
déchet humain égaré
(amoureux des livres)
Je n’aurais pas voulu de moi si j’avais été une fille ivre
Peau neuve mémoire vide
Ses classements dans les derniers marathons auxquels il participait étaient d'ailleurs honorables. Mais il ne courait , il fuyait.
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Parfaire sa connaissance et croquer un fruit fendu. L'au-delà appelle au leurre l'ardillon pique à même la lèvre du langage. Figures de skate-board sur nuages de plomb. Euphorie de l'amputation. Se mettre en congé de l'abêtissement général. Quand l'abondance se fissure le meilleur ami trahit pour quelques pommes de terre germées. Rassembler ses humeurs et les aligner le long d'un barrage hydraulique. Affouiller l'âme et le sable avant de remonter vers la berge. Truite fario sous la souche saillante. L'ermite observe voleurs de châtaignes et de champignons. Corne de brume dissuade. Absolue et douteuse la liberté parle peut-être un corps-langue-délié.
Quand le poisson casse la ligne…
Quand le poisson casse la ligne
Cette frustration terrible de ne même pas l’avoir entraperçu
Comme si voir le poisson était la plus grande des fêtes
Dérober le filet
Monter sur les vélos
Sept ou huit kilomètres
Tendre le filet et puis vite
Descendre la rivière avec
Pratiques désordonnées
Technique prohibée
En slip dans la flotte
Le massacre ludique
Piéger rotengles, chevesnes et perches
Sortir les poissons de là
Laborieusement
Et comme un gougnafier
Tenter de démêler le filet
Mailles et fil de plomb
Écailler vider
Jeter à peu près
Toute la pêche
p.11
Et l’infirmière de la médecine du travail
Me demande si je suis célibataire ou en couple
Et expliquer que j’aime une femme libre
Et que je ne peux pas cocher les cases qu’elle me propose
A vite fait de l’irriter
Comme si prononcer les mots « La femme que j’aime »
Pour ne pas dire « Mon amoureuse »
Comme si maudire le mot « compagne »
Et ne pas le laisser passer
Me posait déjà en cas clinique
Avec le mot problème en surbrillance
Pour ma part je n’ai pas de problème
À penser autrement que vous
Rappel élémentaire : si je pense comme vous je ne pense pas
Ai emmené si peu loin ma pensée
Qu’elle ne peut être une pensée
J’aimerais juste ne pas penser comme vous
Sans qu’il y ait naissance du moindre problème
Je ne suis pas ennemi du langage et sais défendre ma pensée
Ma pensée qui s’appuie sur des milliers de livres lus
Des milliers de films et documentaires vus
Sur des échanges des dialogues des rencontres
Avec des personnes avec qui je sais plaisamment
Être en désaccord
Le bonheur d’être en désaccord
De ne pas penser pareillement que l’autre
Comment pourrait-il y avoir échange ou dialogue
Sans penser différemment ?
Si je pense comme l’autre
Exactement comme l’autre
Il n’y a pas de pensée
Car la pensée a été emmenée si peu loin
Qu’elle n’existe pas
Le travail salarié et ce qu’induisent
Des journées de travail salarié
Rassure-toi t’es pas tout seul
Et les prisons et les psychiatres
Main dans la main sont là
Pour que tu y retournes
L’éducation et les universités ont été avalées
Par l’économie de marché
L’hôpital public et la santé ont été avalés
Par l’économie de marché
La novlangue du management a tout avalé
Liste à poursuivre jusqu’à la nausée
Avale ton médicament sans la ramener s’il te plaît
Le plaisir à vivre on vous le fait payer un maximum
Ne vous amusez surtout pas à l’exhiber
Rappel : Soyez discret
Vivre (pour ceux qui savent ce que cela veut dire)
Vivre est devenu un espace de radicalité
Et je veux bien être un poil parano
Voire un champion du monde et cador de la parano
Mais il me semble que la question
Quelle est la pathologie ?
Cette question mord dans la jambe du vivre
Et dans l’exercice du vivre