On a réalisé, depuis la Seconde Guerre mondiale, d’appréciables progrès dans la diffusion et la connaissance du jazz. Le temps n’est plus où les noms de Paul Whiteman, George Gershwin, Ted Lewis, Jack Hylton, Wiener et Doucet symbolisaient cette musique aux yeux du public européen, où la vedette nègre du film Le chanteur de jazz se révélait être un Blanc, Al Jolson, à la figure barbouillée par souci de couleur locale. Il est devenu évident aujourd’hui que les grands musiciens de jazz, à l’image du jazz lui-même, sont noirs. On connaît Louis Armstrong, Duke Ellington, Sidney Bechet, Dizzy Gillespie ; on les a applaudis à Paris et en province, dans les mêmes salles de concert que Gieseking et Menuhin. Il est désormais impossible à l’« honnête homme » de confondre, comme c’était chose courante il y a quinze ou vingt ans, le jazz authentique avec la musique de bastringue ou celle, prétentieuse, de la Rhapsody in blue. Le jazz reste, dans bien des cas, d’accès difficile, mais on sait où le trouver. C’est une curieuse aventure que celle de cette musique dont tout laissait à penser qu’elle dût demeurer confinée aux bords du bas Mississippi. Quel témoin de l’époque eût deviné que ce folklore d’un petit groupe d’hommes deviendrait en quinze ou vingt ans le langage de tout un peuple et, quelques années plus tard, un phénomène mondial ? Il n’est pas indifférent à notre propos que des orchestres de jazz puissent exister simultanément à Melbourne, Tokyo et Stockholm.
L’univers des amateurs de jazz est un monde fermé. Il est alimenté spirituellement par des ouvrages et des revues dont l’intelligence nécessite une initiation préalable ; lorsqu’on y parle de « Louis », il faut savoir que c’est d’Armstrong qu’il s’agit. Sauf exception, ses habitants n’entretiennent aucune relation avec ceux des autres mondes : neuf fois sur dix, l’amateur de jazz, s’il ne méprise la « grande musique », ne la connaît que dans ses manifestations les plus sommaires. Quelques sujets exceptionnels montrent de l’intérêt à la fois pour Armstrong et les Italiens du xviie, pour Parker et les dodécaphonistes ; on les compterait presque sur les doigts d’une main. Que de différends, pourtant, déchirent le groupe d’hommes de ce domaine fermé ! En règle générale, les amateurs de jazz ont trop la conviction de la supériorité de leurs goûts pour ne les pas affirmer au nez et à la barbe du voisin. Ils se groupent en petites chapelles dites hot clubs, dont la fonction principale, assez mal définie, semble être l’entretien d’une discorde permanente entre tenants du jazz traditionnel et partisans du jazz moderne. Ainsi, le monde du jazz est celui de l’intolérance.
Définition de la forme.
Il semble maintenant qu'on soit en mesure de définir la forme. La forme, c'est la manière dont une œuvre s'efforce d'atteindre l'unité. Plus est grande la diversité que cette manière met en jeu, plus la forme est riche ; plus les différents éléments introduits se coordonnent en un tout homogène, plus la forme est parfaite.
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Une réussite parfaite dans un genre inférieur est, à l'horloge des siècles, une réussite dérisoire.
Prise dans l’ordre descendant, la réunion de ces deux cellules reconstitue, par l’élision du IVe degré, l’un des mélismes les plus familiers aux chanteurs de blues et aux bluesmen de l’époque ancienne.