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9 pages
Gallimard (08/12/1949)
4.73/5   11 notes
Résumé :
Les Thibault est une vaste suite romanesque de Roger Martin du Gard (1881-1958), composée de huit tomes d'inégale longueur dont la publication s'est étalée de 1922 à 1940. C’est tout particulièrement pour cette œuvre, et bien qu'il lui restât encore à en écrire l'Épilogue, que Roger Martin du Gard reçut, dès novembre 1937, le prix Nobel de littérature.

Le cycle se compose de huit romans : Le Cahier gris (1922), Le Pénitencier (1922), La Belle Saison (... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Les Thibault est un cycle romanesque en huit volumes, parus entre 1922 et 1940. C'est le chef-d'oeuvre de son auteur, Roger Martin du Gard (1881-1958), qui valut à ce dernier le prix Nobel de littérature en 1937.
Le cycle romanesque est un ensemble de romans qui peut décrire l'histoire d'un individu (Jean-Christophe, de Romain Rolland, ou Claudine, de Colette), d'une famille (Les Thibault, de Roger Martin du Gard, ou La Chronique des Pasquier, de Georges Duhamel), d'une société donnée (A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust) voire de l'ensemble de la population (Les Hommes de bonne volonté, de Jules Romains).
Dans Les Thibault, Roger Martin du Gard se propose de nous raconter l'histoire d'Oscar Thibault, un riche notable catholique, et celle de ses enfants, Antoine, réaliste et posé, et Jacques, idéaliste et exalté, dans une période qui va de 1904 à 1918. Saga familiale, donc, au départ. Mais peu à peu, cette fresque va se faire plus sociale, plus politique, et va épouser L Histoire jusque dans le chaos de la Première guerre mondiale
Huit romans, d'importance et de volume variables, composent ce cycle attachant, à la fois très fouillé sur la psychologie des personnages, et très pertinent sur l'évolution des mentalités et des idées, à la veille de la guerre : le Cahier gris (1922), le Pénitencier (1922), La Belle Saison (1923), La Consultation (1928), La Sorellina (1928), La Mort du Père (1929), L'Été 1914 (1936) et Épilogue (1940).
Ce roman m'avait été conseillé (et offert, d'ailleurs) par une collègue de travail qui partageait avec moi un goût réel pour la chose écrite, surtout quand elle est bien écrite.
Roger Martin du Gard est effectivement un grand écrivain : son style fluide se prête à toutes les nuances : il sait se faire pudique pour évoquer les sentiments qu'éprouvent les personnages (amitié, amour, et également amour fraternel et filial, ce qui n'est pas rien dans cette histoire), profond pour explorer leurs états d'âme (et Dieu sait s'il y en a), parfois violent dans des scènes de crise ou d'exaspération, bouleversant dans des scènes d'intense émotion... Ajoutez à ça un examen minutieux de l'état de la société à la veille du conflit, et vous aurez Les Thibault, une somme romanesque que vous n'oublierez pas après l'avoir lue.
Le Cahier gris, premier tome de la série, vous donne un avant-goût des épisodes suivants : l'auteur présente ses personnages : Les Thibault, d'abord avec le père Oscar, les deux fils Antoine et Jacques, et les Fontanin, ensuite, avec Daniel, l'ami de Jacques, ses parents Jérôme et Thérèse et sa soeur Jenny... Je ne vous raconterai pas les interactions entre tous ces personnages, vous le verrez bien assez tôt.
Dites-vous bien que si vous lisez Les Thibault, vous ne serez pas déçus. Alors que, si vous ne le lisez pas, eh ben, c'est moi qui serai déçu !
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Les Thibault.
Près de quatre lustres après cette lecture (et relecture entretemps) de ces cinq gros livres de poche qu'un prof passionné nous avait fait découvrir, quels souvenirs m'en reste-t-il ?
I. le cahier gris ? Très peu de choses, sinon les premiers portraits des principaux protagonistes dans le Paris de 1904.
II. le pénitencier ? La découverte par Antoine des conditions de vie barbares de son frère, qui insiste cependant en lui demandant de donner de l'argent à son gardien tourmenteur. Puis le retour à l'appartement sous la responsabilité d'Antoine. Les débuts de rapports difficiles de Jacques avec Jenny, qui lui montre de l'hostilité. Sa maladresse, (parlant de pigeonneaux « qui tètent encore ! »
III. La Belle Saison.
Cet épisode, par contre, me reste plus présent. D'abord la poursuite de relations ambiguës entre Jacques et Jenny. Mais sa mère, (Thérèse de Fontanin) pressent que l'animosité de sa fille masque en réalité un amour dont Jenny n'est pas encore consciente.
Mais aussi les débuts de médecin d'Antoine, qui sont surtout ici l'occasion de sa rencontre avec Rachel. Ils vivront intensément une relation passionnée. Rachel évoque son passé, sa vie tumultueuse, l'Afrique avec Hirsch, envoûtée par son amant violent, ambigu. (Le « mixed-grill », lorsqu'un coup d'oeil suffit à inviter un noir à les rejoindre dans la chambre). Mais un jour il surprend Rachel à faire sa malle. Hirsch la rappelle. Antoine vit cet épisode comme un déchirement. Il l'accompagne au port pour leurs derniers jours dans une petite chambre d'hôtel. La suivant des yeux jusqu'à ce que le paquebot disparaisse à l'horizon. C'est d'une tristesse insoutenable.
IV. La Consultation.
Ça fait trois ans, que Jacques a disparu, durant les deux jours qu'Antoine passés au Havre pour ses adieux à Rachel. Leur père, Oscar-Thibault, est en train de mourir. Nous avons ici le quotidien de la vie de médecin d'Antoine. Un de ses patients lui explique la situation politique, le danger que montre l'Allemagne belliqueuse.
V. La Sorellina.
C'est le titre d'une nouvelle publiée par Jacques. Antoine la trouve par hasard. Il y découvre le point de vue de son frère sur leur enfance commune. Après des recherches, il le retrouve enfin à Lausanne. (« Point de moutarde sèche au bord du moutardier »), me souviens-je de la description de la petite pension de famille. Jacques se résigne à rentrer à Paris avec son frère lorsqu'Antoine l'informe de l'état de leur père.
VI. La Mort du Père.
Sentant sa fin prochaine, Oscar-Thibault fait un retour sur sa vie, regrettant ses erreurs éducatives. Il y a cette scène forte où Antoine lui donne un dernier bain pour le soulager. Puis, en accord avec Jacques, lui administre une dose mortelle de morphine. Suivi de la grande cérémonie de l'enterrement.
VII. L'Été 1914.
À partir d'ici, l'aspect « famille » du roman cède la première place à la guerre.
On retrouve Jacques qui a rejoint ses amis, militants socialistes et pacifistes à Genève. Quelques figures, dont Meynestrel, « le Pilote ». Jacques vient en mission à Paris où il retrouve Jenny. Ils se déclarent enfin leur amour. Scène où Madame de Fontanin, bouleversée, les découvre au lit. On suit alors de jour en jour, les nouvelles inquiétantes, l'attentat de Sarajevo, l'assassinat de Jean Jaurès. C'est quasiment un reportage très fouillé sur la veille de la guerre, la mobilisation générale où l'auteur ne se prive pas de dénoncer le bourrage de crâne, la manipulation de l'opinion.
Antoine est lui aussi mobilisé. Jacques retourne à Genève. Dans une tentative désespérée et suicidaire, il embarque avec Meynestrel dans un avion pour lancer des tracts incitant les soldats du front à se mutiner. L'avion s'écrase. Jacques, horriblement blessé, est mis sur un brancard de fortune. Son dernier regard est sur le mot de la planche qui le maintient : « Fragil » ! Pris pour un espion, les soldats français l'abattent. Il est mort pour rien.
VIII. Épilogue.
1918. Antoine a été gazé. Une lettre lui apprend la mort de Rachel en Afrique. Il se souvient du collier d'ambre qu'elle portait. « Cette pauvre aventure est, malgré tout, ce qu'il y a eu de meilleur dans ma pauvre vie ».
À l'occasion d'une permission, il revient chez Mme de Fontanin. Elle a fondé un hôpital, aidée par Jenny qui élève le fils qu'elle a eu de Jacques. Il consulte le Dr Philip, son ancien patron. Et devine qu'il est condamné en le voyant lui prendre le pouls en silence. Il se remémore alors une anecdote de son enseignement : l'importance d'avoir une montre, qui permet, sous prétexte de prendre le pouls, de s'accorder quelques secondes de réflexion pour préparer le malade au verdict.
À l'approche de sa mort (il a décidé et va se suicider), Antoine fait le bilan de sa vie dans une réflexion sur les années de guerre et ses illusions de bonheur.
Roger Martin du Gard termine ici sa saga familiale et historique.
Voila les quelques réminiscences qui me restent de ce roman fleuve qui m'a emporté, et soulevé beaucoup d'émotions à sa lecture.







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Je n'avais pas relu Roger Martin du Gard depuis très longtemps mais j'étais restée curieuse des Thibault, que j'avais aimé. J'ai retrouvé , à la lecture du premier volume de cette oeuvre, l'engouement que j'avais eu. Il s'agit là de l'histoire d'une famille bourgeoise, certes, mais aussi du portait d'une époque. le premier tome court du début du siècle à la veille de la première guerre. Oscar Thibault est père de deux fils, Antoine et Jacques. Il est veuf. Cet homme hautain est avide d'honneurs et de récompenses; Il est satisfait de son fils aîné, qui est médecin, mais ne comprend rien à son jeune fils, qui ne veut pas suivre la ligne bourgeoise de la famille. Dans les premières pages du texte, Jacques note sur les feuillets d'un cahier gris, son amitié passionné pour un camarade de pension, Daniel de Fontanin. le cahier gris ayant été confisqué, les deux adolescents décident de s'enfuir mais ils sont bientôt rattrapés. Pour Jacques, la sentence est cruelle : il va en maison de correction. Son frère, cherchant à se rapprocher de lui, l'en fera sortir pour le loger chez lui, mais cette tentative de rapprochement tournera court. En Europe, ce sont les soubresauts de la guerre. Antoine n'en a que faire mais Jacques est pacifiste. Il repartira de nouveau sans crier gare. Les deux frères se retrouveront quand il faudra affronter la mort du père.
Composé avec rigueur, l'oeuvre est riche : les affres de l'adolescence, les difficultés des premières amours, la complexité des relations parents enfants. On voit se dessiner un monde que la Grande guerre fera disparaître. Les portraits d'Antoine et de Jacques -de Jacques surtout- sont magnifiques. Les femmes aussi ont la part belle : Gise, Jenny, Rachel...
Oeuvre riche et complexe, Les Thibault permet de découvrir ou de redécouvrir, la maestria d'un romancier et d'apprécier sa sagacité.

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critiques presse (2)
Marianne_
08 avril 2024
À l'heure où la nuance semble avoir quitté les bancs de l'Assemblée nationale, il est bienvenu de lire ou (re)lire la chronique familiale en trois volumes "Les Thibault", écrite par Roger Martin du Gard.
Lire la critique sur le site : Marianne_
LeJournaldeQuebec
26 mars 2024
Une tranche d’histoire de la France extraordinairement relatée à travers les tribulations d’une grande famille française. Des personnages riches et des événements déterminants. Impossible de ne pas aimer cette humanité déchirée.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Alors, Jacques, qui jusque là taciturne, semblait peu pressé de reprendre la conversation, se pencha tout à coup vers son frère :
«  Vois-tu, Antoine, ce qui est effrayant, c’est de ne pas savoir ce qui est… normal… Non, pas NORMAL, c’est idiot… Comment dire ?… Ne pas savoir si les sentiments qu’on a… ou plutôt les instincts… Mais toi, médecin, tu le sais, toi… » Les sourcils froncés, le regard perdu dans la nuit, il parlait d’une voix sourde et butait à chaque mot. « Ecoute », reprit-il. « On éprouve quelquefois des choses… On a des espèces d’élans vers ceci… ou cela… Des élans qui jaillissent du plus profond… N’est-ce pas ?… Et on ne sait pas si les autres éprouvent la même chose, ou bien si on est… un monstre !… Comprends-tu ce que je veux dire, Antoine ? Toi, tu as vu tant d’individus, tant de cas, tu sais sans doute, toi, ce qui est… mettons… général, et ce qui est… exceptionnel. Mais, pour nous autres qui ne savons pas, c’est terriblement angoissant, vois-tu… Ainsi, tiens, un exemple : quand on a treize, quatorze ans, ces désirs inconnus qui montent comme des bouffées, ces pensées troubles qui vous envahissent sans qu’on puisse s’en défendre, et dont on a honte, et qu’on dissimule douloureusement comme des tares… Et puis, un jour, on découvre que rien n’est plus naturel, que rien n’est plus beau, même… Et que tous, tous, comme nous, pareillement… Comprends-tu ?… Eh bien, voilà, il y a, de même, des choses obscures… des instincts… qui se dressent… et pour lesquels, même à mon âge, Antoine, même à mon âge… on se demande…on ne sait pas… »
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Devant les yeux d’Antoine, tout se brouille un instant. Il s’étonne que Jacques ait osé. Comme elle lui semble implacable, cette page vengeresse, lorsqu’il évoque le vieillard déchu :

Monture guillerette,
Trilby, petit coursier…

Entre son frère et lui, la distance s’est accentuée soudain.

« Ah, son petit rire froid, intérieur, pour clore un silence outrageant. Vingt ans de suite, Giuseppe a subi ces silences, ces rires. Dans la révolte.
Oui, haine et révolte, tout le passé de Giuseppe. S’il pense à sa jeunesse, un goût de vengeance lui monte. Dès la prime enfance, tous ses instincts, à mesure qu’ils prennent forme, entrent en lutte contre le père. Tous. Désordre, irrespect, paresse, qu’il affiche par réaction. Un cancre, et honteux de l’être. Mais c’est ainsi qu’il s’insurge le mieux contre le code exécré. Irrésistible appétit du pire. Les désobéissances ont la saveur de représailles.
Enfant sans coeur, disaient-ils. Lui qu’un cri d’animal blessé, qu’un violon de mendiant, qu’un sourire de signora croisée sous un porche d’église, faisait sangloter le soir dans son lit. Solitude, désert, enfance réprouvée. L’âge d’homme a pu venir, sans que Giuseppe ait cueilli sur une autre bouche que celle de sa petite soeur un mot de douceur prononcé pour lui. »
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-« Tu n’as qu’à être plus froide avec lui, maman, si tu trouves qu’il vient trop souvent ! »
-« Qui donc ? » fit Mme de Fontanin, se retournant. « Jacques ? Trop souvent ? Mais voilà plus de quinze jours que je ne l’ai vu ici ! »
(En effet, ayant appris par Daniel l’arrivée de M. de Fontanin et le bouleversement causé de ce fait dans leur vie de famille, Jacques avait tenu, par discrétion, à ne pas reparaître chez eux.) D’autre part, comme Jenny se rendait beaucoup moins régulièrement au club, qu’elle évitait Jacques le plus possible et attendait souvent qu’il fût engagé dans une partie pour s’esquiver sans presque lui avoir parlé, les deux jeunes gens s’étaient fort peu rencontrés depuis une quinzaine.
Jenny était délibérément entrée dans la chambre de sa mère ; elle avait refermé la porte et se tenait debout, muette, dans une attitude intrépide.
Mme de Fontanin eut grand-pitié d’elle, et ne songea qu’à faciliter la confidence :
-« Je t’assure, ma chérie, que je ne vois pas bien ce que tu veux dire. »
-« Pourquoi aussi Daniel a-t-il amené ces Thibault chez nous ? » articula Jenny avec feu. « Tout ça ne serait pas arrivé sans l’incompréhensible amitié de Daniel pour es gens-là ! »
-« Mais qu’est-il arrivé, ma chérie ? » demanda Mme de Fontanin, dont le coeur battait plus fort.
Jenny se cabra :
-« Il n’est rien arrivé, ce n’est pas ça que j’ai voulu dire ! Mais si Daniel, et toi, maman, si vous n’aviez pas toujours été attiré ces Thibault à la maison, je ne… je… » Et sa voix se rompit net.
Mme de Fontanin rassembla son courage :
-« Voyons, ma chérie, explique-moi. Est-ce que tu as cru remarquer de la part de… un… un sentiment particulier ? »
Jenny n’avait même pas attendu la fin de la question pour abaisser la tête en un signe d’affirmation. Elle revit le jardin plein de lune, la petite porte, sa silhouette sur le mur, le geste outrageant de Jacques ; mais le souvenir de cette seconde terrible qui jour et nuit l’obsédait encore, elle était bien résolue à le taire, comme si, en le conservant ainsi enfermé dans son coeur, elle se fût réservé la liberté de s’en faire un sujet d’horreur ou simplement d’émoi.
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Antoine multipliait les signes d’approbation sans avoir le courage de répondre. Voilà ce qu’elle était devenue, cette inflexible autorité contre laquelle toute sa jeunesse s’était heurtée ! Naguère, ce despote eût expulsé sans exlication l’infirmière importune ; aujourd’hui, faiblissant, désarmé… A de semblables instants, le ravage physique apparaissait plus manifeste encore que lorsqu’Antoine mesurait sous ses doigts le dépérissement des organes.
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Antoine, las, mais bavard, ne pouvait songer qu’à Rachel ; hier, à cette heure-ci, il ne la connaissait pas encore ; et, maintenant, elle occupait chaque minute de sa vie.

Son exaltation contrastait avec les sentiments qui animaient Jacques, après cette paisible journée, et surtout à cet instant, sur ce chemin, au seuil de cette visite dont la pensée éveillait en lui une changeante émotion, assez semblable, par moments, à de l’espérance. Il marchait à côté d’Antoine ; il se sentait mécontent, soupçonneux ; il éprouvait ce soir contre son frère une prévention instinctive, qui ne s’exprimait pas, mais qui le murait dans une sorte de silence, bien que la conversation entre eux fût amicale autant qu’à l’ordinaire. En réalité, ils jetaient devant eux des mots, des phrases, des sourires, comme deux adversaires jetteraient des pelletées de terre afin d’élever un retranchement entre deux positions. Ils n’étaient, ni l’un ni l’autre, dupes de cette manoeuvre. La fraternité créait en eux une telle sensibilité qu’ils ne parvenaient plus rien à se cacher d’important. Une simple intonation d’Antoine vantant le parfum d’un tilleul tardif - qui venait de lui rappeler en secret l’odorante chevelure de Rachel - sans précisément renseigner Jacques, lui en disait pourtant presque aussi long qu’une confidence. Et il ne fut guère surpris lorsqu’Antoine, cédant à son obsession, lui saisit le bras, et, l’entraînant d’un pas plus rapide, se mit à lui conter son étrange veillée et tout ce qui s’en était suivi.
Le ton d’Antoine, son rire, son attitude d’homme fait, certains détails trop crus qui contrastaient avec son habituelle réserve d’aîné, provoquaient chez Jacques un malaise tout nouveau. Il faisait bonne contenance, il sourait, approuvait de la tête ; mais il souffrait. Il en voulait à son frère de lui causer cette souffrance ; il ne pardonnait pas à Antoine cette désapprobation qu’Antoine lui-même venait de susciter. Et, plus l’autre lui laissait entrevoir l’état d’ivresse dans lequel il avait vécu depuis douze heures, plus Jacques se réfugiait dans une résistance hautaine et sentait croître en lui une soif de pureté. Lorsqu’Antoine, parlant de son après-midi, se permit les mots « journée d’amour », Jacques eut un tel sursaut qu’il ne put le réprimer et qu’il se révolta :
- « Ah non, Antoine, non ! L’amour c’est autre chose que ça ! »
Antoine sourit, non sans fatuité ; et, surpris malgré tout, se tut.
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Discours de Roger Martin du Gard pour le prix Nobel (1937).
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