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Quand j'ai traduit le poème « reste » en roumain, j'avais eu une difficulté insurmontable pour le vers « des poèmes émerveillés », mais j'ai aussi eu un avant-goût de ce souffle unique d'une poésie qui s'affranchit élégamment de la ponctuation et réclame à être déclamée.
C'est donc bien à voix haute que j'ai lu le recueil de Thierry (prêté ensuite à Francharb3, sic !) en suivant le fil du « poème qui défriche la canopée » avec grâce et foi en la littérature. le lecteur n'a pas besoin d'être simplement « studieux », il sera « curieux » de progresser dans la lecture aisée de ces 36 poèmes et il touchera même son nez à la page 65, car il est 11 h 11 et… après avoir dansé avec « don jorg » (p. 21).
Plus qu'un « reste d'humanité », nous avons ici des aménités diverses et foisonnantes.
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« sans ponctuation ni majuscule
bien évidemment
puisque nous n'y sommes pas
n'y vivons pas

encore

puisque de la grammaire
nous avons largué
les amarres

puisque cela parle du temps »

Tout le recueil, trente-quatre poèmes en tout, semble ramassé dans celui qui le clôt : une composition en vers libres sans majuscule ni ponctuation qui se soustrait à l'absolutisme de la syntaxe et nous parle du temps.
Il y a le temps qui court, ou plutôt nous qui lui courons après, toujours pressés, sollicités, houspillés, pas moyen d'être en paix, même dans la tombe:

« même sous terre
nous voilà sommés encore
d'avancer »

Il y a le temps révolu, la nostalgie du souvenir qui s'incarne aussi bien dans le vécu de Thierry Noiret (son enfance, ses premières amours, ses voyages) que dans les livres tant aimés : Jorge Luis Borges, James Joyce, Léon-Paul Fargue surtout, « père, maître en imagination, ami en écriture » qui cultive « l'art de la métaphore filée, la très précieuse science de tisser des mots sans suite mais à la saveur intense et à la vérité impitoyable »:

« Un train écume et se rendort. Des musiques diffuses rôdent. La vie antérieure émerge et chuchote.»

Et il y a le temps qui reste, s'amenuisant inexorablement à mesure que les années s'égrènent, les amours mortes, l'insondable solitude, l'angoisse face à un avenir évidé de ses promesses :

« que reste-t-il à léguer
à notre enfance
bâtir un toit sans mur
coudre un épais duvet
où naissent et reposent
de paisibles obligations »

Le hasard a voulu qu'au moment où j'entamais la lecture de sans majuscule, ma chère maman m'offrît, dans une collection superbement illustrée (Diane de Selliers), Les fleurs du mal, l'une de mes grandes passions adolescentes. Difficile d'imaginer contraste plus saisissant. Surchargés de ponctuations (que de points d'exclamation!), saturés de majuscules, très emphatiques, les vers de Baudelaire produisent un effet de sidération sur le lecteur jusqu'à la nausée, quand ceux de Thierry Noiret, graves et fantaisistes, sobres et décalés, frappent au contraire par l'économie de moyens qui les sous-tend.

« reste donc
muette et résignée
reste
sage toute contre moi

ma solitude mon ennui »

Ce n'est pas la ponctuation qui donne son rythme au poème, mais l'agencement des vers entre eux, des vers courts, parfois réduits à un seul mot qui résonne et qui claque, des phrases en porte-à-faux créant une cassure, une dissonance venant titiller le lecteur, qui jamais n'étouffe sous le sens, attentif avant tout à la musique des mots. Chez Thierry Noiret, le poème n'assène pas, mais suggère, échappe aux interprétations définitives en même temps qu'il refuse d'enfermer son lecteur dans une vision du monde clairement énoncée. Foncièrement libre, jamais clos sur lui-même, il reste aux aguets, perpétuellement ouvert sur un questionnement sans fin : qu'est-ce que le réel? Est-ce ce que nous avons réellement vécu? Ou est-ce, au-delà d'événements vécus s'enracinant dans l'expérience, tout ce que notre imagination recompose à loisir, remodelant au fil du temps un passé qui, à bien des égards, se lit depuis l'avenir? Questionner le réel ne revient-il pas à questionner le rôle de l'écriture dans nos vies? Car, à la fois douleur et consolation, servitude et raison de vivre, « elle seule permet d'amadouer la nostalgie et d'ouvrir une brèche vers l'avenir ».

« Discerner le murmure des mémoires, le murmure de l'herbe, le murmure des gonds. Il s'agit de devenir silencieux pour que le silence nous livre ses mélodies. Écrire, c'est savoir dérober des secrets. »

Léon-Paul Fargue
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Ce recueil n'existerait probablement pas sans Babelio, sans les fils de conversation poétique (Merci @Morphil) auxquels j'ai participé et pour lesquels j'ai osé recommencer à écrire de la poésie.
Trente-quatre textes pour donner corps au temps qui passe et à l'absurde de la vie... Je laisse mes amis commenter et critiquer à leur envi.
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L'auteur nous apprend dans sa préface qu'après l'avoir délaissée, il renoue avec la poésie.
Un échange avec un tiers lui en a insufflé le désir, que semble confirmer la naissance du premier poème — de l'aveu même de l'auteur, ce retour est vécu comme un rapprochement avec soi et comme un « ravissement ».

C'est donc avec ce premier texte fondateur que s'ouvre le recueil de trente-quatre poésies, « sans majuscule ». C'est très probablement aussi ce texte qui a façonné les autres poèmes, leur contenu, la couleur lyrique, la visée et le principe poétique formel, dont il est annoncé qu'il sera résolument tourné vers la musique.
Quant à la forme, pour en dire plus, elle est celle du vers libre, sans ponctuation, sans majuscule. Sans titre, les poèmes sont numérotés.

« reste
il y a le brouillard tous ces nuages
reste te dis-je même si le ciel était d'azur
les feuilles mortes pourrissent sous la neige
je n'ai plus de fleurs à t'offrir

Dès l'incipit, le lecteur partage la délectation de l'écrivain devant la prosodie qui, de texte en texte, va fleurir sous ses yeux.
« reste… » nous commande le poème. « Nous », dis-je, car on se sent appelé par cet impératif et prêt à recueillir cette prière murmurée comme une supplique adressée au lecteur.
Ce dernier ne demandera pas mieux que d'entrer plus avant dans ce jardin de fleurs, tant celui-ci est frais, tant il s'ouvre sans manières, sans poses, mais selon un projet authentiquement révélé.

Dès le deuxième poème, le lecteur comprend en effet que les trente-quatre poèmes sont l'émanation d'un vécu. Poème de l'existence, monde de l'observation, de l'apprentissage, et, somme toute, de l'expérience humaine, de l'épreuve de la vie…
« reste »… entend-il d'abord.

Puis :

« le poème n'est pas fiction […] »

« […] tout ce qui suit a été vécu et éprouvé (confie l'auteur dans sa préface) : le fleuve près duquel je vis, le quartier d'Uccle (très en pente) de mon enfance, mes voyages (Rome, Épi¬daure, Paris, Compostelle, Dublin, Samarkand...), mes lectures (Jorge Luis Borges, Ulysse, Voltaire, Érasme, Rabelais et ses géants...), mes premières amours (près du moulin à aubes ou dans une église) etc… »

Poésie de l'intime, aux inflexions amères (« le poème est un drame »), ou ensoleillées et lyriques (« le pain nourrit et renaît / chaque matin chez le boulanger »), non exempte ni des vicissitudes ni des inquiétudes sur le futur de l'Homme, voilà où se tient ce recueil qui exalte la beauté et le concret de la vie.

Il est fort juste et inspiré, cher Thierry Noiret, ce retour en poésie !

« déchiffrer l'alphabet cyrillique
déterrer la poussière
fouiller la décharge
de notre destinée
comme de vulgaires archéologues
creuser le passé jusqu'à
sa première partition

que retenir des enfers
sous la grammaire trouverons-nous
l'entropie
ou une autre plage

il y a de l'ancien dans notre existence
les civilisations jettent des ordures
nous nous baignons dedans
rien ne peut nous en laver
encore moins la dernière pluie

chaque matin nous cuisons
de nouveaux oeufs nés de vieilles poules
chaque matin nous croyons
au matin
mais hier nous avale dès le premier
café
[…] »

*

Quelques mots pour finir sur la maison d'édition québécoise où est paru ce beau recueil.
ELP Éditeurs, que je salue ici, est une petite maison d'édition accueillante mais exigeante. Animée par deux écrivains de grand talent, Daniel Ducharme et Paul Laurendeau, c'est une maison qui défend la littérature, selon des critères très sélectifs, et dans laquelle l'auteur est assuré d'avoir été choisi. le soin apporté à la fabrication des livres est par ailleurs en tout point remarquable.
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Après l'une des plus belles dédicaces qui soit : « à ma compagne Lucie qui chaque jour illumine le chemin qui me mène à l'écriture » (j'ai toujours adoré qu'on désigne son amoureux par « compagnon » et surtout c'est très beau quand l'amour conduit à l'écriture lumineuse, superbement accomplie comme ici), j'apprends, grâce à l'humour de Thierry que nous avons en commun deux passions : la fréquentation de babelio et les pâtes au pesto. Non, plus sérieusement, merci, Tandarica pour le prêt de ce recueil en effet SUBLIME !

Même l'auto-ironie est subtile :

« aujourd'hui le bibliothécaire claque
la porte échappe ses clés
oublie la consigne de silence
que va-t-il rester de mon livre
sur ce pupitre
ouvert à la page de demain ».

Quelle que soit la page, ouvrez, sans plus attendre, « sans majuscule » !

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sans majuscule est un carnet de voyage
un long poème divisé en plusieurs voix d'un chant unique
une marche qui ne minimise aucune étape
puisqu'aucune n'est en majuscule

j'ai beaucoup aimé ce recueil
me laissant porter par mon intuition
des fragments qui m'ont happé
d'autres sur lesquels je suis passé

le poète est un voyageur immobile depuis sa feuille
abreuvé de visions qui ne trompent pas
(ou alors il est très fort)

j'ai aimé le savant mélange des images entendues
d'autres plus insolites
des points de repères dans l'horizon de l'errance
qui ne rend jamais rance
mais toujours un peu plus humain

il est bon de lire une telle poésie
elle est douce forte sensible
et puissamment utile

merci
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Thierry Noiret est un magicien aux multiples talents. Cet artiste habile jongle naturellement avec les mots mais il ne les retient pas et les laisse s'envoler dans un souffle évanescent vers de nouveaux horizons. Véritable poète troubadour il possède le don incroyable d'emporter le lecteur dans une balade autour du monde, doublée d'une ballade enchanteresse. Des sons doux et harmonieux s'échappent de ses poèmes (j'allais dire de ses lèvres) et se fondent dans un jeu de couleurs chatoyantes, dévoilant l'arc-en-ciel de la vie, de l'amour et de l'espérance, avant de plonger dans l'inexorable fuite du temps sous la vague de la vieillesse, des souvenirs et des regrets.

Par le biais d'un voyage intemporel, original et étonnant, Thierry nous invite à découvrir de nouveaux horizons, d'innombrables contrées qu'il s'emploie à magnifier, sans majuscule ni ponctuation mais aussi sans frontières… En sa compagnie nous déployons nos ailes pour prendre notre envol au-dessus des fleuves, des mers et des océans ; depuis le firmament, nous survolons des villes perdues dans des années-lumière d'histoire, puis nous dérivons jusqu'à en perdre la notion de l'équilibre, du temps et de l'espace.

Entre rêve et réalité il n'y a plus de limites et on passe de l'ombre à la lumière, du silence au fracas, de la tristesse à la joie, de la sagesse à la fantaisie, avec une infinie délicatesse. Pensées philosophiques, états d'âmes profonds, métaphores savoureuses, visions fantomatiques, tout est merveilleusement suscité, révélé, avec parfois une pointe d'humour revitalisante. Cet ouvrage inspirant et plaisant ouvre également la porte à de profondes réflexions sur la nature humaine et son évolution. Aujourd'hui, perdus dans l'immensité de la planète, que représentent les humains ? Et que deviendront-ils demain sur l'échiquier du destin ?
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