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Citations sur Les Thibault (11)

-« Tu n’as qu’à être plus froide avec lui, maman, si tu trouves qu’il vient trop souvent ! »
-« Qui donc ? » fit Mme de Fontanin, se retournant. « Jacques ? Trop souvent ? Mais voilà plus de quinze jours que je ne l’ai vu ici ! »
(En effet, ayant appris par Daniel l’arrivée de M. de Fontanin et le bouleversement causé de ce fait dans leur vie de famille, Jacques avait tenu, par discrétion, à ne pas reparaître chez eux.) D’autre part, comme Jenny se rendait beaucoup moins régulièrement au club, qu’elle évitait Jacques le plus possible et attendait souvent qu’il fût engagé dans une partie pour s’esquiver sans presque lui avoir parlé, les deux jeunes gens s’étaient fort peu rencontrés depuis une quinzaine.
Jenny était délibérément entrée dans la chambre de sa mère ; elle avait refermé la porte et se tenait debout, muette, dans une attitude intrépide.
Mme de Fontanin eut grand-pitié d’elle, et ne songea qu’à faciliter la confidence :
-« Je t’assure, ma chérie, que je ne vois pas bien ce que tu veux dire. »
-« Pourquoi aussi Daniel a-t-il amené ces Thibault chez nous ? » articula Jenny avec feu. « Tout ça ne serait pas arrivé sans l’incompréhensible amitié de Daniel pour es gens-là ! »
-« Mais qu’est-il arrivé, ma chérie ? » demanda Mme de Fontanin, dont le coeur battait plus fort.
Jenny se cabra :
-« Il n’est rien arrivé, ce n’est pas ça que j’ai voulu dire ! Mais si Daniel, et toi, maman, si vous n’aviez pas toujours été attiré ces Thibault à la maison, je ne… je… » Et sa voix se rompit net.
Mme de Fontanin rassembla son courage :
-« Voyons, ma chérie, explique-moi. Est-ce que tu as cru remarquer de la part de… un… un sentiment particulier ? »
Jenny n’avait même pas attendu la fin de la question pour abaisser la tête en un signe d’affirmation. Elle revit le jardin plein de lune, la petite porte, sa silhouette sur le mur, le geste outrageant de Jacques ; mais le souvenir de cette seconde terrible qui jour et nuit l’obsédait encore, elle était bien résolue à le taire, comme si, en le conservant ainsi enfermé dans son coeur, elle se fût réservé la liberté de s’en faire un sujet d’horreur ou simplement d’émoi.
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Il erra un peu avant de retrouver l’emplacement de la tombe. Dès qu’il la reconnut, de loin, à la terre remuée, il se découvrit, et s’avança à pas compassés. Là gisaient maintenant six années de vie commune, de ruptures, de jalousies et de reprises, six années de souvenirs et de secrets, jusqu’au dernier de tous, le plus tragique, et qui aboutissait là.
« Après tout », songea-t-il, « cela pouvait se terminer plus mal encore… je souffre peu », constata-t-il, tandis que son front crispé et ses yeux noyés de larmes semblaient attester le contraire. Etait-ce sa faute, si la joie que lui causait la présence de sa femme était plus forte que son chagrin ? Thérèse, seul être qu’il eût aimé ! Le saurait-elle jamais ? Comprendrait-elle jamais, dans sa froideur sévère, qu’elle seule, en dépit des apparences, emplissait cette vie d’homme à bonnes fortunes où il n’y avait cependant jamais eu qu’un grand amour ? Comprendrait-elle jamais que, à côté de l’attachement total qu’il lui avait voué, tout autre penchant ne pouvait qu’être éphémère ? Et cependant, il en avait, en ce moment même, une preuve nouvelle : la mort de Noémie ne le laissait ni désemparé ni seul. Tant que Thérèse vivait, eût-elle été plus éloignée encore, eût-elle cru rompre tous les liens qui l’unissaient à lui, il n’était pas seul. Il voulut imaginer, l’espace d’une seconde, que Thérèse reposait là, sous ce tertre jonché de fleurs : mais il ne put en supporter l’idée. Il ne se faisait presque aucun reproche des chagrins qu’il avait causés à sa femme, tant, à cette minute solennelle, devant cette tombe, il avait conscience de ne lui avoir rien dérobé d’essentiel, de lui avoir consacré le plus rare et le plus durable de son coeur ; tant il avait conscience de ne lui avoir jamais un seul instant été infidèle.
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Antoine, las, mais bavard, ne pouvait songer qu’à Rachel ; hier, à cette heure-ci, il ne la connaissait pas encore ; et, maintenant, elle occupait chaque minute de sa vie.

Son exaltation contrastait avec les sentiments qui animaient Jacques, après cette paisible journée, et surtout à cet instant, sur ce chemin, au seuil de cette visite dont la pensée éveillait en lui une changeante émotion, assez semblable, par moments, à de l’espérance. Il marchait à côté d’Antoine ; il se sentait mécontent, soupçonneux ; il éprouvait ce soir contre son frère une prévention instinctive, qui ne s’exprimait pas, mais qui le murait dans une sorte de silence, bien que la conversation entre eux fût amicale autant qu’à l’ordinaire. En réalité, ils jetaient devant eux des mots, des phrases, des sourires, comme deux adversaires jetteraient des pelletées de terre afin d’élever un retranchement entre deux positions. Ils n’étaient, ni l’un ni l’autre, dupes de cette manoeuvre. La fraternité créait en eux une telle sensibilité qu’ils ne parvenaient plus rien à se cacher d’important. Une simple intonation d’Antoine vantant le parfum d’un tilleul tardif - qui venait de lui rappeler en secret l’odorante chevelure de Rachel - sans précisément renseigner Jacques, lui en disait pourtant presque aussi long qu’une confidence. Et il ne fut guère surpris lorsqu’Antoine, cédant à son obsession, lui saisit le bras, et, l’entraînant d’un pas plus rapide, se mit à lui conter son étrange veillée et tout ce qui s’en était suivi.
Le ton d’Antoine, son rire, son attitude d’homme fait, certains détails trop crus qui contrastaient avec son habituelle réserve d’aîné, provoquaient chez Jacques un malaise tout nouveau. Il faisait bonne contenance, il sourait, approuvait de la tête ; mais il souffrait. Il en voulait à son frère de lui causer cette souffrance ; il ne pardonnait pas à Antoine cette désapprobation qu’Antoine lui-même venait de susciter. Et, plus l’autre lui laissait entrevoir l’état d’ivresse dans lequel il avait vécu depuis douze heures, plus Jacques se réfugiait dans une résistance hautaine et sentait croître en lui une soif de pureté. Lorsqu’Antoine, parlant de son après-midi, se permit les mots « journée d’amour », Jacques eut un tel sursaut qu’il ne put le réprimer et qu’il se révolta :
- « Ah non, Antoine, non ! L’amour c’est autre chose que ça ! »
Antoine sourit, non sans fatuité ; et, surpris malgré tout, se tut.
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Ce qu’il ne disait pas, ce qu’Antoine ne pouvait guère deviner, c’est qu’après le départ de Lisbeth, le pauvre gamin s’était senti le coeur si vide et tout à la fois si lourd, qu’il avait cédé au besoin de confier à un être jeune le secret de sa jeunesse ; bien plus : de partager avec Daniel ce poids qui l’étouffait. Et, dans son exaltation solitaire, il avait par avance vécu les heures d’amitié totale, où il supplierait son ami d’aimer une moitié de Lisbeth, et Lisbeth de laisser à Daniel prendre à sa charge cette moitié d’amour.
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Il se tut. Antoine ne trouvait rien à répondre. Il se sentait presque intimidé devant ce gamin qui avait déjà subi cette expérience de la vie… D’ailleurs il n’eut rien à demander. De lui-même l’enfant s’était remis à parler, d’une voix monotone et basse, sans que l’ont pût, dans ce chaos, comprendre l’association de ses idées, ni même ce qui, après une si obstinée réserve, le poussait tout à coup à ce débordement :
« … C’est comme pour l’abondance, tu sais, l’eau rougie… Je la leur laisse, tu comprends ? Le père Léon me l’avait demandé, au début ; moi je n’y tiens pas, j’aime autant l’eau du broc… Mais ce qui m’ennuie c’est qu’ils rôdent tout le temps dans le couloir. Avec leurs chaussons, on ne les entend pas. Quelquefois même ils me font peur. Non, ce n’est pas que j’aie peur, c’est surtout que je ne peux pas faire un mouvement sans qu’ils me voient, sans qu’ils m’entendent… Toujours seul et jamais vraiment seul, tu comprends, ni en promenade, ni nulle part ! Ça n’est rien, je sais bien, mais à la longue, tu sais, tu n’as pas idée de l’effet que ça fait, c’est comme si on était sur le point de se trouver mal… Il y a des jours où je voudrais me cacher sous le lit pour pleurer… Non, pas pour pleurer, mais pour pleurer SANS QU’ON ME VOIE, tu comprends ?
[…]
Mais je ne sais pas comment dire, c’est comme si on s’endormait dans le fond de soi, tout au fond… On ne souffre pas vraiment, puisque c’est comme si on dormait…
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Daniel bostonnait sans hâte, le corps en apparence immobile, la tête droite, avec une sorte de flegme fait de raideur et d'aisance, ne dansant qu'avec la pointe de ses pieds, qui ne quittaient pas le sol.
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Alors, Jacques, qui jusque là taciturne, semblait peu pressé de reprendre la conversation, se pencha tout à coup vers son frère :
«  Vois-tu, Antoine, ce qui est effrayant, c’est de ne pas savoir ce qui est… normal… Non, pas NORMAL, c’est idiot… Comment dire ?… Ne pas savoir si les sentiments qu’on a… ou plutôt les instincts… Mais toi, médecin, tu le sais, toi… » Les sourcils froncés, le regard perdu dans la nuit, il parlait d’une voix sourde et butait à chaque mot. « Ecoute », reprit-il. « On éprouve quelquefois des choses… On a des espèces d’élans vers ceci… ou cela… Des élans qui jaillissent du plus profond… N’est-ce pas ?… Et on ne sait pas si les autres éprouvent la même chose, ou bien si on est… un monstre !… Comprends-tu ce que je veux dire, Antoine ? Toi, tu as vu tant d’individus, tant de cas, tu sais sans doute, toi, ce qui est… mettons… général, et ce qui est… exceptionnel. Mais, pour nous autres qui ne savons pas, c’est terriblement angoissant, vois-tu… Ainsi, tiens, un exemple : quand on a treize, quatorze ans, ces désirs inconnus qui montent comme des bouffées, ces pensées troubles qui vous envahissent sans qu’on puisse s’en défendre, et dont on a honte, et qu’on dissimule douloureusement comme des tares… Et puis, un jour, on découvre que rien n’est plus naturel, que rien n’est plus beau, même… Et que tous, tous, comme nous, pareillement… Comprends-tu ?… Eh bien, voilà, il y a, de même, des choses obscures… des instincts… qui se dressent… et pour lesquels, même à mon âge, Antoine, même à mon âge… on se demande…on ne sait pas… »
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Devant les yeux d’Antoine, tout se brouille un instant. Il s’étonne que Jacques ait osé. Comme elle lui semble implacable, cette page vengeresse, lorsqu’il évoque le vieillard déchu :

Monture guillerette,
Trilby, petit coursier…

Entre son frère et lui, la distance s’est accentuée soudain.

« Ah, son petit rire froid, intérieur, pour clore un silence outrageant. Vingt ans de suite, Giuseppe a subi ces silences, ces rires. Dans la révolte.
Oui, haine et révolte, tout le passé de Giuseppe. S’il pense à sa jeunesse, un goût de vengeance lui monte. Dès la prime enfance, tous ses instincts, à mesure qu’ils prennent forme, entrent en lutte contre le père. Tous. Désordre, irrespect, paresse, qu’il affiche par réaction. Un cancre, et honteux de l’être. Mais c’est ainsi qu’il s’insurge le mieux contre le code exécré. Irrésistible appétit du pire. Les désobéissances ont la saveur de représailles.
Enfant sans coeur, disaient-ils. Lui qu’un cri d’animal blessé, qu’un violon de mendiant, qu’un sourire de signora croisée sous un porche d’église, faisait sangloter le soir dans son lit. Solitude, désert, enfance réprouvée. L’âge d’homme a pu venir, sans que Giuseppe ait cueilli sur une autre bouche que celle de sa petite soeur un mot de douceur prononcé pour lui. »
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Antoine multipliait les signes d’approbation sans avoir le courage de répondre. Voilà ce qu’elle était devenue, cette inflexible autorité contre laquelle toute sa jeunesse s’était heurtée ! Naguère, ce despote eût expulsé sans exlication l’infirmière importune ; aujourd’hui, faiblissant, désarmé… A de semblables instants, le ravage physique apparaissait plus manifeste encore que lorsqu’Antoine mesurait sous ses doigts le dépérissement des organes.
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L’heure avançait. Il consulta sa montre et se leva ; il avait sa contre-visite à passer, vers cinq heures. Il hésitait à prévenir son frère qu’il allait le laisser seul jusqu’au dîner ; mais, contrairement à son attente, Jacques parut presque content de le voir partir.
En effet, resté seul, il se sentit comme allégé. Il eut l’idée de faire le tour de l’appartement. Mais dans l’antichambre, devant les portes closes, il fut pris d’une angoisse inexplicable, revint chez lui et s’enferma. Il avait à peine regardé sa chambre. Il aperçut enfin le bouquet de violettes, la banderolle. Tous les détails de la journée s’enchevêtraient dans sa mémoire, l’accueil du père, la conversation d’Antoine. Il s’allongea sur le canapé, et recommença à pleurer ; sans aucun désespoir : non, il pleurait d’épuisement surtout, et aussi, à cause de sa chambre, des violettes, de cette main que son père avait posé sur sa tête, des attentions d’Antoine, de cette vie nouvelle et inconnue ; il pleurait parce qu’on semblait de toutes parts vouloir l’aimer ; parce qu’on allait maintenant s’occuper de lui, et lui parler, et lui sourire ; parce qu’il faudrait répondre à tous, parce que c’en était fini pour lui d’être tranquille.
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