Cézanne. Portrait d'Auguste Ambroise Vollard
– Je me rappelle surtout un fait que nous a rapporté mon père, comme il rentrait à la maison un des jours d’émeutes. Des gens tiraient sur la troupe. Un passant s’approche d’un homme qui n’arrivait pas à toucher son but ; et lui prend le fusil des mains, vise un soldat qui tombe et comme il rendait l’arme à son propriétaire, celui-ci eut un geste comme pour lui dire : “Continuez, vous vous en servez si bien.” Et l’autre : “Non, ce n’est pas dans mes opinions.”
Degas se plaisait à ces récits du passé.
Un jour, Mme de Staël était dans une barque sur le lac Léman avec Mme Récamier et Benjamin Constant, quand un des rameurs : " ce nuage à l'horizon nous annonce un gros temps."
" Dites, Benjamin, fit Mme de Staël, si nous faisions naufrage qui de nous deux sauveriez-vous ?" Et Benjamin Constant à Mme de Staël : "vous, vous savez nager."
Après 115 séances, Cézanne abandonna mon portrait pour s'en retourner à Aix. «- Je ne suis pas mécontent, du devant de la chemise », — telles furent ses dernières paroles en me quittant. Il me fit laisser, à l'atelier, le vêtement avec lequel j'avais posé, voulant, à son retour à Paris, boucher les deux petits points blancs des mains, et puis, bien entendu, retravailler certaines parties. «J'aurai fait, d'ici-là, quelques progrès. Comprenez un peu, M. Vollard, le contour me fuit ! » Mais, en parlant de reprendre cette toile, il avait compté sans ces « garces » de mites, qui dévorèrent mon vêtement.
Vollard était une figure bien connue des marchands de tableaux parisiens ; originale aussi : sale, barbu, poussiéreux, hébété en apparence. C'était un des rares qui s'y connaissait en peinture, au lieu de ne se préoccuper que de la vente des tableaux ; bien qu'il ne fût pas indifférent au profit il s'intéressait davantage à l'art vivant de son temps. En vérité, il devançait tellement le goût de l'époque que le succès commercial de sa galerie touche au miracle, surtout qu'il y avait très peu de commerçant en lui. Gertrude Stein dut se battre pour lui acheter un tableau ; la description qu'elle fit de la galerie de Vollard est particulièrement frappante. .... Quand il était vraiment déprimé, il appuyait son énorme carcasse à la porte vitrée qui donnait sur la rue - bras au-dessus de la tête, mains sur chaque coin supérieur du portail, il fixait sombrement la rue. Alors personne n'eût songé à essayer d'entrer.
(Pablo Ruiz Picasso de Patrick O'Brian )
Vers 1893,Mautice Denis,qui avait remarqué la petite exposition que j'avais faite de dessin de Manet,en parla a ses amis.C'est ainsi que je fus mis en rapport avec quelques-un des Nabis: Bonnard,Roussel,Vuillard,et que j'obtins d'eux,d'abord des tableaux,et plus tard des illustrations pour mes livres quand je me lançai dans l'édition.
Un certain 14 juillet,à Cagnes, comme je posais [pour Renoir], une troupe de gens vint à passer sous les fenêtres de l'atelier en chantant à tue-tête:
Liberté, Liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs.
Renoir eut un geste d'agacement:
- Vous les entendez? Eh bien, cette "liberté" qu'ils ont tout le temps à la bouche, si vous saviez quelle horreur ils en ont au fond! Un jour je disais à quelqu'un: "Mais qu'est-ce qui vous déplaît donc tant dans ma peinture? - Ce qui me déplaît, répondit-il, c'est que vous peignez avec une telle liberté..."
Un jour, passant devant la vitrine d'un marchand, je vois une "Cathédrale" signée Utrillo, un nom qui m'était inconnu.
"Eh! me dis-je, voilà un peintre à lancer."
J'entre et demande le prix:
- Cinquante mille francs.
Je sus ainsi ce que valait une œuvre de cet Utrillo dont les toiles, si peu d'années auparavant, ne se voyaient, comme on me l'apprit, qu'accrochées en plein air chez les brocanteurs du boulevard de Clichy.
J'ai raté, de même, un autre artiste, Modigliani. J'avais marchandé, un jour, une de ses toiles encore que je n'eusse pas été très enthousiaste de ces figures nanties de longs cous qui semblaient comme étirées.
"Trois cent francs, cela les vaut-il?" me disais-je.
Après la guerre, passant rue de la Boétie, j'aperçus de cet artiste un Nu qui rappelait la grâce un peu maniérée de certaines estampes japonaises. Quel voluptueux grain de peau! Je pensais: "Il n'y a pas plus de quatre ans, on cotait trois cent francs les plus grands Modigliani. Si on m'en demande trois mille de celle là, c'est tout le bout du monde!"
- Combien? m'informai-je.
- Trois cent cinquante mille. Mais il y a déjà un option. Et nous avons tout lieu de croire que le courtier qui l'a prise agit pour le compte de Mussolini!
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À l’égal des fleurs, Degas détestait les animaux dans les appartements. Aussi, quand il était attendu chez des amis, ceux-ci prenaient-ils soin, avant son arrivée, d’enfermer les bêtes. Et si, ayant oublié de le faire, on entendait dans l’antichambre des coups de parapluie, suivis de cris de chiens trop empressés à se faire caresser, tout le monde s’écriait :
— Voilà Degas !
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N'importe, on imagine la joie de Cézanne de se voir accroché. Cette joie n'était toutefois pas sans mélange, son. père n'ayant pu la partager. Il avait eu la douleur de le perdre quatre ans auparavant, en 1885; mais il lui restait la consolation de penser que ce père. si regretté avait conservé une confiance inébranlable dans le triomphe final de son enfant. Cette foi si forte était entretenue chez. M. Cézanne par son orgueil de père. Ne disait-il pas : « Moi, Cézanne, je n'ai pu avoir fait un crétin ! » Quant à la mère du peintre, qui n'allait mourir que huit ans plus tard, en 1897, et qui devait voir s'éveiller la faveur du public pour les Cézanne, si elle désirait ardemment voir les efforts de son fils récompensés, c'était parce qu'elle sentait combien il était malheureux d'être méconnu : autrement, qu'il vendît ou ne vendît pas, cela n'avait pas d'importance à ses yeux, puisque « le petit avait de quoi ».
Comment je connus la peinture de Cézanne ? La première fois que je vis un tableau du peintre, un bord de rivière, c'est à la vitrine d'un petit marchand de couleur de la rue Clauzel, le père Tanguy. Ce fut comme si je recevais un coup à l'estomac.