« La Roue de Fortune tournait, variait …, tu peux toujours espérer que demain sera mieux qu'hier ».
C'est la dernière phrase de ce récit autobiographique de Catherine Safonoff. Et son intitulé.
Cette prédiction d'une carte de tarot n'est pas dénuée d'une certaine ironie, voire d'un désespoir poli, puisque l'auteure genevoise qui a fait de sa vie le principal sujet de ses livres et de l'écriture une manière de survie (sur-vie), raconte dans «
La Fortune » la manière dont elle a été expulsée, « délocalisée », « envoyée à la campagne » par son ex-mari qui, propriétaire de la maison qu'elle occupait gratuitement depuis vingt-cinq ans, a décidé de récupérer les lieux et de les vendre.
« La faute a été de m'attacher à la maison, de croire que j'y resterais jusqu'à la fin de mes jours ».
Elle et ses cartons de livres (« les choses comme elles vous attrapent ») trouvent refuge dans une campagne perdue, chez sa fille et son gendre.
« Falloir tout recommencer alors que mon rouleau était au bout ».
Catherine Safonoff a quatre-vingts ans.
Il y a des rocades d'autoroute autour d'elle, une nature un peu hostile, une voiture qu'elle n'a plus le droit de conduire, un vélo qu'elle enfourche à l'occasion, son coeur qui lui joue de mauvais tours, sa chambre refuge où sur
des cahiers et de petites feuilles volantes elle écrit, rabote, ré-écrit, dans un style fluide, accessible, exigeant, le récit de ces jours amers qui en évoquent d'autres, plus anciens, qui surgissent à cause d'un détail, d'une couleur, d'une humeur. Elle lit et re-lit aussi beaucoup.
Pascal Quignard surtout.
Le présent et le passé se mêlent et s'emmêlent : le mariage, les enfants, les années à New York, une nuit aux urgences ( « ma remise de peine encore une fois »), le mari qui détestait la voir écrire ou lire, « parce qu'on part, part vraiment, loin, ailleurs et devient intouchable ».
Ce livre, comme tous ceux de Catherine Safonoff, est bouleversant. Elle écrit les choses, « comme elle croit qu'elles sont ». Sa vie « impardonnablement écrite ». Sa solitude au milieu des siens pourtant présents, comme sa fille qui l'emmène pour un ultime voyage en Grèce. Une manière de se protéger de trop d'amour. La rédemption par la littérature et la lecture.
Lire Catherine S., absolument. Inépuisable Catherine S.