Challenge Jack Vance, épisode 4 :
"Le Wankh", sorti initialement en 1969 sous le tire de "Servants of the Wankh", est le 2e tome du "Cycle du Tschaï" ("Planet of Adventure" en VO, un titre nettement plus évocateur).
L’équipage du vaisseau Explorateur IV se rend dans le système de La Carène 4269, pour découvrir qui a tenté de communiquer avec la Terre il y a 150 ans (décalage temporel des distances en années-lumière oblige), mais l’appareil n’a pas le temps d’entrer dans l’atmosphère de la planète Tschaï qu’il est abattu par une torpille d’origine inconnue. Seul rescapé du crash, Adam Reith doit survivre et découvrir ce nouveau monde qui l’entoure, pour ensuite identifier ceux qui les ont appelés et ceux qui les ont attaqués, avant de regagner la Terre. (La similitude saute aux yeux avec le pitch de départ de "La Planète géante" paru en 1957, l’auteur livrant sans doute ici une version améliorée du roman qui l’a rendu célèbre en son temps.)
Sur Tschaï, plus on est de fous et plus on rit : c’est une planète de dingues où l’irrationalité est la normalité !
Des indigènes insectoïdes, des envahisseurs prédateurs, des contre-envahisseurs amphibies, des vagues de migrants reptiliens et des peuples humains esclave, tributaires ou libres qui commercent tous les jours sur les marchés, avant de s’entretuer joyeusement à la première occasion à quelques pas desdits marchés. On se demande vraiment comment Adam Reith va s’échapper de cette asile d’aliénés… ^^
Les Chaschs Bleus occupés à leurs jeux (la civilisation est-elle la voie la plus courte entre la barbarie et la décadence ? ^^), se regardent en chien faïence avec les Vieux Chasch (caricature de rednecks débiles), et les Chaschs Verts (caricature de sauvages amérindiens), les Wankhs cloîtrés dans leurs cités parce que personne n’est capable de comprendre leur langage musical, les Dirdirs s’éclatant en chasses du Comte Zaroff, les Pnumes souterrains s’amusant à ajouter de nouvelles scènes à la Salle de la Perpétuation, les Phungs psychopathes purs et durs qui seraient qualifiés de serial killers si on les laissaient le temps d’empiler les victimes... Les humaines ne sont pas en restent avec les Krugs persuadés d’être les vaisseaux d’âmes transgénérationnelles incarnées par leurs emblèmes et calque sur leur comportement sur l’histoire de leur emblème, les hommes dorés de Yao qui vivent dans une société sans lois mais avec tellement de règles de paraître et de bienséance qu’elle génère un mass shooting culturel lié au stress (considérée comme l’un des principales causes de mortalité), les Noirs et les Rouges qui pratiquent un ségrégation raciale intégrale bien qu’issus de la même espèce, les Khors tellement angoissés par la sexualité qu’ils doivent entrer en transe et se laisser habiter par l’Homme Primordial et la Femme Primordiale pour pouvoir procréer…
Jack Vance s’amuse comme un petit fou à donner corps et à donner vie à toutes ses civilisation et en bon worlbuilder l’auteur décrit chaque peuple avec un luxe de détails en et leur offre une géographie, une histoire et une culture avec sa langue, ses lois, ses modes…). On s’inspire des récits de voyages coloniaux et des carnets ethnographiques : Adam Reith fait l’effet d’un Américain du Middle West paumé à Zanzibar ! Mais derrière son odyssée, on peut déceler une critique du Tiers-Monde colonial tout autant qu’un critique des Etats-Unis, colonisés devenus colonisateurs… Il aborde le choc des civilisations avec des peuples tantôt exploités tantôt exploiteurs à travers des thèmes comme l’acculturation ou la déculturation : dommage que cela reste léger comparé à l’arrière-plan paternaliste du roman.
L’auteur est également un bon peintre qui excelle dans les descriptions évocatrices véritables invitation au voyage, d’autant plus qu’ici les personnages se déplace de civilisation en civilisation à travers les steppes, les océans ou les cieux. L’auteur est également et un dialoguiste qui nous régale de joutes verbales pleines de roublardises et d’hypocrisie entre les différents protagonistes de l’aventure (mention spéciale à Anacho !)
Dans ce tome 2, après avoir retrouvé ce qui reste de son vaisseau, hors d’état de voyager entre les étoiles, Adam Reith accepte la proposition de Ylin-Ylan de retourner à Cath pour disposer de la technologie des hommes dorés de Yao. Et c’est reparti pour des treks à travers les steppes et des voyages à travers les océans ! Après avoir compris que ce n’était pas à Cath qu’il trouvera de l’aide, la team Adam Reith monte avec le rusé Zarfo une opération à la "Dirty Dozen" pour voler un appareil wankh, mais évidemment cela part rapidement en vrille… ^^
Le très bon ?
* Cath. On est loin des descriptions d’une Venise spatiale exotique et colorée de Ylin-Ylan : c’est un pays de dingues sur une planète de dingues ! Tout le monde possèdent des noms différents propres à chaque occasion, le codex de leurs us et coutumes est d’une sophistication ubuesque, les idées sont considérées comme des modes par les philosophes et les savants, et les citoyens sont priés de se laisser faire (12 fois s’il vous plait ^^) quand la Compagnie Assassinat et Sécurité vient exécuter ses contrats... Et ce je parle même des victimes de l’awaïlé qui sont torturés en public, sous les applaudissements du public.
Et tout le monde veut la mort d’Adam Reith : le Seigneur du Palais du Jade Bleu qui se sent blessé dans son orgueil, Dordolio qui ne veut pas que son rival récupère le magot sur lequel il lorgnait, les intellectuels qui craignent de ne plus être à la mode à la cause de l’hérésie reithienne, la Compagnie Assassinat et Sécurité qui ne veut pas perdre la face et les espions wankhs pour des raisons insondables…
C’était un joyeux foutoir jusqu'au moment où j’ai compris que Jack Vance se moquait de son propre pays ! ^^
* Les Wankhs. Après les reptiles à l’odorat surdéveloppé, les amphibiens à l’ouïe surdéveloppée qui communiquent entre eux par des mélodies et des harmoniques incompréhensibles à ceux qui n’ont pas vécu toute leur vie parmi eux… Du coup seuls les Homme-Wankhs sont leurs intermédiaires obligés avec le reste de Tschaï, et ils n’ont aucun moyen de savoir si on leur dit la vérité ou pas, ce qui fait d’eux les esclaves de leurs esclaves. Sur Tschaï, Wankhs et Dirdirs se battent au nom d’une guerre galactique depuis longtemps finie, mais les premiers refusent les propositions de paix des secondes parce que leurs serviteurs leur font croire que le conflit dure toujours (ils craignent que les Wankhs repartent chez eux, et donc de perdre leurs privilèges par rapports aux autres peuples de Tschaï).
Adam Reith dévoile le poteau rose, mais c’est un peu incohérent… Il accuse les Hommes-Wankhs d’avoir détruit son vaisseau et autrefois les hommes dorés de Yao pour préserver le statu quo, mais balance ça au hasard sans la moindre preuve ou le moindre indice. Cela aurait pu être prêcher le faux pour découvrir le vrai si les Wankhs n’avaient eu aucun moyen de communiquer avec les leurs rester dans l’espace. Et puis alors qu’il s’agit d’élément clés de sa mission, Adam Reith s’en cogne de savoir si c’était vrai ou faux (comme sa théorie comme quoi les hommes ont été a amené sur Tschaï par les Dirdirs, qui n’est corroboré par grand chose mais dont il ne démord jamais !). Syndrome Vance ?
Le très mauvais ?
* Fleur de Cath. Avoir autant mis en avant le personnage, avant autant développé sa romance à l’eau de rose avec Adam Reith pour qu’elle meurt comme un merde avant même le milieu du récit, c’est complètement naze ! Alors pour résumer Ylin-Ylan a le blues, le héros interprète cela comme une crise d’hystérie typiquement féminine et décide d’aller pécho une autre adolescente. Ylin-Ylan le surprend en train de rouler une pelle à une poufinette, sombre dans l’awaïlé et après avoir tenté de tuer tout le monde dans un accès de folie se jette à la mer. Visiblement personne ne sait nager puisque personne ne tente de la sauver. Le héros ne verse pas une larme, pire, arrivé à destination il n’est même pas capable de présenter des condoléances à son père (parvenant même à critiquer le manque de chaleur de l’accueil qui lui est réservé) !
* Helsse. Il est là, il n’est pas là. Il est mort, il n’est pas mort. Il est fou, il n’est pas fou…. Et au moment crucial, il suffit de lui pincer le nez pour l’hypnotiser et le mener à la baguette… Il s’est relu ou quoi l’auteur ? C’est n’importe quoi de se foutre à ce point des personnages et de l’intrigue ! Syndrome Vance
On a donc tous les ingrédients d’un bon récit picaresque de SF résolument vintage : à la jonction des années 1960 et années 1970 on ici mélange agréablement le space-opera à aventures et le planet-opera à thèmes. Cela sent le pulp à la Edgar Rice Burroughs, donc outre la similitude avec "Le Guerrier de Mars" de Michael Moorcock, j’ai eu la joyeuse impression de lire une aventure en technicolor de "Flash Gordon", de "Buck Rogers" ou de "Captain Future". J’ai passé un bon moment, mais les événements s’enchaînent de manière trop rapide et trop facile, même pour un pulp…
Un tome inégal en plus des défauts récurrents du cycle, voir de l'auteur :
* Le héros Adam Reith n’est pas sympathique du tout. Les héros pulpien n’ont jamais été très subtils, mais là on est presque dans la caricature du héros républicain (qui a été rooseveltien avant d’être reaganien).
Il se pose comme un homme d’honneur mais il ment, il triche, il vole, il tue sans aucun état d’âme… Et le côté messianique tant vanté tombe régulièrement à l’eau tant il préfère prouver que ses valeurs sont les meilleurs raison plutôt que d’améliorer le sort de son prochain (d’ailleurs plusieurs personnages le qualifient d’« ingrat au cœur de pierre ») : ce qui le gêne ce n’est pas qu’il y ait des esclaves humains sur Tschaï, c’est que leurs maîtres soient des extraterrestres ; ce qui le gêne ce n’est pas que les Dirdirs puissent envahir la Terre, c’est que les Terriens puissent être moins puissants que les Dirdirs. Il remet en cause tel gouvernement, telle religion, telle loi, telle coutume… mais se fait la malle en les laissant ses vis-à leurs problèmes, souvent déclenchés par lui-même
Du coup j’ai parfois l’impression de l’entendre soliloquer "Moi Adam Reith, redresseur de tort, diffuseur de la magnifique civilisation démocratique des USA, il faut que je remette sur le droit chemin ces sauvages extraterrestres" (Dark Schneider copyright)
Je comprends mieux l’idéologie des gouvernements américains qui interviennent en partout dans le monde au nom de la défense des valeurs occidentales mais qui laissent tout le monde dans la panade une fois qu’ils ont prouvé qu’ils étaient les plus forts et donc qu’ils avaient raison.
Et puis, cet improbable génie de la survivance semble est invincible… Têtu, cabochard d’un optimisme délirant, il fonce d’abord et réfléchit ensuite, comptant toujours sur son instinct et sa chance insolente pour s’en sortir. Obstiné et impitoyable, il se dit rusé mais c’est toujours par la force et la violence qu’il règle ses problèmes. Peu de suspens, puisqu’il emporte sans coup férir tous les combats dans lesquels il est engagé, contre tous les champions qui lui sont opposés, provoquant à répétition des ordalies à mains nues, à l’arme blanches ou à l’arme à feu / à énergie contre tous
Enfin, il est radin comme pas deux : c’est un vrai running gag de le voir bakchicher sur tout et n’importe quoi avec tout le monde : c’est toujours trop cher et il veut toujours moins cher quitte à se retrouver dans des auberges mal famées ou des bateaux qui prennent l’eau (et pour un naufragé des étoiles, il est vachement au courant des prix hein !). J’ai bien ri dans le tome 3 quand l’ignoble Aïla Woudiver lui dit ses quatre vérités et lui démontre que puisqu’ils partagent les mêmes défauts, ils sont les deux faces d’une même médaille… Passé un cap, c’est tellement gros voire grotesque que je me suis demandé si cela n’est pas fait exprès pour faire passer un message derrière un second degré assumé…
* Le sexisme et la misogynie. On connaît l’auteur, ce n’est pas nouveau mais on s’en passerait bien volontiers…
La première chose que fait le héros après sa guérison c’est vouloir pécho une adolescente indigène qualifiée de sotte. Bien souvent il dépense beaucoup d’énergie à secourir des demoiselles en détresse, à les laisser seule au milieu de nulle part en très mauvaise compagnie, et il s’étonne ensuite très naïvement de devoir s’élancer à nouveau à la poursuite de leurs ravisseurs… (Soupir)
Gross modo, toutes les femelles sont des créatures immatures et irrationnelles, tantôt frivoles tantôt hystériques et il n’y a de salut pour elle que dans l’obéissance à un mâle qui s’occuper d’elles. Et je ne parle même des féministes dépeintes comme des psychopathes criminelles. Et puis on a aussi ce capitaine de navire alter ego de l’auteur, qui se frise les moustaches en matant deux jeunes filles en fleurs… (Soupir) On peut voir d’ailleurs en ce cycle le quête d’une cruche appétissante mais obéissante, puisque divers protagonistes décrive le bonheur comme une vie tranquille à la campagne en d’une jeune femme, d’une jeune fille ou d’une « fillette »… (Tremble) J’ai lu que Jack Vance n’était qu’un homme de son temps, qui écrit avant le women’s lib des années 1970. Ouais, c’est un peu léger comme explication car on retrouvera exactement la même chose dans les écrits de l’auteur datés des années 1980 et 1990. Passé un cap, c’est tellement gros voire grotesque que je me suis demandé si cela n’est pas fait exprès pour faire passer un message derrière un second degré assumé…
* Le syndrome Vance ! C’est-à-dire un excellent bâtisseur d’univers qui jubile à déballer ses jouets et à s’amuser avec mais qui s’en lasse très vite et qui n’hésite pas à bâcler ses histoires pour mieux passer à autre chose. Du coup, le récit est bien souvent prétexte à nous servir de guide touristique et à nous emmener en ballade à travers les contrées hautes en couleurs si chères à l’auteur…
Et maintenant, direction "Le Dirdir" !!! blink
Commenter  J’apprécie         276