Je poursuis inlassablement mon cheminement dans l'immensité de la création littéraire de
Joyce Carol Oates.
Un (autre) toi, dont le titre est la fidèle traduction du titre original, est un recueil de nouvelles parues dans des magazines et anthologies aux Etats-Unis, des nouvelles, pour la plupart d'entre elles, profondément inspirées de périodes de sa vie, de son enfance et de sa jeunesse à Lockport, petite ville de l'Etat de New York proche de la frontière canadienne et des chutes du Niagara, de son expérience d'enseignante à l'Université, puis d'autrice mondialement reconnue confrontée à de douloureuses séances d'interview ou de signature de livres et enfin des deuils successifs traversés suite aux décès de ses deux maris.
Joyce Carol Oates fait bien sûr, comme à son habitude, oeuvre d'imagination car celle-ci est toujours débordante, mais elle paraît ici donner beaucoup d'elle.
Un autre toi, c'est celle qu'elle aurait pu devenir si elle était restée à Lockport, c'est la confrontation avec une autre elle-même qui est devenue propriétaire d'une librairie d'occasion, ou encore avec celle qui occupe le poste de responsable de la bibliothèque de la ville où elle est venue recevoir un titre de docteur honoris causa et où elle rencontre ses lecteurs et de bien vieilles connaissances.
C'est aussi la professeur qui se remémore les formations de "creative writing" qu'elle dispensait, le plaisir qu'elle y prenait et les relations étroites qu'elle pouvait nouer avec certains de ces étudiants, une thématique récurrente reprise dans bon nombre de ces livres.
JCO regarde son passé, les bifurcations empruntées ; elle s'interroge avec acuité sur sa trajectoire, sur le fait de ne pas avoir eu d'enfants. Elle s'empare également du thème de la vieillesse, des couples vieillissants dont la vigilance et les facultés s'amoindrissent, et qui doivent s'appuyer l'un sur l'autre pour faire face et éviter les écueils. Certains sont sur une ligne de crête, à la lisière de la mort, ou confrontés à la perte de leur conjoint.
La mort traverse l'ensemble de ces textes, celle de la petite fille qui pense retrouver ses parents, ceux-ci ne la voyant pas puisque décédée, celle de l'adolescent dont les parents anéantis transforment leur maison en bunker isolé du reste du monde, celle du premier ministre à la tête tranchée, et enfin celle qui rôde en boucle, dans trois nouvelles qui déclinent la même situation se déroulant, avec des personnages différents, sur la terrasse d'un restaurant où a eu lieu / aura lieu un attentat.
Le gore et le gothique, les menaces écologiques et terroristes qui planent sur l'Amérique, sont bien présents en filigrane, sinon ce ne serait pas du JCO, mais c'est surtout l'émotion qui m'a paru sourdre au fil des pages, celle partagée avec une écrivaine de quatre-vingt cinq ans distillant des éclats de sa vie dans ces courts textes.