Quand on se retrouve en hauteur, déclara Vinay avec tristesse, on aime mieux le monde, car on le voit petit. Pour qu’on puisse aimer quelque chose, il faut la voir petite. Les marqueurs d’affection, tu remarqueras, sont toujours des diminutifs.
Pourtant, il détestait l’Hindustan Ambassador qu’on lui avait allouée, la lourdeur de ses mouvements, sa carrosserie imposante (lui-même courait cinq kilomètres par jour et il ne connaissait personne de plus en forme que lui), même ce sentiment de lassitude d’être dépendant d’un chauffeur. Néanmoins, c’était ainsi que cela se passait dans le pays. Avoir du goût était un handicap. Il allait devoir à présent le payer de son temps et, sûrement, de sa poche.
Il aimait savoir quand on le regardait et de quelle manière. Mais tous le regardaient. Une famille de cinq, coincée dans une Maruti fatiguée, le dévisageait dans un silence solennel. Derrière eux passa un pousse-pousse automatique dont le conducteur et la passagère avaient tous deux les yeux rivés sur lui.
Seule une personne ayant passé beaucoup de temps en compagnie du Secrétaire pouvait se rendre compte qu’il approuvait la blague. Ses sourcils épais s’étaient rejoints, marquant son front des sillons sombres d’un froncement de sourcils. Chez lui, cependant, c’était là un signe de bonne humeur. Au contraire, s’il avait souri, si ses joues s’étaient bombées de jovialité et si ses yeux pâles s’étaient illuminés d’une lueur dansante, alors son interlocuteur aurait eu des raisons de se mefier.
Nous sommes des libéraux, nous croyons en la raison et le débat, ils croient en la force brute. Nous voulons que le pays embrasse les discours civilisés et intellectuels, ils veulent que nous retournions à une ère atavique d’ignorance où eux et leurs adeptes pourront régner en maîtres. Des eunuques ! s’exclama-t-il de manière dramatique, qui veulent interdire l’entrée de notre Jardin du Paradis terrestre. Mais ils ne gagneront pas. »
La nature est un endroit dangereux, en effet. Les rangers le savent mieux que vous et moi. Ce sont des bandits, il est vrai, ils saccagent ce qu’ils ont juré de protéger. Néanmoins, ils nous sont utiles. Vous voyez », dit-il avant de s’interrompre afin de mieux trouver ses mots. Au grand étonnement de Madhav, Meenakshi ne profita pas de l’occasion pour reprendre la parole. Elle se pencha plus près, à l’écoute.
« C’est pour ça qu’ils nous haïssent. » Ses yeux s’étaient assombris, mais conservaient une sorte de calme. « Parce que nous avons l’art, les idées et la liberté de penser et de nous exprimer. Mais l’intolérance et la bigoterie grandissent, Madhav. Dans tout le pays, on voit des groupes puritains proliférer. Tous ces Sena, Sevak et Karamchaari. Des hindous conservateurs et détraqués. »
Il essaya d’imaginer ce que tout cela signifiait. Il avait été kidnappé, bien entendu. Aucun doute n’était possible : ses kidnappeurs voudraient une rançon. Mais pourquoi l’avoir pris lui comme cible ? Il n’était pas riche, à peine riche comparé aux très riches. Et combien demanderaient-ils ? Et à qui ? Ses parents, qui étaient chacun dans un pays différent ? Son frère ? Shivani ?
Dans cet immense calme, Madhav fut envahi par la sensation inquiétante d’être assiégé. Une sensation certes perturbante, mais également glorifiante. C’est ainsi, pensa-t-il, sous une lumière pâle et dans une pièce magnifique, que les grands rois et princes d’hier restaient assis à discuter, tandis que des armées d’ignobles envahisseurs se rassemblaient devant leurs grilles.
Son rire était chaleureux, il rappelait la chaleur d’un salon confortable une nuit d’hiver, de couvertures duveteuses et de vacances ensoleillées, de beaucoup d’amour reçu et, en retour, eh bien, aucune mauvaise intention. Un petit rire empli de fierté et de vulnérabilité, bien plus attachant, pensa Madhav, que les excuses auxquelles il se substituait.