[Choisi ce lundi 15 novembre 2021- Librairie Caractères / Issy-les-Moulineaux ]
Un nouvel ouvrage que je débute avec grande curiosité, de cet auteur togolais, après un premier coup de coeur pour son récit autobiographique, «
Ainsi parlait mon père », où il mettait aussi à l'honneur l'Afrique noire, ainsi que le Togo et surtout son père, forgeron, homme de bien qui a encouragé ses enfants dans la poursuite des études…Un livre bienveillant et rendant tous les honneurs et la reconnaissance à ce père, figure positive et inspirante…lui racontant les légendes, les fables de sa terre natale…
Là, notre écrivain se met dans la peau d'un Blanc, ayant étudié, allant observer et analyser les comportements des Africains, afin de rédiger un doctorat…récit des plus déroutants qui mélangent des grandes figures réelles de l'anthropologie, de l'ethnologie et d'autres inventées… de même pour les écrivains africains et artistes européens, ayant été inspirés par le continent Afrique. Une mine d'informations et d'auteurs à lire, pour prolonger cette immersion togolaise !
Un ENCHANTEMENT que la première moitié de ce roman incitant à de multiples questionnements, et à travers le parcours d'un jeune ethnologue,
Maurice Royer, marqué par la lecture, à seize ans , de « L'
Afrique ambiguë » de
Georges Balandier… nous découvrons « une » Afrique plurielle, avec la mise en abîme de l'ambiguïté de tout regard ethnologique ! Et de tout regard de « Blanc » !...
Un roman où nous suivons dans la première partie, le périple et les recherches progressives de ce jeune ethnologue,
Maurice Royer, qui nous raconte ses aventures, ses lectures, ses observations quotidiennes vécues dans un petit village du Togo. Il y restera plus de deux années. Les deux figures puissantes qui marqueront son séjour : le chef du village, et l'Imam, l'étranger qui a été bien accueilli par le chef du lieu, car cet imam, ayant fait des études universitaires à Paris, apporte avec lui tout un prestige, rejaillissant sur ce village. Vivant assez reclus avec sa femme et sa fille, il est respecté, écouté, mais reste toutefois, à l'écart, par sa manière de vivre, et reste donc un Etranger, comme notre jeune ethnologue… qui apprendra à connaître cet imam, celui-ci devenant son ami. Cet imam, un sage… et un personnage qui marquera à jamais « notre » ethnologue.
Dans cette fiction alternent à ses observations, expériences vécues, des lettres écrites à son mentor, le célébrissime anthropologue,
Georges Balandier…qui lui prodigue conseils et avis sur la complexe tâche et responsabilité morale de l'Observateur, du travail d'analyse d'un ethnologue : l'occasion de parler des méfaits de la colonisation qui pervertit les jugements, les appréciations. . le racisme, la difficile pénétration et compréhension d'une civilisation totalement « autre »…
Ce roman se divise donc en deux parties : la première, très vivante, où on évolue avec ce jeune étudiant blanc, partant vers Tiédi, où en brefs chapitres, il narre ses découvertes, ses mésaventures, joies et déceptions au quotidien…ses rencontres, sa progression dans ses recherches et ses notes, ou au contraire, se retrouvant dans une stagnation intellectuelle…
La seconde partie, est nettement plus austère , éclatée et désabusée , que j'ai trouvée personnellement plus frustrante de par trop de discours et de polémiques, alors que la première partie déborde de vie, par la description des traditions, usages, la vie communautaire régie par des rituels déroutants, tour à tour, pleins de sagesse ou de cruauté (auxquels les femmes sont malheureusement les premières victimes) ; notre jeune apprenti-ethnologue, revient en France, rédige sa thèse sur les Tèdiens, poursuit ensuite une carrière universitaire, où , à son tour, il « dirige » des futurs thésards, étudiants blancs et africains, mélangés…
Ce séjour africain l'aura marqué définitivement, à tel point qu'il choisira de ne pas y retourner, souhaitant certainement conserver l'intensité vécue de cette expérience de sa jeunesse !
Un patchwork de questionnements, d'interrogations, de doutes, de pessimisme en constatant les barbaries commises au nom de la « colonisation », les images imprécises, folkloriques ou réductrices de ce continent africain, que tout un chacun fantasme !
… s'ajoutent dans cette seconde partie les pensées de notre « ethnologue » vieillissant,
Maurice Royer, faisant le bilan de sa carrière de chercheur et d'enseignant, sa vie intime, le temps qui passe…ses amitiés, les dissensions de perception quant à l'Afrique avec ses confrères et à cette « profession » si ambivalente d'ethnologue… Est sous tendue une mise en garde constante, « éternelle » de risque d'arrogance du Blanc sur l'homme de couleur !...
Passionnée, captivée par l'ethnologie depuis très jeune, j'ai lu avec d'autant plus d'attention l'esprit très critique de l'auteur quant à cette science, qu'il fait transparaître très vivement dans le prologue…
« (...) En vérité, l'ethnologie faisait partie des barbelés spirituels que nous avions dressés autour des peuples dominés, nous les avions enfermés à l'intérieur de nos systèmes des savoirs qui portent l'ombre de notre vision positiviste et hiérarchisée des civilisations. L'ethnologie est la forme élégante de notre domination intellectuelle sur les autres."
"je ne sais pas si je t'ai compris, mais je vais tenter de résumer ce que tu viens de m'expliquer: tu as fait partie, par ce que tu as considéré comme une science, l'ethnologie, d'une armée d'hommes et de femmes de bonne foi qui s'en allaient au loin étudier les autres pour montrer que leur humanité valait la nôtre, que notre universalité n'était qu'une forme des universalités possibles, que les autres, que nous cherchions à comprendre, appartenaient à la même Histoire humaine que nous. Ce que j'ai compris, papa, c'est que ta science, l'ethnologie, a été une forme d'humanisme au coeur du mépris que nous avions eu pour les autres.
Ses mots m'émurent mais moi je savais ce que je savais : l'ethnologie est fille de la verticalité coloniale et elle a débouché au mieux sur un humanisme ambigu. » (p. 12)
Moment de lecture très fort, même si mon ressenti est au final assez « mélangé »… Je reste toutefois très curieuse des autres écrits de cet auteur-romancier-sociologue… le prochain ouvrage de cet auteur que j'aimerais aborder est «
La Couleur de l'écrivain « …
******N.B : Une précision que j'ajoute après avoir fait des recherches complémentaires sur les autres écrits de Sam
Tchak… J'ai découvert que la première partie de ce roman a eu une première version publiée en 2013, par un autre éditeur, intitulée « L'Ethnologue et
Le Sage »…