Mélissa - Mélie - petite fille qui grandit dans une famille tout en pudeur, presque trop, à tel point que cette retenue de sentiments pourrait faire penser à de l'indifférence.
Mélie aimée, mais à qui on ne l'avouera pas - toujours cette pudeur affichée - se voit enjoindre d'étudier, de travailler à l'école : il faut progresser, pour avoir un métier, "s'en sortir".
Ses parents "s'en sortent" eux, difficilement, quand la mère se fait gardienne de son intérieur où rien ne vit, le père se fait écho des propos amers devant les informations télévisées.
Alors Mélie se remplit la tête de connaissances, elle ne se la remplit pas d'idées, pas de ses avis qu'elle se forgerait, non, elle la nourrit pour réussir. Et elle réussit, - aux yeux de ses parents - elle intègre une classe prépa.
Là, un nouveau monde, là elle rencontre des jeunes comme elle, plus porteurs de savoir que d'opinions, même si certains fanfaronnent pour faire croire le contraire. Là, encore, elle réussit, même si les questions commencent à se poser, même si l'armure se fissure.
Dans la vie professionnelle, Mélie excelle dans la théorie, moins dans les relations humaines, peu habituée qu'elle est à laisser parler ses sentiments. Là voilà évincée, remerciée, pour ce manque de communication qui doit exister, si artificiel soit-il, dans le monde du travail.
Mélie erre, chancelle et rencontre , au milieu des petits boulots qu'elle endosse pour essayer de se raccrocher à la vie, une jeune femme qui l'emmène dans un groupe de réflexion, elle y rencontre Marc, plus âgé, homme sûr de lui qui professe idées et convictions. Mélie se sent regardée, elle existe à travers ces yeux séducteurs plus que porteurs d'empathie, ces yeux qui convoitent, à travers ces propos qui excluent davantage qu'ils ne rassemblent.
Elle fait siens les arguments de cet homme à qui elle veut plaire. Pour une fois, elle se sent réceptrice de sentiments qu'elle croit louables et sincères.
Quand au cours d'une manifestation contre la présence d'étrangers, de migrants, Mélie en première ligne de ceux qui accusent, apprend la mort – ses convictions nouvelles et les idées de Marc en portent la responsabilité - d'un tout petit que le froid a emporté parce que les portes lui étaient fermées, elle perd pied, s'effondre, se questionne enfin réalisant le côté superficiel de ses relations avec Marc, se reprochant de s'être laissée manoeuvré mais il est trop tard.
Alors elle fuit et sa fuite prend des allures de rédemption...
Carole Zalberg a le don de secouer les consciences d'en faire goutter ce jus noir, ce jus de l'intolérance. Elle parle de ces êtres qui ont reçu - ou reçoivent - tellement peu d'amour sincère ou, qui le reçoivent sans en prendre la valeur, qu'ils ne savent pas en donner à leur tour, de ceux qui n'écoutent pas l'autre et ne peuvent ainsi pas l'entendre, de ceux qui regardent les différences de culture comme une barrière là où sont enfouies des trésors à découvrir.
Ils se regroupent, se confortent dans des nationalismes qui excluent, dans une violence qui expulse, dans une attitude qui ne se nourrit que de rejet et d'amertume. Ils sont persuadés de leur légitimité, et d'ailleurs les moyens de communication actuels leur prouvent qu'ils ne sont pas seuls, et qu'ils fédèrent.
Mais
Carole Zalberg entrevoit toujours la luciole qui brille dans les ténèbres, la possibilité d'un renoncement au poing fermé, une possibilité d'ouvrir cette main et de la tendre. Ecouter en silence, regarder l'Autre comme un être à protéger, être curieux des différences est toujours possible et bien plus enrichissant que nourrir le ressentiment encore et encore.
Mélie agace, Mélie attriste, on a souvent envie de la secouer , de la réveiller de cet aveuglement… Mais Mélie révèle, d'une certaine façon, le mal de cette société qui est nôtre. A force de "construire" des êtres que le profit et la consommation obnubilent, on les désincarne pour en faire des êtres privés de sentiment, d'empathie, trop égoïstes pour ouvrir les yeux sur l'Autre. Heureusement, il y a ceux qui résistent, détachés qu'ils sont du matériel bien souvent, plaçant souvent la nature au creux de leur existence et au milieu d'elle, l'Homme quelles que soient sa couleur, sa race, son ethnie, qui est toujours regardé avec bienveillance et dont on s'enquiert perpétuellement…
Un livre pour réfléchir.