Camille de Peretti

L'Abeille n'a pas assez étudié le Livre. Personne n'a estimé qu'elle devait comprendre pour pouvoir écouter. Ces fables d'époux et de lampe allumée, ces femmes qui se tiennent prêtes l'intriguent et la bercent mais comment entendre le monde quand on n'a jamais aiguisé votre sens critique ? Être vive, enjouée, curieuse, ce sont des qualités naturelles, mais l'art de la contradiction, les plaisirs de la rhétorique, tout cela lui est inconnu. Depuis sa naissance, on lui a ordonné d'acquiescer et d'obéir. Adélaïde a 14 ans, il est tard pour apprendre à désapprendre.

Certains seigneurs ne voient dans le fait d'exercer leur justice qu'une source de revenus, un moyen facile de remplir leurs coffres, la plupart des peines étant commuable en amendes ; d'autres aiment le sentiment de toute puissance que cela leur procure, contraindre l'ensemble des hommes sur un lieu donné pour en faire leurs dépendants les grise.

Elle s'était peut-être imaginée actrice de cinéma ou chanteuse, comme toutes les jeunes filles de son âge ; il est assez banal de se rêver une vie pour accepter la sienne sans trop y prendre garde.

Elle se serait soumise à son désir car le mari est le tenancier du corps de sa femme, il en a la saisine. Il aurait été son maître et elle l'aurait adoré pour cela.
(Poche p. 159)

Audouin se trouve bête, il ne sait que dire. Sa mère lui a appris qu'il vaut mieux se taire et passer pour un imbécile, plutôt que de parler et ne laisser aucun doute à ce sujet.

Un des ces événements qui changent le cours d'une vie, car il en existe deux sortes. Il y a ceux qui adviennent sans qu'on y prenne garde mais qui, par les conséquences qu'ils ont induites, par les actions qui en ont découlé, revêtent, après coup, une importance capitale. Ces faits insignifiants au moment où ils ont lieu sont transformés par ma mémoire et magnifiés par l'histoire. Puis, il y a les événements qui font prendre conscience à ceux qui les vivent, de manière aiguë, qu'ils assistent à leur histoire en marche. La mécanique du destin apparaît alors dans toute sa clarté et la machine infernale révèle ses rouages.

Elle était restée sans voix, avec les réseaux sociaux certains perdaient pied et finissaient par penser qu'ils étaient influents alors que leur leadership dépendait de si oui ou non les gens avaient encore de la batterie quand ils allaient aux toilettes avec leur téléphone.

L'argent ne faisait pas le bonheur mais il permettait de choisir son malheur préféré.

[...] il avait bondi et rebondi pendant quatre heures, rouge et trempé de cette joie qu'on perd adulte par manque de sève.

La tête lui tournait un peu, le parfum des adolescentes de sa classe, leurs déodorants de supermarché, leur fraîcheur florale et vanille des îles saturait l’air d’une acidité sucrée. Leurs joues roses marquées par quelques boutons d’acné, leurs cheveux gras et frisottants, tous ces détails lui sautaient au visage.

Emma, traductrice, passe son temps à rêver. Il est plus agréable de s'imaginer autrice adulée que de s'asseoir à sa table de travail, ou de régler ces courriers administratifs qui s'accumulent sur son bureau. Quand elle se décide enfin à ouvrir l'un de ces courriers, catastrophe : à force de relances non lues, Emma doit une somme énorme ! Comment payer ? Son fils Quentin, tout aussi rêveur, trouve dans les jeux vidéo un échappatoire à un avenir bien sombre, avec ses bouleversements climatiques.
J'avais beaucoup aimé le roman précédent de Camille de Peretti, Le sang des Mirabelles. Ici, l'histoire est contemporaine. J'ai retrouvé avec plaisir son écriture, très belle. La première partie fut dévorée rapidement, ensuite, j'ai trouvé que l'intrigue tournait en rond et la fin s'avère décevante, comme si l'autrice ne savait pas comment conclure.
Pourtant, la plume de Camille de Peretti reste agréable à lire. Elle rend très bien le petit cinéma intérieur que l'on joue, parfois - vous savez, toutes ces fois où on s'imagine avoir eu une répartie spirituelle, trop tard. Ces rêveurs invétérés, dépassés par la réalité, sont bien construits. Mais l'histoire pêche par l'intrigue, qui termine dans un cul-de-sac. Or, des personnages qui n'évoluent pas au fil du roman, ça me laisse un goût d'inachevé. Et vers la fin, j'ai même fini par m'ennuyer. Dommage.
Petit bonus, j'ai la sensation que Camille de Peretti s'est amusée à glisser des Easter Eggs dans son récit, ce qui m'a fait sourire, vu la place des jeux vidéos dans le roman, via le personnage de Quentin.

Emma et Quentin rêvaient définitivement, chacun dans son coin. Qui aurait pu leur en vouloir ? Donner la clef de son jardin secret, c'est prendre le risque que l'autre décide d'y venir tout arracher.

(...) car l'étiquette de mauvaise mère est vite collée au front de mauvaise mère qui n'ont pas des enfants parfaits

L'enfant aurait besoin d'elle, la rendrait utile. Il le sauverait de la menace de complètement rater sa vie. Mais très vite, elle avait compris qu'on pourrait être seule même avec un nourrisson sur les bras. (...). Mais ce qui la laissait béante, elle le savait au plus profond d'elle-même, ce n'était pas que son enfant grandisse et finisse par quitter le nid, non, le drame de Emmanuelle c'est que Quentin n'était pas celui qu'elle avait imaginé.

Dans un jeu, les personnages s'arrêtaient et se faisaient face pour se parler, mais dans la vie, les gens pouvaient se retrouver nez à nez sans se voir.

Shrimp s'enfonce dans les profondeurs de son cœur, Quentin ressurgit doucement des prairies violacées et fuchsia qu'il parcourait à dos de griffon. Il quitte le monde rassurant des battements d'ailes de la chimère. C'est le crépuscule, des flashs déchirent le ciel et éclairent sous les arbres des sangliers magiques. Il foncent vers lui mais ils ont disparus.

On trouve toujours simple ce qu'on ignore.

La fille n’est pas prétentieuse. Contrairement à ce que les gens diraient après coup, elle n’avait aucune idée du destin qui l’attendait, elle ne « se prenait » pas « déjà pour la star de Fairfield », comme on l’a trop souvent entendu. Plus tard, les gens raconteraient n’importe quoi, pourvu qu’ils participent au scandale.

La fille n’est pas une salope, elle a déjà eu des flirts poussés avec d’autres garçons, des mains et des langues baladeuses, mais Danny est le premier avec qui elle l’ait vraiment fait. Après le lycée, elle ne se sentait aucun don pour les études, aucune appétence pour aller s’asseoir sur les bancs de l’université et étudier, bon Dieu, quoi encore ? Elle n’avait jamais été une bonne élève. Si un professeur lui plaisait, elle était capable de se donner du mal, car elle était sensible, avait besoin qu’on l’aime et qu’on la félicite, mais elle relâchait vite ses efforts. Une flemme, une forme de lenteur l’envahissait, depuis l’adolescence, ses jambes lui faisaient mal, elle se sentait étirée.

Aujourd’hui, elle est plus grande que bon nombre de garçons de son âge, plus grande que Danny. Elle a parfois l’impression d’avoir été suspendue à un espalier, l’allongement de ses os et de ses membres l’a épuisée. De plus en plus, les hommes se retournent sur son passage, et sa mère, l’œil sévère, lui dit de se méfier. Maman avait eu une histoire terrible dans sa jeunesse, elle ne voulait pas qu’il arrive la même chose à sa fille. En revanche, si celle-ci l’a bien cherché, alors elle ne pourra s’en prendre qu’à elle-même.

 

La fille est si douce, si pleine, sa peau donne parfois l’impression au garçon de s’enfoncer dans un seau de crème. Alors, il oublie tout et jouit sans pouvoir se retenir. C’est un garçon très jeune, seize ans à peine. Il ne contrôle pas bien le machin qu’il a entre les jambes, et trois, peut-être quatre fois, ça s’est passé comme ça. La fille n’imaginait pas pouvoir tomber enceinte. Elle a suivi les cours de sciences naturelles au lycée et elle n’est pas stupide, elle ne se sentait simplement pas concernée.