Au fond, père Rosario, lorsque j’étais un tueur de Cosa Nostra la vie était plus simple : je poursuivais ma vengeance sans fin, sans femmes, sans amours, sans nuances, sans jamais craindre de louper ma cible, la crosse de mon vieux Beretta-92FS bien en main, le doigt sur la gâchette pressée au moment précis, ni la seconde d’avant ni la seconde d’après, puis je fonçais revêtir mon déguisement d’honorable guide touristique au-dessus de tout soupçon.
- Manigance de la Mort tapie dans chaque cerveau qui pousse les vivants à la poursuite vaine de toujours plus de nourriture, de sexe, d’argent, de pouvoir. Mécanisme infernal et suprême ruse du Mal car il vous berne en vous faisant croire aux actions violentes collectives, alors que seule la somme des éveils personnels peut sauver l’Humanité et lui éviter de disparaître de la surface de la Terre.
Le meilleur boucher, monsieur Azibert, est à deux kilomètres à vol d’oiseau, mais après la longue ligne droite et le rond-point de la gendarmerie, je dois contourner les étangs, l’avant-port, le port. Arrivée au rond-point, mon téléphone sonne, c’est Nicole, ma secrétaire, je décroche, m’arrête sur le parking derrière la gendarmerie.
Le livre dans la poche de son manteau, trempé le livre, mais pas trop, Caroline Malpassé rentre chez elle : mais qui donc m’a parlé d’une femme qui s’appelle Alba ?
Et, avant de revenir dans leurs maisons où il est si bon, les soirs d'hiver, de retrouver les livres que l'on aime, quelques humains éveillés s'attardent sur des chemins de traverse, là où, si dans cette nuit silencieuse l'on prête l'oreille, on peut entendre la plume d'un poète murmurer à la feuille ses émotions du jour.
En travers de moi-même je me marre, sur mon visage ravagé, grêlé par une variole attrapée quand j’étais petit me disait ma mère, mais je sais, comme elle était toujours soule, qu’elle confondait savon liquide et dissolvant à ongles pour me laver, c’est ma mère-d’accueil qui m’a raconté ça y-a pas longtemps, et sur mon visage ravagé on voit pas que je me marre, mais je me marre de les voir tous là, soit morts de trouille soit persuadés qu’ils vont me trouver !
Ils étaient huissiers de justice, Alba et le sorcier, à Narbonne, mais ils habitaient Gruissan, au bord de la mer, besoin de mer. Besoin de mer, comme boire, manger, faire l'amour, dormir. Besoin de mer, la voir, une fois par jour, une fois par jour, au moins. Et la nuit, quand l'obscurité la recouvre, lorsque la lune dépose sur elle des coulées d'airain puis des lucioles d'argent, la savoir là, l'entendre, la sentir ; le rythme de la mer, le parfum de la mer...
Ceux qui parlent en mangeant, par crainte du silence qui les déstabilise, finissent toujours par oublier les règles élémentaires du savoir-vivre ensemble. J'ai horreur de manger avec des gens que je ne connais pas, c'est indécent, une véritable atteinte à l'intimité, mais ces deux hommes me semblent familiers, sans doute la recherche de la vérité qui nous lie.
Ce soir, la terre, les arbres, les plantes, les murets, les oiseaux et les rongeurs se taisent car tous reconnaissent cet air immobile, cette nuit silencieuse avant l'entrée en scène, aux premières lueurs du jour, du Cers tempétueux.
Une légère Tramontane, si étonnée elle-même d'être légère que parfois elle s'arrête de souffler, effleure la colline et souffle vers la mer.