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EAN : 9791033913689
352 pages
Harper Collins (05/04/2023)
4.24/5   569 notes
Résumé :
Anna Zeller a été tirée au sort pour devenir jurée aux assises. Une expérience aussi vertigineuse qu’inédite.
Appelée à juger un couple au casier vierge dans un procès pour empoisonnement et meurtre, la jeune femme va voir resurgir son passé. Un passé qui la transporte vingt ans plus tôt, sur une aire de jeux en Bretagne. Le jour où Anna Boulanger est devenue Anna Zeller.
Les jurés ont une semaine pour décider du destin des accusés et s’emparer de leur... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (147) Voir plus Ajouter une critique
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Un premier roman ,une véritable réussite, une histoire captivante, prenante addictive,une maîtrise exceptionnelle de la thématique. Elle nous immerge dés le début dans son récit, Anna , enseignante, vient d'être tirée au sort pour être jurée , pour une affaire de meurtres , deux accusées Lucille et son compagnon Frédéric. Une semaine pour pouvoir prendre une décision sur le sort de ces deux personnes. Ce procès , lui fait ressurgir un événement tragique, qu'elle a vécu , il y a 20 ans, la disparition mystérieuse et non élucidée de sa cousine. Sa mère décide de déménager avec ses deux filles, et de changer de nom Anna Boulanger devient Anna Zeller. Elle doit se concentrer ,scinder ces deux événements , Deux histoires en une qui vont se télescoper, et permettre à Anna d'avancer, et de rester neutre dans la façon d' agir dans son rôle de juré,
Arrivera t'-elle à trouver les réponses, à élucider ce drame ?
Arrivera t-elle à garder son self control, rester concentrer à 100 pour 100, dans son rôle de juré .
Une histoire d'une extrême noirceur, aussi complexe que captivante. Un récit très documenté, qui m'a fait découvrir ce qui se passe vraiment , dans un tribunal, la responsabilité des jurés, comment rester impartial dans leur choix condamner ou libérer des personnes, cela n'est pas une mince affaire
La plume de l'auteure est fluide , entraînant une lecture époustouflante. Il est difficile de faire un retour sur ce roman, tout est excellent, aucune fausse note, je me suis laissée transporter , avec dextérité , dans cet univers,
Un auteure à suivre de très près .
Un véritable coup de coeur,
A lire absolument
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Anna est tirée au sort comme jurée d'assises lors du procès de Frédéric Gagneron et de sa compagne de l'époque Lucile Moulin. Ils comparaissent respectivement pour « empoisonnement et homicide volontaire » et « empoisonnement et complicité d'homicide ». La tante du premier est décédée dans sa salle à manger à l'âge de 73 ans. Un flacon d'antidépresseurs bien visible sur la table laisse penser à un suicide ; l'enquête montre qu'elle a en fait été empoisonnée à l'amitriptyline depuis des mois et s'est fait étrangler. Elle était riche. C'est son neveu dans le besoin qui hériterait.

« La justice n'est pas une statue de village sur laquelle les pigeons se posent, la déesse Thémis avec son bandeau, sa balance et son glaive, une émanation grise rendant au nom du peuple français des verdicts étanches. Ce sont des hommes et des femmes ordinaires, comme la juge, comme moi, comme Marie-Véronique incapable de continuer à siéger. Des gens ordinaires entre les mains desquels on place un pouvoir incommensurable. »

Anna écoute, se fait son film, échafaude des hypothèses, essaie de creuser les psychologies des accusés et de la victime. C'est à travers ses yeux que l'on suit les cinq jours du procès. Comme elle, je suis passée de l'empathie, à la méfiance et la suspicion, troublée par la parole des témoins ou des rapports d'enquête. Comme elle, j'ai rongé ma frustration face aux incertitudes, aux silences des accusés, aux questions sans réponse. Qu'il est difficile de ne pas chercher à combler ces vides par de l'affect ou des suppositions; qu'il est difficile de les accepter et d'accepter que, peut-être, parfois, il ne faut pas obligatoirement un coupable pour rendre la justice.

Oui, grâce à la subtilité du récit de Claire Jéhanno, sa sensibilité et la limpidité de sa narration, cette expérience de jurée sonne juste avec des accents de vérité vraiment remarquables qui en permettent une compréhension au plus près de la complexité des enjeux et des dilemmes liés à cette mission.

Pour autant, ce n'est pas un classique roman de procès dont on suivrait le déroulé du jour 1 au jour 5 de façon linéaire. En parallèle, se joue un tribunal intime dans la tête de la jurée. Anna a vécu un drame lorsqu'elle était enfant, dont le traumatisme, jamais réellement guéri, est violemment réactivé, et les fantômes qu'il charrie avec.

Je n'ai pas été convaincue par l'articulation de l'arc narratif procès avec celui de l'histoire personnelle d'Anna. L'autrice joue sur une ( trop ) grosse coïncidence, ce qui fait que je n'ai pas cru au personnage qui permet ce pont. Tout s'enchaîne et s'imbrique bien mais le scénario est presque trop « écrit » pour être vrai.

Mais, peu importe cette réserve car j'ai été totalement prise embarquée par le double suspense ( le verdict du procès et la vérité sur le traumatisme d'enfance d'Anna ), d'autant que la présence émotionnelle d'Anna est puissante. Jusqu'au vertige lorsqu'on réalise pleinement que chaque juré s'avance à la cour d'assises avec son histoire, ses failles : « Comment peut-on faire reposer l'avenir des accusés sur de simples mots » quand on a soi-même la mémoire écaillée ? Comment se reposer sur les souvenirs des autres lorsqu'on ne peut se fier aux siens propres ?

Plus qu'une histoire de procès, un très beau portrait d'une jeune femme qui se libère.

Lu dans le cadre de la sélection 2024 des 68 Premières fois #1





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Oneeee et Bichette m'y ayant mis la pression j'ai dû lire ce livre en trombe 😁! En faites c'est une de mes meilleurs pêches sur Babelio , en passant merci Christophe 😊 chez qui je déniche souvent des perles.
J'ai longtemps été passionnée par les procès juridiques et à une époque où je regardais la télévision je suivais assidûment le programme « Faites entrer l'accusé », et suivait aussi sur le Corriere della Sera les fameux crimes commis en Italie ( le journal est unique en son genre pour ce genre de chronique criminelle ). Pour ma part je n'aurais jamais souhaité être jurée, une tâche trop lourde à porter pour moi. Ici surprise, après un long interval, me voici renouée avec une ancienne passion grâce à un excellent premier roman.

Juger des gens dont on ne sait rien, en ne tenant compte que du crime qu'ils n'ont peut-être pas commis, c'est impossible….
Ces procès qui mettent à nu sans pudeur à la lueur des projecteurs « chaque millimètre de leur peau », permettrait- ils comme le prétend un des jurés de connaître les accusés au bout d'une semaine, mieux que notre propre mère ?
Sans accès au dossier, ne se fiant qu'à ce qui est dit , « aux mots tronqués, choisis, triés , répétés », peut on faire un jugement sain ?
Trancher entre innocence et culpabilité , un abysse insondable ,
aux mains de gens ordinaires desquels on place un pouvoir incommensurable….
Voilà le dilemme d'une jurée, ici face au procès d'un jeune couple au chômage, désargenté, accusé du meurtre d'une vieille tante aisée, par empoisonnement et étranglement. Une affaire qui réveille chez elle , enseignante du même âge que l'une des accusés, une ancienne histoire de famille tragique , que Claire Jéhanno entrecroise efficacement avec le procès en cours ….
L'humanité en chacun des personnages, victimes, accusés ou autres est entrevue avec brio à travers des portraits esquissés à coup de petits détails qui en disent long sur chacun. Les jeux de la mémoire sont déroutantes . L'excellente prose et la construction maîtrisée achèveront de vous tenir en haleine jusqu'à la fin.
N'hésitez pas, un superbe premier roman dans la forme et le fond ! Et merci encore à tous mes amis babeliotes 😊!


« Borges disait : “Dans chaque homme, il y a toujours deux hommes, et le plus vrai, c'est l'autre.” »



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C'est ma Sabine qui, par son retour enthousiaste, a attiré mon attention sur ce livre.
J'aime beaucoup les thrillers juridiques et psychologiques, donc j'ai foncé.
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Anna Zeller, professeur, est tirée au sort pour être jurée dans une affaire de crime par strangulation commis par les présumés coupables, Fred et Lucile.
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Ayant tendance à se dévaloriser, l'héroïne et narratrice est surprise d'arriver jusqu'au procès sans être récusée.
L'affaire réveille des souvenirs perturbants pour Anna. Alors qu'elle était enfant, sa mère a déménagé, plaquant tout et emmenant Anna et sa soeur Maxine loin de leur famille et amis.
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La fuite s'est accompagnée d'un changement de patronyme, le père restant sur place.
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Si j'ai eu un peu de mal à éprouver de l'empathie pour Anna, alors que j'aimais beaucoup sa soeur, mes réserves se sont envolées au fil des pages.
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J'ai toujours rêvé d'être jurée moi-même, mais je dois dire que même en suivant l'affaire de loin, le doute m'a souvent étreinte.
Quelle responsabilité ! Avoir le sort d'autres personnes entre les mains, les condamner ou les disculper sans le moindre doute.
Après, il est vrai qu'on voit le tout au travers des yeux d'Anna.
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J'avais également un peu oublié comment ça se passe en France... entre le sous-titrage de séries anglaises ou américaines, de livres, ou de films, je suis plus familière avec les procédures étrangères.
Et puis j'ai regardé Bull. Analyse des réactions des jurés. :)
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Bref, chez nous c'est différent.
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L'histoire personnelle de la famille d'Anna est prenante aussi.
Une bonne pioche, donc. Pas un coup de coeur, mais bien placé.
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Je conseille. :)
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Anna Zeller, professeure dans un collège, a été appelée pour être jurée lors d'un procès qui sera présidée par la juge Caillebotte. Comme ses sept autres compagnons de fortune, elle devra, au cours d'un procès qui durera cinq jours, à raison de 10 heures par jour, examiner avec une grande attention les charges portées contre Frédéric Gagneron et Lucile Moulin. Tous deux sont accusés d'empoisonnement, d'homicide volontaire pour lui et involontaire pour elle, sur la personne de Gilberte Gagneron, grand-tante du jeune homme. Ce procès, pas aussi simple qu'il n'y paraît, va réveiller de douloureux souvenirs à Anna. Il y a 20 ans, alors qu'elle n'avait que 11 ans et sa soeur, Maxine, 9, leur mère a quitté leur père, la Bretagne pour s'installer à Chartres, effaçant toute leur vie passée, jusqu'à leur nom de famille qu'elles n'ont plus eu le droit d'utiliser...

Pour son premier roman, Claire Jéhanno nous emmène au sein d'un tribunal pour assister à un procès aux assises. Si elle n'a jamais, comme elle le souligne à la fin du roman, été appelée pour être jurée, elle s'est néanmoins documentée pour nous dépeindre, avec précision, le déroulé de ces jours ô combien éprouvants, un peu stressants aussi, uniques et évidemment décisifs pour les accusés. Ce procès, inspiré d'un véritable fait divers, devra déterminer si Frédéric et Lucile ont tué avec préméditation Gilberte Gagneron. Si leur culpabilité ne fait aucun doute, la défense va semer toutefois le doute, de même que les experts en brossant peu à peu les portraits aussi bien des accusés que de la victime pour laquelle, d'ailleurs, personne ne s'est constitué partie civile. Dans le même temps, l'on découvre, à coup de flashbacks, le passé trouble et troublant d'Anna. Marquée par un drame, la jeune professeure va lever le voile sur ses souvenirs flous et biaisés. L'auteure, avec ces deux intrigues, aussi passionnantes et déroutantes l'une que l'autre, nous offre un premier roman habilement construit. Elle questionne, tout en subtilité, sur diverses notions telles que la fragilité de la mémoire, les évidences trompeuses, la complexité des liens familiaux, la recherche de la vérité, la culpabilité... Ses personnages, fragiles, complexes et finement dépeints, dégagent une profonde humanité et une tendresse inattendue.
Un premier roman maîtrisé, remarquable, intelligent... et prometteur !
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critiques presse (1)
LeMonde
17 juillet 2023
La fiction de Claire Jéhanno répond aussi bien à l’appétit du lecteur pour les histoires et les enquêtes à rebondissements qu’à son désir de sonder les abysses de l’esprit humain.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (110) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Il y avait une chance sur mille deux cents pour que mon nom soit tiré au sort sur la liste électorale. Une chance sur vingt lors du deuxième tirage et une chance sur trois lors de l’ouverture du procès.
Il y avait une chance infime pour que ma vie se fende en deux. Elle m’est tombée dessus comme une pierre d’un immeuble délabré.
— Jurée no 23, annonce la présidente.

Je décroise les jambes, sèche mes mains moites sur mes cuisses, attrape mon sac et me lève. Les pieds des autres jurés gênent mon passage. Ils les rangent sous le banc et baissent le menton pour ne pas croiser mon regard. Peut-être me plaignent-ils d’avoir été appelée. Moi, je retiens ma respiration, je me concentre.
Dans le silence épais de la cour d’assises, les talons de mes chaussures claquent sur le parquet. Tant que je n’ai pas atteint ma place, un avocat peut me renvoyer sur le banc. Récusée.
Tout un tas de bruits se mélangent dans ma tête. Les regards qui grésillent comme des mouches au soleil. Le sac qui frotte contre mon jean. La salive que j’avale avec difficulté. Au milieu des robes noires et des visages fermés, ma peur résonne à plein volume.
Je m’assois dans un fauteuil aux accoudoirs élimés, en face des accusés. À droite du policier, Lucile Moulin. À gauche, Frédéric Gagneron. Comme moi, ils ont une allure ordinaire. Environ trente ans. Aucun signe distinctif. Ils sont accusés d’empoisonnement et de meurtre.

Lorsque j’ai reçu la lettre en novembre, je n’avais qu’une vague idée de la loi : tout citoyen âgé de plus de vingt-trois ans peut être appelé à devenir juré d’assises. Il suffit d’être inscrit sur les listes électorales et de posséder un casier judiciaire vierge. Sauf raison impérieuse et attestée, personne ne peut s’y soustraire.
J’ai l’habitude de suivre les règles. Je respecte les limites de vitesse, je vote à toutes les élections, je m’arrête aux stops, je traverse sur les passages piétons, je ne jette pas mes mégots par terre. D’ailleurs, je ne fume pas. J’appartiens à ces gens, ce large troupeau de gens, que l’on croise dans la rue sans les distinguer et qui se déportent sur le côté pour laisser passer les plus pressés. Souvent, je baisse la tête.
Quand j’ai lu le courrier, un pincement d’excitation m’a serré le ventre. Je me suis dit, c’est l’aventure, je vais vivre quelque chose d’exceptionnel, quelque chose qui ne se choisit pas, il y aura des larmes et des frissons, ce sera dur, sûrement, mais tellement, tellement enrichissant. J’en ai parlé à ma sœur, à mes collègues, je leur ai dit peut-être que, il se pourrait bien, on verra si.
Sur ma table de salon, j’ai ouvert mon ordinateur pour voir si le procès tombait pendant les vacances scolaires et comment me débrouiller avec le collège. Mon salaire serait suspendu, mais je bénéficierais d’une compensation financière. C’était déjà ça. Allongée sur mon lit, les yeux braqués sur le plafond de ma chambre, j’ai pensé pendant des heures aux ors de la République et à l’idée de justice. Puis j’ai oublié.
Une seconde lettre, cette fois de la cour d’assises d’Eure-et-Loir, m’est parvenue quelques mois plus tard. Elle était adressée à Anna Zeller, née le 26 septembre 1988, jurée no 23. À nouveau, je me suis sentie importante. On me convoquait un lundi matin d’avril 2019, à 8 h 30, au tribunal de Chartres. Une réunion d’information à l’intention des jurés ouvrirait la session. Deux semaines, trois affaires à juger. Au début de chaque procès, un nouveau tirage au sort serait organisé.

Je ne suis pas récusée. D’après mon nom, mon métier, mes quelques pas jusqu’au fauteuil, les avocats ont considéré que j’étais apte à juger. J’ai l’impression d’avoir gagné au loto.
À l’entrée de la salle d’audience, grise non seulement par sa couleur mais aussi par l’absence de dorures, de lustre, de lumière vive et d’ornements, un policier refoule deux jeunes filles venues assister au procès. Derrière une paroi vitrée, trois autres uniformes, pistolet à la ceinture, entourent les accusés. Leurs yeux sont fixés sur un point invisible, entre une porte dérobée et un drapeau bleu, blanc, rouge.
La juge Caillebotte – la présidente de la cour – glisse la main dans l’urne et pioche une nouvelle bille. Juré no 6. Un homme en costume marine et chaussures qui brillent se lève. En avançant vers l’estrade, il se rengorge, fier d’être l’élu, mais à quelques mètres du fauteuil le verdict tombe : récusé par l’avocat général. Deux autres jurés, plus âgés que moi, sont tirés au sort. Je garde les mains bien à plat sur mes cuisses. La nuque arquée par la tension. Je ne sais pas bien pourquoi on m’a gardée.
L’air renfrogné, l’homme récusé commence à rassembler ses affaires. La présidente lui demande de se rasseoir. On ne peut pas quitter la salle pour le moment. Nous sommes enfermés. Comme les accusés en prison, comme les comédiens d’une pièce de théâtre. Dès lors que le rideau s’est ouvert, il faut aller au bout de la représentation. Plus d’échappatoire. Sur la scène du tribunal, nous sommes désormais au complet.
Je louche sur mes sept compagnons de hasard, ceux avec qui je vais partager mes doutes et mes certitudes. Trois femmes, quatre hommes. Comme moi, ils ont du mal à s’endormir le dimanche soir, cherchent leur portable pendant dix minutes alors qu’il est dans la poche de leur manteau, disent je regarde, merci dans les magasins pour qu’on ne les ennuie pas. Leur nom de famille n’a pas besoin d’être épelé. Ils pourraient s’appeler Leroy, Durand, Mercier. Des citoyens quelconques.

Je n’ai pas toujours porté un nom qui traverse l’alphabet. Enfant, je m’appelais Anna Boulanger. Un patronyme plus simple, plus concret. Il s’agissait du nom de mon père et probablement de celui d’un ancêtre dont c’était le gagne-pain. J’aimais comme il sonnait, avec ses trois syllabes et ses lettres rondes à colorier. Ma gourmandise en filigrane.
Sur les photos de mon enfance – ma mère n’en a conservé qu’une dizaine –, j’ai des cheveux réglisse qui m’arrivent à la taille, des lèvres charnues et des yeux ronds comme des bonbons. Je ressemble à ma grand-mère, orgueilleuse et décidée. De la bande d’enfants du village, je suis la première à escalader le mur pour récupérer le ballon tombé dans le jardin d’à côté. J’invente les jeux les plus dangereux, je connais chaque cachette de Trémenc, chaque recoin secret. Je n’ai pas peur. Je suis une Boulanger.
Nous avons reçu nos nouvelles cartes d’identité juste après l’emménagement à Chartres, quelques semaines avant mes onze ans. Taille : un mètre cinquante et un. Signature : un gribouillis que j’avais tenu à tracer moi-même.
Ma sœur Maxine a saisi les deux rectangles de plastique et s’est moquée de ma tête figée. « On dirait un hibou. » Puis elle s’est mise à sauter sur le canapé. Je me souviens du grand trait de feutre qui lui barrait la joue. « Maxine Zeller, Maxine Zeller ! » elle criait en faisant traîner le Z. À neuf ans, on veut juste s’amuser.
Pour calmer l’inquiétude qui grandissait dans mon regard, notre mère a préparé une casserole de chocolat chaud. Une demi-tablette de chocolat, un fond de crème fraîche, quelques pincées de cannelle. Les mains jointes autour de son bol, elle nous a expliqué que ce nom représentait notre nouveau foyer à trois, sans papa. Hélène, Anna et Maxine Zeller. Nous ne devions plus jamais utiliser notre ancien patronyme. Ni à la maison ni à l’extérieur. « Boulanger » était aussi proscrit que « merde », « putain », « con ». Elle a répété plusieurs fois les gros mots pour nous faire rire. J’avais envie de pleurer.
Ce jour-là, ma mère a creusé un trou au milieu de nos vies, un trou dans lequel elle a tout jeté, les autres membres de la famille, les vieilles pierres du village, l’école du Sacré-Cœur, l’omelette-frites du mercredi midi, les chutes à vélo, les bras poilus de notre père, ses yeux d’un bleu si vif qu’ils paraissaient trempés dans le ciel, nous assises sur la banquette avant du fourgon blanc, à vouloir klaxonner une dernière fois pour dire au revoir, et lui qui agite le bras sur le palier de notre maison d’enfance, de notre enfance tout court. Elle a creusé un trou si grand qu’il m’a fallu rassembler toutes mes forces pour ne pas tomber dedans.

J’ai passé mon second CM2 – j’avais redoublé – à penser à Anna Boulanger comme à une jumelle qui m’aurait abandonnée. Je me demandais ce qu’elle aurait fait à ma place pour être acceptée par les filles du préau, comment elle aurait camouflé ce corps qui commençait à changer, quelle maladie elle aurait pu inventer pour ne pas jouer à la balle au prisonnier.
Sur les grands carreaux, la cartouche d’encre fuyait. Mes doigts tout tachés. J’étais devenue double. Une division au résultat erroné. Dans mes cahiers, j’essayais d’écrire Anna Zeller, mais je m’adressais à Anna Boulanger pour trouver la bonne orthographe aux dictées. Quand j’utilisais mon effaceur, le papier se trouait.
Un jour, la maîtresse a convoqué ma mère : « Madame, je voudrais m’assurer que tout va bien à la maison. Anna est une très bonne élève. Mais, madame Zeller, pourquoi ce nom, pourquoi écrit-elle Boulanger dans ses cahiers ? »
Les yeux braqués sur le carrelage sale, sur la terre qui bouchait les joints, je craignais autant les explications de ma mère que ses reproches. Le suspense n’a pas duré longtemps. Avant même que la maîtresse ait terminé, Hélène a explosé : « De quoi vous vous mêlez ? Vous ne pouvez pas laisser ma fille tranquille ? On ne vous demande pas grand-chose pourtant. Faites votre boulot et foutez-nous la paix ! » Elle s’est levée d’un coup, faisant tomber sa chaise dans un grand fracas.
Ma mère m’a traînée vers la cour, entre les dessins d’enfants et les portemanteaux nus. Les phalanges douloureuses à force d’être broyées, je peinais à la suivre. Elle m’a attachée sur la banquette arrière de la voiture, a claqué la porte, a fait vrombir le moteur. La maîtresse n’a plus osé poser de questions. Moi non plus.

Derrière la salle de délibération, un étroit couloir mè
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Ouest-France, 16 juin 1997
Elle a huit ans, des yeux bleus, des cheveux blonds, un T-shirt vert et un jean. Voici le portrait d’Aurore Boulanger lorsqu'elle a été vue pour la dernière fois, hier après-midi à Trémenc, dans les Côtes-d'Armor.
La fillette a disparu alors qu’elle jouait près d’un terrain de sport où se déroulait un match de football intercommunal. Des dizaines de policiers sont à pied d'œuvre pour la retrouver. Avec l’aide de la population, ils ratissent les alentours sur un rayon de plusieurs kilomètres.
La famille de la petite Aurore affirme qu'il ne s’agit pas d’une fugue. Le père déclare : «Aurore est toute petite et c’est une enfant heureuse, bien dans ses baskets. Il faut la retrouver au plus vite. Nous comptons sur toute personne pouvant faire avancer les recherches. Je vous en supplie, contactez la gendarmerie si vous avez la moindre information.»
Les enquêteurs privilégient l’hypothèse d’un enlèvement. Une information judiciaire pourrait être ouverte dans les heures à venir. p. 56
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Elle est tentante, la proposition de Me Digne. Elle nous prend par la main et nous déroule une histoire très cohérente, qui donne envie d’y croire. Pendant que l’avocate parle, je vois le regard de Lucile s’éclairer (…). L’avocate a suffisamment joué sur notre empathie pour que je rapproche nos deux histoires, que j’offre à l’accusée ma sympathie (…). Je compatis avec le mal-être de Lucile. Et je doute qu’elle ait pu se rendre complice du meurtre en lui-même. L’empoisonnement, oui, elle en est convenue, mais le reste, l’étranglement, le cadavre resté dans le salon toute la nuit, les pompiers qu’on appelle pour s’en débarrasser, les dizaines d’heures d’audition à mentir sur ce qui s’est réellement passé, cela me semble hors de sa portée. Me Digne a raison. La jeune femme qui se ronge les doigts comme sa mère, cette jeune femme anxieuse n’a pas la carrure pour tuer. p. 294-295
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À l'examen externe du corps, des hématomes sur le cou pouvant correspondre à une strangulation. Sur la table, devant la défunte, un flacon de Laroxyl, un verre d’eau. Recherche de toxiques : présence d’amitriptyline dans le sang confirmant l'usage de psychotropes. Pas de dose létale. Le corps est envoyé aux légistes.
Lors d'une autopsie, un fragment de chaque organe, y compris du cerveau, est prélevé. On coupe, découpe, dissèque. Le cœur est généralement enlevé dans son entièreté. Le directeur d'enquête ne le dit pas, mais je suis sûre que celui de Gilberte était plus généreux que la normale, qu'il était gonflé de son goût pour la vie.
Une fois l'autopsie effectuée, le médecin légiste procède à la restauration du corps. Les organes sont remis à l'intérieur et la peau est suturée, protégée, maquillée. p. 84
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Les évidences sont les miroirs les plus trompeurs. Elles nous confortent dans ce que nous voulons voir.
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