Puisque M. Schmitt parvient à me faire fondre par ses romans de quatre-vingt pages avec des sentiments compactés comme des compressions de César, comment pourrais-je ne pas me liquéfier devant « La traversée des temps », huit ouvrages d'à priori cinq cents pages où
M. Schmitt décide de réécrire l'histoire de l'humanité et propose de faire table rase de nos connaissances et de nos suffisances, de nos croyances et de nos évidences, de nos erreurs et de nos peurs pour recréer avec des yeux neufs un monde vierge où tout peut et doit éclore ?
Croyez-moi, je reviens de loin, de très loin.
De Paradis perdus à perdu au paradis, il n'y a qu'un pas que les quelques centaines de lignes de cet enchanteur m'ont fait allègrement franchir seulement en appuyant sur le bouton « néolithique » de l'ascenseur tempo-émotionnel de Noam et de ses proches.
Je fus immédiatement embarqué, captivé, séduit, bien que mon paradis livresque se soit rapidement évanoui par l'enfer qu'ils vécurent sur cette terre…
« Même une invraisemblance vraisemblable, si elle servait le conte, valait mieux qu'une vérité vraie qui le gâchait. »
Noé, Noa, Noam, avant lui la grâce, après lui le déluge, la perte de nos âmes…
Ce livre est un roman mais aussi une fable, un conte philosophique, un rêve, une réalité, un cauchemar, un fantasme, une évidence.
Réveille-toi avant qu'il ne soit trop tard ! M. Schmitt ne refait pas l'histoire, ni la genèse.
Il tente d'expliquer l'Homme et son attitude, son courage, son avidité, sa cruauté, sa lâcheté, sa cupidité, ses sentiments, ses peines et ses espoirs ce qui le conduira à…Nous !
A ce que nous sommes aujourd'hui : « Maître et possesseur de la nature » ? Cette pensée de
Descartes définissant l'homme moderne, extirpé de la nature, comme celui qui la domine, la contraint, l'exploite, oui, cette outrecuidance fait rire par sa sotte démesure.
Ce premier tome aborde tous les sujets avec la même clairvoyance, qu'il s'agisse de l'immigration, de l'environnement, du climat, du nomadisme comme de la sédentarisation, de l'affection comme de l'amertume, de l'amour comme de la mort et ce, avec une verve qui ne se dément pas d'une phrase.
« Par la qualité de son verbe et de son regard, il transformait tout lieu en décor, toute situation en scène, tout évènement en aventure, tout récit en suspense. Qualité suprême, il parvenait à rehausser chaque personne en personnage ; il m'attacha à des êtres que je n'avais jamais vus, que je ne fréquenterais pas, dont je me réjouissais d'apprendre le bonheur, dont je pleurais de découvrir le trépas. »
J'ai apprécié dévaler ces années où l'Homme est malaxé, modelé, broyé par les éléments comme une glaise vivante puis j'ai savouré le voir prendre racine, se blottir dans le coeur de sa terre pour toujours. Sa terre qu'il épuisera pourtant de ses ressources comme le vautour ses carcasses.
« Pour le poète, c'est l'or qui a changé le genre humain. Pour le moraliste, c'est l'argent. Pour l'historien, c'est le bronze. »
C'est extrêmement difficile de faire un résumé d'un tel ouvrage foisonnant du bourdonnement de la vie qui débute et qui ne s'arrêtera que lorsque l'on aura été trop loin, trop mal.
Chacun vit dans son époque et doit s'y complaire ou souffrir. Noam les traversera toutes.
Vivement le prochain tome !